"L'Énigme des Blancs-Manteaux" est le premier tome des "Enquêtes de Nicolas Le Floch", série basée sur les adaptations des romans policiers historiques du Français Jean-François Parot (1946-2018), qui en a signé quatorze avec le personnage de Le Floch. Le concept a été lancé par Olivier Dobremel, dit Dobbs.
Cet album cartonné grand format de soixante-deux planches a été publié aux éditions RobinSon en août 2018, un label de la maison Hachette créé en 2018. Le scénario est coécrit par Dobbs, connu pour ses adaptations ("La Guerre des mondes", "L'Homme invisible"). Parot est crédité. Les illustrations sont réalisées par le Chinois Cai Feng, alias Chaiko, qui a travaillé sur "Hercule Poirot : Le Crime de l'Orient-Express" et "Shayne".
Voirie de Montfaucon, au nord-est de Paris, dans la nuit du 2 février 1761. Le tonnerre retentit et des éclairs strient le ciel. Deux hommes s'affairent autour d'une carriole à laquelle la monture est attelée. Le premier, Bricard, un personnage entre deux âges, est vêtu d'un manteau, coiffé d'un tricorne, et affublé d'une jambe de bois. Mal à l'aise, il porte un mouchoir à son nez et avoue à son comparse qu'il n'aime pas l'endroit ; avec la boue, il ne peut pas l'aider. De son autre main, il tient une lanterne en hauteur afin d'éclairer la besogne de son complice, Rapace, qui a descendu deux tonneaux et entreprend de faire rouler le premier jusqu'à l'équarrissage, en se moquant de Bricard. Il lui ordonne de prendre le fouet pour les rats et les chiens, et de ne pas oublier la hache pour accomplir leur tâche. Écœuré, Bricard se plaint de la puanteur et affirme sentir des présences. Rapace explique que c'est l'endroit idéal : tout le bétail mort en ville s'y retrouve. En été, par temps d'orage, ça chatouille les nez jusqu'aux Tuileries. Ne se souciant que de leur ouvrage, ils n'aperçoivent pas la vieille femme vêtue de haillons et cachée derrière les buissons et les arbres...
Dobbs se définit comme un "scénariste adaptateur". Ceux qui auront lu le roman "L'Énigme des Blancs-Manteaux" devront admettre que cette bande dessinée est aussi fidèle au matériau d'origine qu'il est possible de l'être en une soixantaine de planches. Cela sous-entend que Dobbs a procédé à quelques coupes claires ; il s'est donc débarrassé des plages narratives qui n'étaient pas essentielles à son scénario. Par exemple, l'introduction feuillue du livre, bien qu'importante pour la caractérisation de Nicolas, file à la trappe. Exit également, les passages introspectifs, souvenirs et informations sur l'enfance de Nicolas (certaines joutes verbales perdent une partie de leur signification). Les captivantes observations naturalistes des rues de Paris et de ses habitants ne sont plus qu'en filigrane. Cela pourra déstabiliser les familiers du roman et leur donnera l'impression d'une narration largement compressée ; le lecteur pourra avoir la sensation que les événements se succèdent à une vitesse folle. L'avantage est que la linéarité de l'intrigue est allégée, et qu'elle en devient presque imperceptible, tant les scènes s'enchaînent. Il reste, bien sûr, l'enquête en elle-même, car "L'Énigme des Blancs-Manteaux" est un roman policier, de détective, avec un meurtrier et un mobile à découvrir. Et, surtout, cette élégance fulgurante des dialogues avec des moments absolument remarquables ; retenons surtout l'échange avec Charles-Henri Sanson, le bourreau, personnage réel, qui démontre là, grâce à son expertise, une puissance de déduction et une logique qui n'ont rien à envier à l'Auguste Dupin d'Edgar Poe (1809-1849) ou au Sherlock Holmes d'Arthur Conan Doyle (1859-1930). La partie graphique est plutôt satisfaisante, malgré quelques défauts. Chaiko présente un trait réaliste d'un joli classicisme. Il assure la diversité de ses physionomies, et permet ainsi une identification immédiate des protagonistes. Il a un don pour mettre en valeur la beauté de certains visages et corps, ainsi que pour souligner l'élégance des silhouettes. Le lecteur pourra déceler un léger soupçon d'influence des mangas dans ces visages fins et harmonieux. Le découpage de l'artiste est très classique, ce qui convient à cet univers-là : on compte une petite dizaine de vignettes par planche, en trois à quatre bandes horizontales, sans surcharge de la densité. L'articulation de l'action est toujours claire et évidente. Enfin, il est regrettable que la mise en couleur soit aussi terne et sombre, sans teintes vives ; cela est voulu, mais la luminosité timide de la conclusion, synonyme d'espoir, est bienvenue.
