samedi 14 mars 2020

Blueberry (tome 22) : "Le Bout de la piste" (Dargaud ; septembre 1986)

"Le Bout de la piste" est le vingt-deuxième tome de "Blueberry" ; c'est un album grand format à couverture cartonnée, sorti chez Dargaud en novembre 1983. Il compte quarante-six planches. C'est le dernier numéro de ce que la maison d'édition va appeler (les noms des cycles changent souvent, en fin de compte, et à l'initiative de l'éditeur) le "Cycle de la Réhabilitation de Blueberry", un diptyque qui fut produit entre 1983 et 1986. 
"Blueberry" (anciennement : "Lieutenant Blueberry") est une série franco-belge créée par le scénariste Jean-Michel Charlier (1924-1989) et par l'illustrateur Jean "Gir" Giraud (1938-2012). 

À l'issue du tome précédent, Blueberry, Red Neck, et MacClure abandonnent Vigo. Ils traversent le Rio Grande à Ojinaga et reviennent en territoire américain, à pied certes, mais riches. 
Une gare perdue, dans l'Utah, tout près des Rocheuses, par une belle journée ensoleillée. Un train est à quai. Au loin, deux cavaliers l'aperçoivent et pressent l'allure : il s'agit de Blueberry et Red Neck. L'ex-lieutenant n'aura que le temps d'acheter son billet et de sauter à bord. Ça n'est pas plus mal : ce n'est pas le moment d'être reconnu, il n'a donc pas envie de traîner trop longtemps avec les autres passagers. Il espère seulement que les renseignements de Red sont fiables ; son compagnon lui confirme que le wagon spécial est celui qui se situe en queue de train. Ils arrivent devant la gare puis se séparent après que Blueberry a rappelé les instructions. Le fugitif se rend ensuite au guichet, et achète un billet de première pour Denver. Le guichetier se demande d'où sort ce gars, qui n'est pas du coin de toute évidence. Il a la soudaine impression d'avoir déjà vu son visage, et pour cause : un avis de recherche avec la mention "Mort ou vif" et promettant une prime de 10 000 dollars est épinglé sur le mur. Le type finit par reconnaître Blueberry...

Voici, finalement, le dénouement de toute une saga. Il ne reste plus que le tome suivant, le dernier écrit par Charlier, qui fera office d'épilogue de la "vraie" série, les autres ayant d'abord été publiés sous le titre "Mister Blueberry" avant d'être intégrés dans "Blueberry" par l'éditeur. Il sera opportun de relire "Général Tête jaune" ainsi que les deux numéros du "Cycle du premier complot contre Grant" - "Le Hors-la-loi" et "Angel Face" - afin de pouvoir pleinement apprécier l'histoire. Ce scénario solide réserve son lot de surprises et de moments forts. Charlier semble avoir mis un point d'honneur à éviter les invraisemblances, en expliquant l'action par l'intermédiaire de bulles de pensée qui révèlent ici toute leur utilité (cf. l'entrée fracassante de Blueberry dans le wagon présidentiel). Le scénariste emploie les ingrédients usuels du western : les étendues arides ou montagneuses (les Rocheuses), les vastes espaces, les villes fantômes (Bad Water Hole), des fusillades, de la violence, et surtout, ces hommes hauts en couleur, à l'ego hypertrophié, et dans la posture quasiment permanente. La caractérisation des personnages est irréprochable. Si Blueberry, toujours sans le moindre complexe face aux grands de ce monde, ne change pas d'un iota - tant mieux, MacClure et Red Neck ont un rôle plus sérieux, qui les met davantage en valeur qu'à l'ordinaire ; fini, les blagues sur l'amour que les deux compères éprouvent pour la gnôle. Giraud approche la cinquantaine ; son art est à son faîte, bien que son Ulysses Grant ne ressemble que trop vaguement aux représentations photographiques de l'original (voire pas du tout !). Giraud affuble l'antagoniste principal d'une surexpressivité grotesque dans les planches finales et frôle la caricature. Mais l'on trouve là tout ce qui fait la patte de cet immense artiste : la diversité des angles de vue, ce sens de la perspective, l'élégance de son trait, cet épatant travail sur les visages, la clarté de l'action. S'il reste des traces de son quadrillage souvent biscornu, avec ses vignettes aux formes irrégulières, elles se font plus rares ; notons, en revanche, une utilisation croissante de l'incrustation et des bords perdus. Curieusement (pour libérer de la place pour le dessin, ou pour éviter de l'étouffer par un surplus de texte), certains phylactères sont à cheval sur les gouttières en plusieurs endroits, un procédé qui déstabilise et qui gêne véritablement la fluidité de la lecture. La mise en couleur propose une palette de tons qui reflète réalisme et variété ; elle est plus classique que dans "La Dernière Carte". Janet Cale, l'artiste, n'est pas créditée. 

