vendredi 10 janvier 2020

Grant Morrison présente Batman (tome 8) : "Requiem" (Urban Comics ; mai 2014)

"Requiem", publié dans la collection "DC Signatures" d'Urban Comics en mai 2014, est le huitième volume de la série consacrée au Batman de Grant Morrison. Ce recueil cartonné d'approximativement deux cent soixante dix planches contient la quasi-intégralité de la seconde série "Batman Incorporated", à savoir les #0 à 13 (juillet 2012 à septembre 2013) ; "quasi", car le #11 (juillet 2013), qui n'a pas été écrit par Morrison, a donc été exclu de cet album. 
Morrison écrit tous les numéros, dont le #0 avec Chris Burnham. À l'exception du #0, dont la partie graphique est confiée à Frazer Irving, Burnham illustre tous les épisodes, avec Andres Guinaldo dans le #6, Jason Masters dans les #8-10, et Andrei Bressan dans le #10. Outre Burnham, Masters, et Bressan, Javier Bergatiño (BIT) participe aussi à l'encrage. Nathan Fairbairn et Jason Masters (avec les studios Hi-Fi Design) sont chargés de la mise en couleur. 

À l'issue du tome précédent, Léviathan annonce à Batman que la tête de Robin vient d'être mise à prix, pour un demi-milliard de dollars, et, lui déclarant la guerre, elle se dévoile : Talia Al-Ghul.
Bruce Wayne, depuis la Wayne Tower, préside une réunion du conseil d'administration de Wayne Enterprises, et évoque l'objectif qu'il s'est fixé le jour où ses parents ont été assassinés : éradiquer le crime des rues de Gotham City. La Fondation Wayne permet de lutter contre la pauvreté, mère du crime, et le programme Victimes, Inc. s'occupe de ses conséquences. Bruce souhaite passer à la phase suivante : employer les ressources du groupe non seulement à améliorer Gotham City, mais aussi à changer le monde. Il demande à ses actionnaires et aux investisseurs de l'accompagner dans cette aventure, avant de donner la parole à Lucius Fox, qui balaie quelques objections. Bruce mentionne ensuite plusieurs vocations inspirées par Batman et annonce qu'il désire créer et déployer un réseau international de combattants contre le crime...

Morrison achève sa grande et brillante fresque sur Batman avec une histoire absolument passionnante en treize parties. Il faudra focaliser son attention et se rafraîchir la mémoire avec le tome précédent, car plusieurs sous-intrigues semées antérieurement trouvent là des explications et une conclusion. Morrison construit ces épisodes autour d'un jeu de miroir et d'opposition. Un affrontement sans frontière entre le Bien et le Mal (le concept de super-héros contre le chaos, Léviathan), entre Bruce et Talia, deux anciens amants, deux parents séparés. Entre deux visions, deux idéologies que tout divise, aussi ; Talia critique le paternalisme des Wayne dans leur façon de vouloir élever la condition des pauvres, tandis que les Al-Ghul leur "distribuent des armes, leur donnent des slogans, et les mettent au travail pour bâtir un empire". Morrison met en scène les dérives de cette sanglante révolution, censée favoriser l'émergence d'un nouvel ordre social en précipitant le déclin de l'empire américain et en faire cesser la suprématie de l'Occident. Avec Wayne mis à l'index et l'iconoclasme ambiant, c'est l'idée de conglomérat bienveillant œuvrant pour le bien commun qui est menacée. L'auteur repousse les limites de la notion d'affrontement propre au genre ; les deux côtés sont au-delà de toute possibilité de conciliation. Au milieu, Damian, symbole de l'enfant : enjeu des désirs et des fantasmes, source de la discorde, qui, en définitive, est celui qui pâtit le plus de la déchirure abyssale entre ses parents du fait du choix sacrificiel qui s'impose à lui comme seule issue. Les liens familiaux sont omniprésents : difficulté des relations mère-fils (Talia - Damian), père-fille (Ra's - Talia), ou père-fils (Bruce - Damian). Autour d'une incroyable diversité des couches de lecture se déploie une intrigue remarquablement dosée et au rythme sublimement contrôlé, agrémentée de scènes-chocs et provocatrices. Notons le duel au sabre entre Batman et Talia, clin d'œil évident au "Batman" #244 de septembre 1972. Enfin, Burnham parachève magistralement cet aboutissement ; son style semi-réaliste enclin à une surexpressivité maîtrisée au trait soigné, détaillé, énergique, fluide, est irrésistible. Cette mise en couleur riche en contrastes, vive, est parfaite. 
Alex Nikolavitch réalise une traduction qui est globalement honorable, mais son texte est pollué par trois vilaines fautes : d'orthographe ("étouffer" prend deux "f"), de conjugaison (verbe "égaler"), et de mode (un conditionnel au lieu d'un futur simple). 

Morrison, avec "Requiem", tire une révérence magistrale sur ce qui peut déjà être considéré comme l'une des plus grandes périodes de ce formidable personnage de fiction qu'est Batman ; la somme comporte des défauts, mais elle est indispensable.

Mon verdict : ★★★★★ 

Barbüz

6 commentaires:

  1. Je n'ai pas encore lu ces épisodes, mais je n'ai pas pu résister à l'envie de lire ton article. Tu expliques que Grant Morrison achève son œuvre sur le thème de l'enfant / du fils, ce qui me fait déjà plaisir, car il l'a débutée avec l'introduction de Damian, démarquage provocateur modifiant le statu quo du personnage de Bruce Wayne, et dont il a prouvé la viabilité. Peu de scénaristes peuvent se vanter d'avoir ainsi modifié durablement Batman, ou d'avoir apporté un tel ajout majeur et durable.

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    1. À propos de la partie graphique, j'aurais pu souligner également le travail admirable d'Irving dans le #0 ; je sais que c'est un artiste que nous apprécions tous les deux. Trop tard, et de toute façon je n'avais plus de place, à moins de tailler dans le reste et je n'en avais pas envie. Au moins, j'y aurai remédié dans ce petit P-S.

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  2. Maintenant que je le vois écrit dans ta réponse, je me rends compte qu'ensuite Grant Morrison a écrit une histoire pour Frazer Irving (Annihilator, 2014/2015) et une pour Chris Burnham (Nameless, 2015).

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  3. Un fin en apothéose ! Quel run que nous a offert Morrison. Un bien belle review également, beau travail !

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    1. Merci d'être passé et d'avoir laissé ce petit mot très sympathique ; je passe du temps sur mes articles, donc de tels encouragements me font plaisir. 

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