"La Saga de Ra's Al-Ghul" est un recueil à couverture cartonnée de deux cent quatre-vingts planches (l'ouvrage ne comprend aucun bonus). Il est sorti en juillet 2014 dans la collection "DC Nemesis" d'Urban Comics ; cette dernière réunit des récits dont les vilains de DC Comics sont les personnages principaux. Au sommaire, trois histoires complètes : "La Naissance du Démon" ("Batman: Birth of the Demon", publié en janvier 1993 en VO), "Le Fils du Démon" ("Batman: Son of the Demon", de septembre 1987), ainsi que "La Fiancée du Démon" ("Batman: Bride of the Demon", janvier 1991).
"La Naissance du Démon" a été écrit par Dennis O'Neil. La partie graphique a été entièrement produite par Norm Breyfogle (1960-2018) : dessin, encrage et mise en couleur. "Le Fils du Démon" a été scénarisé par Mike W. Barr, et intégralement illustré par Jerry Bingham, dont le travail sur ce titre a été récompensé d'un Golden Apple Award. Barr est aussi l'auteur de "La Fiancée du Démon", dont le Britannique Tom Grindberg a composé la partie artistique.
Une nuit, quelque part aux États-Unis, en bordure d'un fleuve, ou d'une rivière. Sur une colline lugubre, où se dressent des arbres décharnés aux branches tordues, se trouve le site d'un édifice tombé en ruines après avoir brûlé. Un individu de type arabe d'une soixantaine d'années supervise le travail de trois chômeurs costauds qu'il a embauchés pour creuser un puits dans le sol, au centre de ce qu'il reste de l'endroit. L'un d'eux, prénommé Lonny, se met à douter de l'honnêteté de la tâche qu'ils doivent entreprendre. En ce lieu se trouvait une église, où, enfant, il accompagnait son père à la messe ; Lonny n'aime pas toucher aux sols sacrés. Leur employeur, agacé, le visage fermé, rétorque qu'il ne les paye pas dix mille dollars pour aimer quoi que ce soit, mais pour creuser. Sous les invitations à se taire de ses deux comparses, Lonny, la pelle à la main, finit par se résigner et commence son labeur. C'est alors qu'une voix sépulcrale leur ordonne soudainement de partir...
"La Saga de Ra's Al-Ghul" est un album entièrement consacré au super-vilain du même nom, écoterroriste quasiment immortel qui entretient avec Batman une relation père-fils particulière, animée d'un respect authentique et durable (Ra's est l'un des rares à avoir compris qui se cachait derrière le masque du Chevalier noir), mais qui peut aller jusqu'à la haine meurtrière. Ra's Al-Ghul est aussi le père de Talia, ex-amante de Bruce Wayne et mère de Damian (Robin V). Ce recueil est composé de trois récits, dont chacun approfondit une facette de la personnalité du criminel. La première est centrée sur les origines cruelles et cyniques de Ra's. Un éclairage fascinant sur le destin d'un médecin talentueux, déjà orgueilleux, qui aspire à vaincre la mort, et qui basculera irrémédiablement vers la folie meurtrière. C'est la partie la plus intéressante et la plus magistralement illustrée. Le deuxième chapitre laisse entrevoir l'efficacité qu'aurait eue un partenariat entre Batman et Ra's - si ce partenariat avait été durable. Cet aspect père-fils de leur relation est porté à son paroxysme dans un projet qui va au-delà d'une simple alliance : une famille. Malgré une mise en couleur qui manque de contraste, c'est une réussite, surtout depuis que l'on sait comment Grant Morrison en a utilisé la fin ; l'ambiance doit beaucoup à "James Bond", et la nation fictive de la Golatie évoquera la géopolitique brûlante des années quatre-vingt. Le dernier récit conte la quête de Ra's d'un héritier, Bruce Wayne refusant de jouer ce rôle. Bien qu'acceptable, c'est l'aventure la moins prégnante des trois, du fait d'une accumulation d'invraisemblances qui réduisent son impact ; c'est aussi la moins brillamment dessinée, les proportions ou les postures des personnages de Grindberg étant discutables en quelques endroits. Morrison fera également écho à la question de l’héritier dans "La Résurrection de Ra's Al-Ghul". Tout au long de ces pages, les auteurs nous dépeignent un Ra's Al-Ghul haut en couleur, charismatique, hautain, impitoyable, et obsédé par la nécessité d'avoir un héritier pour continuer son œuvre funeste ; Talia, elle, est constamment tiraillée entre sa loyauté à l'égard de son père et son amour pour Wayne - cette caractérisation a radicalement évolué.
La traduction de Thomas Davier est irréprochable et son texte a été soigné : ni faute ni coquille. L'éditeur a eu la très bonne idée de privilégier l'ordre chronologique à celui de publication. Pour une fois, la préface (signée Mark Hamill) est intéressante.
Voici un ouvrage construit intelligemment au contenu captivant. L'éditeur, en guise de préambule, aurait pu ajouter le "Detective Comics" #411 (première mention de Ra's, première apparition de Talia) et le "Batman" 232 (première apparition de Ra's).
Article qui m'a beaucoup intéressé car je n'ai lu que Son of the Demon, de Barr et Bingham. J'y avais d'ailleurs relevé la même influence James Bond que toi.
RépondreSupprimerJe découvre que j'ai surtout raté la première partie dessinée par Norm Breyfogle. Il m'aura fallu plusieurs années avant d'apprécier ses dessins à sa juste valeur. Ce n'est que récemment que je me suis procuré les 2 recueils consacrés aux épisodes qu'il a dessiné pour le redécouvrir avec du recul. Tom Grindberg : de temps à autre, je tombe sur un ou plusieurs épisodes dessinés par lui. Il donne toujours l'impression d'essayer de dessiner à la manière de : d'abord de Neal Adams, puis après de Mike Mignola mâtiné de Rob Liefeld, et je trouve ça indigeste.
Oui, c'est vrai ! J'ai été surpris de voir à quel point Grindberg cherchait à imiter le trait d'Adams. J'avoue qu'au début j'ai même dû revenir en arrière pour vérifier le nom de l'artiste.
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