mercredi 4 mars 2020

"L'Art du sushi" (Delcourt ; avril 2019)

"L'Art du sushi" est un album paru chez Delcourt en avril 2019. Ce recueil à la couverture cartonnée (au format 20,2 × 26,3 cm) compte cent quarante-quatre planches en noir et blanc avec des nuances de gris et des zestes de couleur par endroit, et une dizaine de pages illustrées avec des recettes en bonus. 
"L'Art du sushi" a été entièrement réalisé par l'illustrateur et graphiste Franckie Alarcon, scénario, dessin, encrage, et mise en couleur. Alarcon n'en est pas à sa première bande dessinée ; en 2014, il a publié, chez Delcourt là aussi, "Les Secrets du chocolat", ouvrage sur Jacques Genin, le chocolatier parisien. 

Quelque part à Paris, ou en Région parisienne. Franckie Alarcon est chez lui. Il est en train de s'essayer à la préparation de makis. Debout devant son plan de travail, équipé d'un tablier, il cherche sa natte et ses algues nori. Devant lui, de la sauce de soja, du riz, un superbe morceau de saumon, des crevettes, et un tube de wasabi. Il a retrouvé sa natte et y a posé une feuille de nori qu'il a garnie de riz. Il procède à la découpe du poisson, qu'il roule dans le riz et l'algue. Il retire la natte et contemple son rouleau avec fierté. Un couteau affûté à la main, il tranche sa préparation en rondelles de même épaisseur, avant de disposer ses makis sur un petit plateau avec application. Franckie se dit qu'il va publier le résultat de son travail sur Facebook pour épater les amis. Il prend quelques photos qu'il partage dans la foulée. Les premières notifications ne se font pas attendre ! Il s'agit d'une amie, Chihiro, qui a plussoyé sa photo et qui a ajouté un commentaire. Certes, ses makis sont jolis, mais ils sont ronds ; or, un maki, ça doit être carré. Peut-être Franckie a-t-il mal utilisé son "makisu" (sa natte) ? Un instant déconcerté, Franckie lui demande tout de go de lui apprendre à faire les makis ; elle ne peut pas, mais elle lui propose de le mettre en rapport avec "un grand maître sushi"... 

Alarcon, dans son album-reportage sur le sushi en bande dessinée, aborde la question sous tous ses aspects. Ce plat emblématique de la haute-gastronomie japonaise, avec tout son folklore et sa tradition, trouve des déclinaisons nouvelles chez de jeunes chefs qui aspirent à le rendre accessible, et a fini par se démocratiser dans des lieux moins élitistes. L'auteur, au gré des rencontres, découvre le poisson frais au gigantesque marché de Tsukiji - ce passage est une révélation pour le néophyte en la matière, notamment avec la surprenante technique de l'ikejime, la coutellerie - là aussi, un artisanat symbolique où la tradition a toute son importance, la pêche, les producteurs de riz, le saké et ses verres en céramique, les algues nori, la fabrication du shoyu, la sauce soja, et le wasabi. Si Hachiro Mizutani, le grand chef japonais, en gardien de la tradition, exprime nettement son refus de s'inspirer d'autres cuisines, Alarcon évoque un pont entre ces deux immenses cultures culinaires que sont le Japon et la France avec L'Abysse, le restaurant à sushi du chef étoilé Yannick Alléno et de son cuisinier japonais Yasunari Okazaki, qui réussit à renouveler le propos en élargissant l'horizon de départ. Alarcon insuffle à sa narration une bonne humeur et un enthousiasme qui permettent d'aborder le sujet avec décontraction, autrement que comme un reportage sérieux ordinaire. L'auteur sème quelques plaisanteries par endroit - l'humour est assez candide - et des observations sur la discipline ou l'art de vivre japonais, en encourageant la comparaison avec la France. Pour sa partie graphique, Alarcon réalise ses illustrations en noir et blanc, avec des nuances de gris pour son encrage. Il utilise fréquemment des touches de couleur pour mettre un objet, un ingrédient, ou un ustensile en évidence. Cela joue sur les sens, en éveillant l'appétit, en faisant appel au goût, donc, et permet d'éviter la monotonie visuelle. S'il soigne la physionomie de ses interlocuteurs et de ses hôtes, Alarcon lui-même et ses amis sont représentés avec des silhouettes et des visages plus sommaires, dans un style proche de la caricature (longs nez pointus, points pour les yeux, etc.). Son découpage est simple et limpide. On regrettera la relative pauvreté des bonus ; quelques recettes supplémentaires auraient été bienvenues. Pour ses bonnes adresses, Alarcon, à l'exception de Brest dont il est originaire, s'est focalisé sur Paris ; il n'y a rien en province ? Enfin, un lexique reprenant les termes employés, et - pourquoi pas - de courtes fiches illustrées sur les principaux poissons auraient été bien utiles. 

Cette bande dessinée rend hommage non seulement à la gastronomie nippone, mais aussi à la tradition et à l'art de vivre à la japonaise. Malgré les limites de ce type d'ouvrage, "L'Art du sushi" remplit sa fonction : divertir, instruire, et ouvrir l'appétit. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz

4 commentaires:

  1. Une BD culinaire : voilà un genre dans lequel je n'ai fait que de timides incursions, Le maître chocolatier, Le gourmet solitaire (Masayumi Kusumi & Jirô Taniguchi). Un album reportage : en lisant cette expression, je me suis rendu compte que c'est ce que j'attendais du Maître chocolatier, et que cette composante n'était pas très développée.

    Les liens vers wikipedia m'ont été particulièrement utiles pour cet article. J'ai trouvé ton analyse très claire quant au contenu de la BD, me permettant bien de appréhender son approche. As-tu terminé la lecture avec l'eau à la bouche ? C'est ce qui m'était arrivé avec Le gourmet solitaire :)

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    1. Effectivement, j'ai eu l'eau à la bouche. Presque dès le départ, en fait. Cet achat n'est pas un hasard ; je suis amateur de cuisine japonaise et j'adore les sushis, sans pour autant prétendre être un fin connaisseur. Donc oui, cela m'a mis en appétit assez rapidement, dès l'évocation des premiers sushis préparés dans le restaurant d'Hachiro Mizutani. Mais mon sens du goût a connu les montagnes russes, notamment à l'évocation du sushi de poulpe au thé vert ; je ne suis pas friand du premier et ne raffole pas du goût du second. Idem avec l'anguille. L'eau à la bouche est revenue à l'évocation de la carte de L'Abysse (deux étoiles au Michelin).
      J'ai vu qu'Alarcon avait également produit un album sur le chocolat ; à l'occasion...

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    2. Je suis allé consulter les premières planches de Les secrets du chocolat sur amazon : ça a l'air très bien, et je me suis tout de suite mis à la recherche d'une tablette.

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    3. En effet ! C'est exactement le même style graphique, mais avec beaucoup plus de couleur.

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