"L'Énigme des Blancs-Manteaux" est peut-être une adaptation dont il vaut mieux ignorer le matériau d'origine pour pouvoir la savourer. L'album démontre la difficulté de l'exercice, et les choix et les renoncements auxquels le scénariste est confronté.
Étant bourré d'a priori, je ne me suis pas intéressé à cette BD, dérivée d'une série de romans dont j'ai offert quelques uns à ma mère, et peut-être même dérivée de la série télé, elle-même dérivée des romans. EN voyant un tel produit, je me dis que n'importe quel acheteur ne peut y voir qu'un sous-produit de la série télé. Visiblement, cet argument de vente suffit pour en écouler assez, et dans le même temps je me demande à qui s'adresse un tel produit.
RépondreSupprimerJe note que l'auteur a réussi à transposer une enquête policière dans un format BD et qu'elle se tient, ce qui n'est pas si facile que ça à réussir, la BD mettant souvent à nu les ficelles du mystère.
Je me suis intéressé à cette série (de romans) parce que je me disais qu'un croisement entre romans policiers à énigme et arrière-plan historique ne pouvait qu'être intéressant. La lecture de ce roman m'avait déçu, car j'avais trouvé l'intrigue touffue et mal construite, dans la mesure où Parot réparait des manquements du scénario en revenant sur des éléments chronologiquement antérieurs pour les modifier ou les compléter.
SupprimerJ'ai quand même lu cette BD par curiosité ; mais ce qui fait l'intérêt du roman, les dialogues, les descriptions naturalistes du Paris de cette époque, le mystère autour des origines du héros, tout cela perd en profondeur et en densité. Je ne continuerai pas cette série.
Je n'avais pas imaginé cette situation qui t'a conduit à espérer que la bande dessinée serait mieux racontée que le roman.
RépondreSupprimerQuand je songe au travail que demande une reconstitution historique en bande dessinée (où le lecteur peut prendre son temps d'examiner une case pendant 5 minutes si ça lui chante), je me dis que l'exercice est particulièrement risqué pour le dessinateur et qu'il doit lui falloir beaucoup de temps de recherche et d'étude pour parvenir à un résultat résistant à l’œil critique de ses lecteurs.
Je n'écris pourtant nulle part que j'espérais que la BD soit mieux racontée que le roman. C'est uniquement la curiosité qui m'avait poussé à lire cet album, puisque j'avais lu le roman.
SupprimerAu temps pour moi, j'ai sur-interprété ta réponse.
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, je me vois obligé de revenir sur mon affirmation que je ne lirai pas la suite. Le Père Noël passait dans le coin et le second tome est tombé de sa hotte pour atterrir dans mon "petit soulier". Je reviendrai donc à la charge avec "L'Homme au ventre de plomb". Si mon sentiment à la lecture du premier tome se confirme, ça devrait toutefois bien être le dernier, cette fois-ci !
SupprimerLe destin s'acharne contre toi. :)
RépondreSupprimerUn commentaire très court sur le tome 1 rédigé par quelqu'un qui n'a pas lu le livre.
http://bobd.over-blog.com/2019/07/l-enqueteur-et-la-sorciere/nicolas-le-floch-vs.la-strega.html
C'est bref, mais intéressant (en revanche, pour la musique, j'aurais mis du bon baroque de l'époque, ça me semble tellement évident).
SupprimerJe serai dans la situation de l'auteur de ce billet à la lecture du second tome, puisque j'ai arrêté les romans à l'issue du premier.