"Mystère à Porquerolles" est le second tome de "Ric Hochet", série policière culte créée par le Belge André-Paul Duchâteau et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) alias Tibet. À ce jour, le titre compte soixante-dix-huit numéros - le dernier en date étant sorti en 2010 - et s'étend ainsi sur presque cinquante ans.
Cet album a paru aux éditions Le Lombard en septembre 1964, après avoir d'abord été prépublié dans le "Journal de Tintin" entre mai et août 1962 (nº21 à 35), puis entre décembre 1962 (nº51) et mars 1963 (nº13). Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). En revanche, il ne réalisait pas les décors, qu'il confiait à des assistants, dans ce cas à Jean Mariette (1932-2001) alias Mittéï.
Paris, un matin, dans la salle de rédaction du quotidien "La Rafale". La une est prête. Un journaliste en félicite un autre pour son article au sujet de récents vols de tableaux ; trois musées ont été dévalisés en moins d'un mois, un record. Ric Hochet, assis à son bureau, est accosté par Luc, un collègue, qui l'informe que le grand patron souhaite le voir à l'instant. Lorsque Ric lui demande de le renseigner sur l'humeur de leur chef, Luc répond qu'il semblait surtout tracassé. Ric frappe à la porte du bureau en question ; le dirigeant ordonne d'entrer. Sans ambages, ce dernier lui confie avoir quelques inquiétudes au sujet de Bob Drumond, un collègue parti à Porquerolles pour un reportage sur le tourisme local. Seulement, voilà deux jours qu'il a disparu de sa chambre. Drumond étant un grand amateur de plongée sous-marine, peut-être lui est-il arrivé un accident ? Ric écarte vite cette hypothèse ; Drumond, nageur hors pair, avait réussi à harponner un requin pendant un voyage aux Caraïbes. Pour Ric, il est probable que Drumond ait découvert un sujet qui l'a obligé à s'absenter. Son patron demande alors à Ric, le meilleur ami de Drumond, de se rendre sur place et d'enquêter.
Duchâteau quitte Paris pour une autre aventure en province - l'une des marques de fabrique de la série ; après Le Havre, voici l'île de Porquerolles, en Provence. Ce deuxième album est en demi-teinte ; il ne s'agit pas de l'affaire la plus passionnante de Ric Hochet. Cette fois, le projet criminel est davantage motivé par le désir de posséder quelque chose que par le "simple" appât du gain. Le lien entre le fait divers mentionné en première page et la disparition de Bob Drumond, collègue et ami de Ric, est fait très rapidement. Le "Mystère" en question n'est cependant pas celui que l'on croit. Une partie de l'histoire repose sur l'identité du patron du réseau de malfaiteurs ainsi que sur celle de Ric, grimé pour arriver à ses fins. Le scénariste joue sur les masques et les identités de façon intelligente, avec le concours de Tibet pour tromper le lecteur. Duchâteau, en utilisant astucieusement les quiproquos et en multipliant les rebondissements, allège la linéarité de l'intrigue et la rend moins évidente. Le lecteur pourra trouver ennuyeux, voire étriqué ce cadre touristique, peut-être pas le plus approprié ; une explication réside dans le fait que Duchâteau divise l'action de son histoire en deux ou trois lieux-clés, guère plus. La sensation de répétition ou de déjà-vu est donc davantage sensible. Bourdon intervient, bien sûr, sans faire office de deus ex machina ; sa présence est utile à Ric, mais notre commissaire ne parvient pas à faire avancer l'enquête de lui-même. Les personnages secondaires sont peu intéressants ; le retors Balthazar, le gérant de l'hôtel, sort néanmoins du lot. Quant à Ric, il est particulièrement malmené, dans cette affaire : il échappe à plusieurs noyades et est (légèrement) blessé par balle. En revanche, aucune mort - comme dans les deux aventures précédentes. Bagatelle surprenante et amusante : dans la neuvième planche, Ric fume la pipe. La partie graphique est très satisfaisante. Il faudra encore attendre quelque temps avant que le trait de Tibet atteigne sa maturité. On notera l'utilisation de flèches directionnelles pour orienter la lecture, preuve que la technique de découpage n'est pas tout à fait au point. Le lecteur appréciera l'œil pour le détail, les arrière-plans soignés, la restitution minutieuse des véhicules, ainsi que la variété des physionomies. La toute première case est remarquable ; Tibet et Mittéï sont parvenus à y recréer l'ambiance d'un quotidien, avec les bureaux les uns à côté des autres, la vue sur Paris, les brouillons au sol, la spécialisation des tâches, et surtout cette surprenante sensation d'effervescence.
"Mystère à Porquerolles" est une enquête qui ne soulèvera pas l'enthousiasme des foules ; il en émerge une certaine banalité. En revanche, le jeu des identités cachées fonctionne toujours lorsque le scénariste sait s'y prendre ; c'est justement le cas ici.
Les flèches directionnelles : tiens un autre exemple de l'utilisation de cette béquille visuelle, dans une BD où je n'aurais pas parié en trouver. Je partais avec l'a priori que toutes les cases étaient sagement alignées en bande bien horizontale.
RépondreSupprimerLes arrière-plans soignés : là encore, mes a priori m'auraient incité à supputer qu'ils étaient faits à l'économie, contresens total que j'ai bien rectifié grâce à tes explications sur les décoristes dont je ne pensais pas la présence si répandue.
Contrairement à ce que je pensais avoir lu, Mittéï fut l'assistant décors des trois premiers albums. Je croyais qu'il n'avait travaillé que sur le premier. Il y en aura d'autres : Dany, Christian Denayer, etc.
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