dimanche 5 janvier 2020

Tif et Tondu (tome 2) : "Le Trésor d'Alaric" (Dupuis ; janvier 1954)

"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée en 1938 par le Belge Fernand Dineur (1904-1956) ; son historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes évoluant avec le temps. Si Dineur cumule au début les postes de scénariste et de dessinateur, cela changera à l'arrivée de Willy Maltaite, alias Will (1927-2000), qui en deviendra l'illustrateur en 1949. Dineur quittera le titre en 1951 ; il sera remplacé par Henri Gillain, alias Luc Bermar (1913-1999), puis par Albert Desprechins (1927-1992) avant que Maurice Rosy ne vienne s'installer durablement. 
"Le Trésor d'Alaric" fut en premier lieu publié dans le journal "Spirou", du nº752 (11 septembre 1952) au nº795 (9 juillet 1953), puis sous forme d'album en janvier 1954. C'est le deuxième tome de ce qui est appelé la "seconde série classique". Gillain en écrit le scénario (il utilisa le pseudonyme de Luc Bermar pour la prépublication), et succède ainsi à Dineur. Enfin, Will assure la partie graphique : le dessin, l'encrage, et la mise en couleur. 

Tif et Tondu, désormais associés en affaires, commercialisent les aspirateurs de l'entreprise Avaltou ; Tif s'occupe du porte-à-porte, tandis que Tondu attend dans leur voiture en lisant la gazette des sports. Au nº51 de la rue de la Paix, Tif est éconduit par un professeur de judo passablement énervé. Reprenant ses esprits, il accepte ce refus musclé avec philosophie, mais le gaillard lui balance sa "camelote". C'est alors Tondu qui réagit, et, à la suite d'une manœuvre automobile habile et précise, il récupère leur appareil. Il note consciencieusement leur déconvenue dans son carnet personnel. Puis Tif se présente au nº53, où il est accueilli par une jeune femme en tenue de travail, qui lui répond qu'il arrive trop tard : elle vient de terminer son nettoyage. Tif déploie son argumentaire et explique que des millions de poussières et de microbes ont certainement échappé à sa vigilance. Intriguée, la ménagère finit par le laisser entrer...

Lorsque l'histoire commence, Tif et Tondu ont un métier ordinaire qui ne leur réussit pas ; le sort semble s'acharner contre eux et leur empêche de vendre le moindre aspirateur. Gillain emploie une série de gags en cascade pour remettre nos héros sur le droit chemin, celui de l'aventure. Le scénariste nous invite à suivre Tif et Tondu dans une intrigue construite sur le modèle de la chasse au trésor. Les deux personnages sont, comme dans "La Villa Sans-Souci", victimes d'un groupe de malfrats (ici, une société secrète calabraise). L'auteur n'hésite pas à user de quelques stéréotypes à des fins comiques : le salon de coiffure qui fait également office de café et de charcuterie, la place laissée à la femme dans les "affaires", l'utilisation du scooter de type Vespa, ou encore ce sens de l'honneur exacerbé. Si, dans le premier tome, Tif et Tondu étaient souvent les dindons de la farce, ici le scénariste se gausse gentiment de ces chercheurs de trésors qui épluchent des bibliothèques entières pour y découvrir le moindre indice, et qui se plongent, dès qu'ils ont une piste, avec un enthousiasme débordant dans des entreprises onéreuses à l'issue pourtant incertaine. "Le Trésor d'Alaric" est un peu déséquilibré par un prologue assez long, qui occupe plus de vingt des quarante-six planches ; la deuxième moitié s'enchaîne néanmoins sans temps mort et se lit sans déplaisir, malgré les invraisemblances et heureux hasards. C'est une histoire divertissante dont la fin déroutante surprendra assurément le lecteur. La partie graphique est honorable, mais ce n'est sûrement pas dans cet album qu'il faudra chercher les plus belles planches de Will. Il faut pourtant noter l'étonnante densité de cases, puisque l'on parle (cette moyenne est approximative) de près d'une quinzaine de vignettes par planche. Le dessinateur est soumis à des impératifs de productivité ; il ne peut pas soigner toutes les illustrations de la même manière. Cela implique des contraintes artistiques ; l'ensemble est relativement sommaire, et les arrière-plans sont souvent réduits à leur plus simple expression. Mais Will parvient à insérer quelques détails dans ses compositions, en se permettant tout bonnement certaines (rares) cases de dimensions plus importantes. La troisième case de la cinquième planche, par exemple, est notable ; la terrasse d'un café à la française, avec son store, les clients, les supports publicitaires environnants, le garçonnet, avec son jouet, et le vendeur de journaux à la criée. La mise en couleur présente un défaut, les personnages exhibant souvent un teint vaguement jaunâtre. 

