samedi 11 janvier 2020

Airborne 44 (tome 1) : "Là où tombent les hommes" (Casterman ; septembre 2009)

"Là où tombent les hommes" est le premier volume de "Airborne 44", une série sur la Seconde Guerre mondiale publiée chez Casterman en huit numéros publiés entre 2009 et mai 2019. La série est aujourd'hui terminée. Sorti en septembre 2009, cet album cartonné grand format comporte quarante-six planches. 
"Là où tombent les hommes" est entièrement réalisé (scénario, dessin, et mise en couleur) par le Liégeois Philippe Jarbinet, également connu pour "Mémoire de cendres" et "Sam Bracken". 

Belgique, dans les cantons de l'Est, début du mois de janvier 1945. Rachel et Louis, deux jeunes adolescents, sont accroupis au pied d'un arbre, dans la forêt, devant un soldat américain grièvement blessé qui gît dans la neige. Ils lui tiennent la main et le supplient de ne pas mourir. Derrière eux, leurs poursuivants se font entendre ; ça y est, ils ont été repérés et sont sur le point d'être rattrapés. Trois semaines plus tôt, le 15 décembre. Rachel fait l'inventaire de sa besace : pommes, fromage, pain, lait, un couteau, des allumettes, du papier, une carte, et vingt francs. Louis n'écoute pas ; il a perdu sa kippa dans la grange. Rachel s’étonne ; ils n'ont pas le temps. Louis lui demande de la lumière. Rachel tente de lui faire entendre raison ; elle, de son côté, enterre déjà leurs étoiles jaunes dans la grange. Louis insiste à nouveau ; c'est le dernier cadeau que lui a fait leur père. Touchée, elle finit par céder. Lorsqu'il se met à pleurer, elle le prend dans ses bras, le console, et lui promet qu'il vont retrouver sa calotte. Ils quittent l'endroit un instant avant l'aurore. Autour d'eux, les rues et les maisons du village semblent recouvertes d'un voile triste et grisâtre. Louis se plaint du froid. Sa sœur lui ordonne d'avancer. Quinze jours plus tôt, le 21 décembre, en forêt des Ardennes. Deux soldats, un Américain et un Allemand, se tiennent respectivement en joue des deux bords d'un cours d'eau, à quelques pas l'un de l'autre... 

Jarbinet débute sa série par un diptyque ; c'est l'une des caractéristiques de ce titre, qui est composé de quatre diptyques au total. D'emblée, le scénariste contourne la question de la linéarité un récit construit sur trois lignes temporelles chronologiquement très proches les unes des autres (une à deux semaines). Assez rapidement, cependant (au bout d'une petite quinzaine de pages), deux des fils se rejoignent pour ne plus en former qu'un. Pour autant, la linéarité ne se ressent pas, car Jarbinet exploite surtout la relation entre la Belge Gabrielle Osterlin et le sergent américain Luther C. Yepsen. Lorsque démarre l'action, la fameuse bataille des Ardennes n'a commencé que depuis quelques jours. Jarbinet ne manque aucune occasion de rappeler les conséquences de ce conflit long et meurtrier ; les couples qui se séparent à distance, les morts, les blessés, et les mutilations, les mines et autres pièges, les face-à-face inopinés, les exécutions sommaires (entre SS ? Pour une simple prise de bec ? Difficile à croire...), les privations des civils, les conditions climatiques particulièrement pénibles qui ont fait la légende de cette bataille (le froid, la neige), les traumatismes psychologiques causés par les horreurs de la guerre, ou encore les drames personnels, comme ceux de Louis et Rachel, ces jeunes juifs dont la fuite ne peut pas s'arrêter, ou d'Egon Kellerman, ce Belge germanophone issu des cantons de l'Est, et enrôlé de force dans la Wehrmacht (contrairement à ce que l'on peut lire dans certains commentaires, ce n'est pas un "malgré-nous", expression désignant les Alsaciens et les Lorrains). Yepsen et ses deux compagnons d'armes, Landseadel et Christman, sont ici comme coupés de ce monde en guerre (les vêtements civils endossés par Yepsen sont symboliques). La vie reprend alors timidement ses droits dans des scènes qui manquent néanmoins de justesse ; ce flirt maniéré entre Luther et Gabrielle, ou l'attitude incompréhensible de Landseadel, qui dévoile les cauchemars de son ami à une inconnue, ne convainquent pas, pas plus que les séquelles de la bataille de Carentan. Réalité et cruauté du hasard montrent ensuite à nouveau leur nez... Jarbinet produit sa partie graphique en couleur directe. Son style est réaliste et détaillé (véhicules, épaves de chars, bâtiments, uniformes, intérieurs, etc.), et les cases et arrière-plans sont soignés. Il y a une faiblesse sporadique dans l'expressivité de ses visages. Son trait laisse supposer l'influence d'Hermann, mais en moins abouti et avec une personnalité moins marquée. La mise en couleur est assez terne. 