"Le Bout de la piste" est le prélude à "Arizona Love", l'épilogue de cette remarquable épopée ; il annonce la conclusion de la fameuse saga, remplie de moments forts. C'est un album très satisfaisant, bourré d'action et avec un rythme narratif soutenu. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz

4 commentaires:

  1. 22 tomes commentés depuis août 2016 (je suis allé chercher) : respect pour cet accomplissement sur le long terme. Quelques réactions en vrac.

    Charlier semble avoir mis un point d'honneur à éviter les invraisemblances. - La remarque sur l'utilité des bulles de pensée m'a interpellé. J'ai l'impression qu'il y a deux écoles : celle qui veut que la bande dessinée est un art avant tout visuel, et qu'il faut montrer par les dessins, plutôt que d'expliquer par l'artifice des bulles de pensée, ou par des personnages qui commentent leurs actions à haute voix, et celle plus attachée à l'intrigue pour laquelle tous les outils sont bons, y compris les bulles de pensée. Je suis tout autant preneur de BD légères en phylactères avec des planches muettes, que de monologues intérieurs révélateurs de la pensée des personnages, soit de leurs réflexions, de leur planification, de leurs déductions, soit de leur psychologie.

    Ces hommes hauts en couleur, à l'ego hypertrophié, et dans la posture quasiment permanente - J'aime beaucoup cette description, la façon dont elle met en lumière des gens qui vivent comme s'ils étaient en représentation permanente.

    Il reste des traces de son quadrillage souvent biscornu... - J'aurais cru qu'arrivé en 1986, Giraud s'en remette à l'habitude générale de bandes sagement horizontales, ou qu'il utilise un découpage de page plus radical, mais pas ces cases bizarres. Il ne me vient pas de souvenir de phylactère à cheval sur deux cases. J'y prêterai attention lors de mes prochaines lectures pour voir l'effet que ça aura sur moi.

    Une fois encore je suis béat d'admiration devant la splendide couverture.

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    1. Merci ! Je m'arrêterai au 23, tu dois t'en douter après la lecture de cet article. En revanche, je donnerai une chance au "Blueberry" de Sfar et Blain.

      Cette utilisation des bulles de pensée m'a interpellé, moi aussi. Lorsqu'elles sont utilisées comme ça, je les apprécie autant sinon plus que les cartouches narratifs, car elles rapprochent le lecteur du protagoniste.

      Giraud continue d'expérimenter un peu au niveau du découpage. Mais il y a une ou deux planches où l'on trouve encore des cases en forme de marches d'escalier, si tu vois ce que je veux dire.

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    2. Pour moi, les plus belles couvertures de la série : tomes 10, 17, et 19.

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  2. Justement je me posais la question de savoir si tu continuerais après pour le personnage ou pour l'artiste. Je viens d'aller consulter wikipedia pour découvrir que Jean Giraud a encore réalisé 5 albums et un hors série après le décès de Charlier.

    Oui, je vois très bien ce que peut être un contour de case en escalier.

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