"Le Trésor d'Alaric" sera le seul volume complet que Gillain écrira ("complet", car il aura apporté la touche finale à "La Villa Sans-Souci"). La maison Dupuis refusant le synopsis intitulé "La Bataille du pétrole" qu'il lui soumettra, Gillain quittera la série. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz

4 commentaires:

  1. Je te remercie pour le lien en rappel sur la Seconde série classique, parce que j'avais oublié depuis le premier article.

    La place laissée à la femme dans les affaires : est-ce franchement misogyne dans cette BD ? J'avoue un plaisir coupable : celui de la caricature de la ménagère dans la série Robin Dubois de Turk & De Groot. C'est énorme, daté, politiquement incorrect, mais ça me fait rire.

    J'ai bien aimé ton énumération des éléments de décors de la troisième case de la cinquième planche. Il m'arrive souvent de refermer une BD avec la sensation d'un dessin pauvre, et de découvrir ce à quoi je n'avais pas fait attention après coup, en la feuilletant pour prendre des notes avant de rédiger.

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    1. Concernant la place de la femme, je dis simplement que c'est un stéréotype ; je ne juge pas le caractère éventuellement misogyne. Mais ça et le café qui sert de salon de coiffure, avec les salaisons qui pendent du plafond, et le bandit au sens de l'honneur exacerbé qui va prévenir ses complices en Vespa. Ce sont des clichés amusants qui m'ont fait sourire.

      Tu prends donc des notes pour tes articles ? Ça m'intéresse de savoir comment tu les travailles et quelle est la durée moyenne que tu passes sur un article.

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  2. Pour mes articles BD franco-belge : je commence par lire la BD pour le plaisir sans prendre de note. Il m'arrive parfois de me dire qu'il faut absolument que je retienne tel moment ou telle répartie, mais je peux oublier d'ici à ce que je rédige.

    Je relève quelques citations (recopiage sur un fichier Word) pour intégrer sur Babelio. Je réalise le paragraphe introductif, en allant chercher des détails sur les auteurs si je trouve que ça peut apporter quelque chose, et parfois (suivant ton exemple) je vérifie la pagination de la BD. J'évoque la présence ou non d'une introduction (si je trouve que ça vaut le coup d'en parler, comme pour les tomes de la petite bédéthèque des savoirs), ce qui peut m'amener à jeter un coup d'œil sur l'identité de l'auteur de l'introduction.

    Pour les BD franco-belge, je prends systématiquement des notes plus ou moins étoffées (sur le même fichier Word, entre une demi page et 2 pages) parce que j'ai lu des comics entretemps, parce que je ne rédige pas d'une seule traite, parce que le thème peut m'amener à consulter un ou plusieurs articles généralistes sur wikipedia (par exemple celui sur George Dubuffet pour mieux situer son rôle dans la mise en avant de l'art brut). Ce sont les BD historiques qui exigent le plus de recherches et compléments en ce qui me concerne : je suis inculte en la matière (une forme d'incompatibilité pathologique, ça rentre par une oreille et ça ressort par l'autre aussi vite). Une autre forme de BD qui me demande beaucoup de travail préparatoire à l'article est l'anthologie ou le recueil d'histoires courtes, par exemple Les Bidochon, Réalités obliques (de Clarke), 50 nuances de grecs (sur les mythes grecs) parce qu'il faut que je relève de quoi parle chaque histoire ou chaque entrée, pour après composer une structure.

    Vient ensuite le temps de l'écriture (environ 90mn) avec la BD à côté pour m'assurer que ce que je raconte est bien dedans, pour avoir les images sous les yeux, puis de la relecture quelques jours après pour chasser la faute (et j'en laisse toujours passer, snif), puis la recherche de l'iconographie (qui peut parfois être fastidieuse et frustrante comme pour la série Caroline Baldwin ou Jessica Blandy parce qu'il n'y a pas beaucoup de choix pour les premiers tomes).

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    1. C'est très instructif, merci de ces précisions.

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