Malgré ses qualités artistiques et son originalité pour un récit de guerre, "Là où tombent les hommes" pâtit de maniérisme dans le traitement de la caractérisation de protagonistes très idéalisés, et d'éléments scénaristiques pas toujours convaincants. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz

4 commentaires:

  1. Lire ton analyse m'a provoqué des sueurs froides rien qu'à l'idée du bagage historique nécessaire pour resituer le récit entre a Bataille des Ardennes et celle de Carentan, sans oublier les Malgré-Nous. :) Je vais en faire des cauchemars cette nuit.

    C'est étrange : à regarder la couverture, je n'aurais jamais soupçonné que l'artiste est réalisé ses planches intérieures en couleur directe, un choix de couverture bizarre.

    En fait ton analyse met l'eau à la bouche sur la reconstitution historique, et l'occasion ainsi donnée de se plonger dans cette période. Mais pour le moment, d'autres BD historiques m'attendent déjà dans ma pile. Par contre, je suis très curieux de découvrir si l'auteur s'améliore au fil de la série.

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    1. Je ne pourrai pas répondre à ton dernier point, car ce premier tome m'a suffisamment déçu pour me convaincre de ne pas aller plus loin ; il est probable que j'en aie trop attendu, ayant lu des critique dithyrambiques ici et là. Écarter une série au bout d'un tome peu sembler un peu raide, mais ma pile ne baisse pas assez vite à mon goût, donc c'est sans remords, d'autant que le rythme de publication des nouveautés ne diminue pas.

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  2. Le rythme de publication : j'ai le nombre de 5.000 sorties par an (tout confondu : nouveautés, rééditions, comics, manga), soit 13 parutions par jour sur 365 jours. Ce constat m'a amené à me dire que suivre les nouveautés dépasse de loin mes capacités de lecture. D'expérience, même en essayant de me limiter aux nouveautés de quelques auteurs, ça va encore trop vite : ma pile continue à grandir quand même.

    Interrompre une série : je me disais que je n'ai pas dû faire ça souvent, mais en fait ça m'arrive aussi. Je n'ai pioché que quelques tomes des Bidochon, je n'ai pas continué les Cavaliers de l'Apocadispe. Je n'ai pas persévéré dans ma découverte des BD de Daniel Goosens. J'ai arrêté Alix Senator au bout de 3 tomes... Finalement, ça en fait plus que je ne pensais.

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    1. Effectivement ; le dernier nombre que j'ai en mémoire tend même plus vers 6.000 publications que vers 5.000.
      Je ne sais pas combien de BD tu lis et chroniques par an ; je m'amuse à tenir un petit historique. L'année 2019 a été celle de mon record, jusqu'ici, avec 120 lectures et autant de commentaires. On parle donc d'une moyenne de 10 ouvrages par mois ou d'un tous les trois jours ; je ne pense pas pouvoir faire beaucoup plus.

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