"L'Autre Terre" est un "graphic novel" consacré à la Ligue de Justice (Justice League), sorti en VO sous le titre "JLA: Earth 2", en septembre 2000. Ce volume à la couverture cartonnée (au format 18,5 × 28,5 centimètres) comporte une aventure complète et indépendante (comprendre : hors Continuité) d'une centaine de planches, à laquelle vient s'adjoindre une quarantaine de pages de bonus divers (recherches, script, ébauches de découpage, biographies des auteurs). Cette édition est la seconde de l'œuvre en français, la première étant celle de Soleil en novembre 2000.
Grant Morrison écrit le scénario, son dernier en date pour cette franchise, sur laquelle il travaillait depuis quatre ans, à cette époque. Le dessin et l'encrage sont réalisés par Frank Quitely, qui n'avait collaboré avec Morrison qu'une fois, sur "Flex Mentallo" (en 1996) ; c'est Laura Martin qui s'occupe de la mise en couleur.
La base du Syndicat du Crime, sur Terre-2. Ultraman y informe Superwoman et Owlman qu'Alexander Luthor s'est échappé. Il a utilisé une machine extraterrestre de la Forteresse d'Ultraman. Ils ont perdu sa trace à cause d'une distorsion gravitationnelle. Lorsqu'Owlman lui demande ce qu'il compte faire, Ultraman répond qu'il a bien l'intention d'en profiter au maximum. Ailleurs, une navette spatiale traverse un portail d'énergie, continue son trajet en direction de la Terre, puis le termine dans un champ immense, où elle s'écrase. Un couple de jeunes autochtones passait justement par là dans leur camionnette ; d'abord, c'est la batterie de leur véhicule qui lâche, puis c'est au tour de la radio. Ethan, malgré ses mises en garde, ne parvient pas à stopper sa chérie, qui court vers le lieu d'atterrissage sans l'écouter ; après tout, il est possible qu'il y ait des blessés. Lorsqu'elle arrive sur place, elle ne peut réprimer un mouvement de surprise, car l'être dont l'aéronef s'est écrasé est un humain. Ce n'est autre qu'Alexander Luthor en effet, qui retire son casque, sarcastique...
"L'Autre Terre" est, en quelque sorte, le chant du cygne de Morrison sur la franchise de la Ligue de Justice. À cette occasion, l'Écossais explore une partie du multivers (l'univers d'antimatière), s'inspire d'une version inversée de la JLA, le Crime Syndicate of America de Terre-3, créé par Gardner Fox (1911-1986) et Mike Sekowsky dans le "Justice League" #29 d'août 1964, et développe une intrigue autour d'un risque d'apocalypse cosmique. En premier lieu, l'auteur prend soin de moderniser l'équipe de super-vilains (une de ses marques de fabrique), tombée en désuétude depuis l'événement "Crisis on Infinite Earths" en 1985. À l'origine, le Johnny Quick de Terre-3, par exemple, tire sa vélocité de son casque ; ici, Morrison change la source du pouvoir en une drogue, que le bolide, toxicomane, s'injecte à l'aide d'une seringue. Owlman vient d'une Gotham City encore plus corrompue, bien pire que celle d'origine. Ultraman est un Superman dévoyé, cynique, sadique, autoritaire, sans le moindre esprit de compassion. Super-Woman n'est plus une Amazone pervertie, mais la Lois Lane de Terre-2, véritable nymphomane qui collectionne les partenaires sexuels, tout en restant ouverte à de nouvelles "expériences" (voir son dialogue sans ambiguïté avec le Limier martien). Morrison s'amuse avec les possibilités qu'offre cet ensemble de reflets déformés des membres de la Ligue de Justice, dont l'exploitation des facettes iconoclastes de ces super-vilains ; là, par exemple, la relation entre Ultraman et Owlman est bien plus tendue que ne l'est celle entre Superman et Batman, et le triangle amoureux, avec une rivalité entre les deux hommes autour de Super-Woman, en est vraiment un. Cela fonctionne, mais le lecteur pourra avoir le sentiment que la dynamique faiblit. Enfin, Morrison met en scène une métaphore sur l'opposition entre bien et du mal qui pèche par excès d'absurdité, et cette menace de catastrophe interplanétaire est bien trop démesurée pour captiver. La partie graphique de Quitely est une réussite. Son style très personnel au trait méticuleux, plutôt réaliste et très expressif avec une tendance à peine discernable à la caricature, est aussi réellement spectaculaire, en témoignent ces multiples simples ou doubles planches.
La traduction de Laurent Queyssi est absolument irréprochable ; aucune faute, aucune coquille n'a été relevée dans le texte. Les bonus n'apportent pas grand-chose à la compréhension du récit ou à son interprétation ; reste un joli spécimen de script.
Morrison produit une histoire passable au mieux (une fois n'est pas coutume), dont l'enjeu est tellement énorme qu'il en perd toute puissance de conviction. Le jeu des oppositions fonctionne, mais s'essouffle. Une réédition qui n'était pas indispensable.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Je n'ai lu cette histoire qu'une seule fois dans des conditions moyennes (debout dans un rayon de la FNAC pendant une pause déjeuner à l'occasion de la première édition VF en 2000) et je n'en ai pas gardé grand souvenir. Je dois l'avoir dans un recueil dans une pile : je la ressortirai à l'occasion, mais avec enthousiasme tempéré au vu de ce que tu dis du scénario.
RépondreSupprimerLa traduction de Laurent Queyssi est absolument irréprochable : ça se fête ? :)
Je ne suis pas sûr d'avoir saisi la référence à un récit de Lobo inédit : inédit en VF, inédit en VO ? Je ne me souviens pas que Frank Quitely ait illustré une histoire de Lobo.
À nouveau déçu ; je crois que c'était ma troisième ou quatrième lecture, et l'ouvrage n'en mérite pas tant. Enfin, l'éditeur français a dû se dire que le nom de Morrison ferait vendre.
SupprimerOui, c'est trop rare, ces ouvrages où il n'y a pas de faute : je me dis parfois que certains mériteraient le pilon directement.
Merci d'avoir attiré mon attention sur le "Lobo" inédit. J'ai fait une erreur : ce n'est pas avec Morrison, mais avec Alan Grant (je vais corriger ça). En revanche, je confirme le caractère inédit (VO). Extrait de sa bio Wikipédia (tu as l'hyperlien dans mon second paragraphe) : "Quitely and Grant worked on a one-shot titled "Lobo: The Hand-to-Hand Job" later retitled as "It's a Man's World". Although Quitely did all the pencils, the story was not released."