"La Dernière Carte" est le vingt et unième tome de "Blueberry" ; c'est un album grand format à couverture cartonnée sorti chez Dargaud en novembre 1983. Il compte quarante-six planches. C'est le premier volet de ce que la maison d'édition va appeler (les noms des cycles changent souvent, en fin de compte - à l'initiative de l'éditeur) le "Cycle de la Réhabilitation de Blueberry", un diptyque qui fut produit entre 1983 et 1986.
"Blueberry" (anciennement "Lieutenant Blueberry") est une série franco-belge créée par le scénariste Jean-Michel Charlier (1924-1989) et l'illustrateur Jean Giraud (1938-2012), alias Gir.
À l'issue du tome précédent, Blueberry et les Navajos repoussent les Tuniques bleues, passent au Mexique puis se séparent. Blueberry veut retrouver Vigo, avec l'aide de MacClure et Red.
Chihuahua, un soir. Depuis qu'ils ont quitté les Navajos, Blueberry, Red, et MacClure ont parcouru trois cents miles tout en tâchant d'éviter d'attirer l'attention sur eux. Aussi les deux compères sont-ils étonnés lorsque l'ex-lieutenant n'hésite pas à entrer en ville. Leur rétorquant qu'il fait déjà sombre et que l'endroit grouille d'étrangers, leur compagnon leur commande néanmoins la discrétion. De toute façon, il n'a pas le choix : en effet, s'il veut trouver une piste le menant à Vigo, c'est ici qu'il doit commencer. Nos cavaliers, arrivés devant le saloon Casa Roja, constatent que rien n'a changé depuis l'époque où ils ont rencontré Pearl. Blueberry ordonne à ses amis de ne pas céder à leurs émotions. Un garçon d'écurie les accueille et conduit les montures à l'étable. Jim et Red conseillent la prudence ; ils resteront dans la salle du bas, tandis que Blueberry louera une chambre où il les attendra. Après tout, cela fait vingt mois qu'il n'a pas pris de bain chaud et qu'il n'a pas dormi dans un vrai lit. Ils entrent dans la Casa Roja tout en devisant...
"La Dernière Carte" conte le retour au Mexique de Blueberry, qui a bien l'intention de laver son nom. La page indienne de la série se referme ainsi pour un bon moment (Charlier n'écrira plus que deux scénarios pour sa saga). "La Dernière Carte" est sans doute l'un des albums les moins captivants du titre jusqu'ici, hélas, et pour cause : l'intrigue se fonde sur des situations dans lesquelles l'ex-lieutenant s'est déjà retrouvé plusieurs fois, ce qui peut procurer la sensation de relire une aventure connue. Il y a d'abord l'incarcération, une habitude. Avant cela, le dernier tome dans lequel Blueberry a fait de la prison est le dix-neuvième, "La Longue Marche". Ici, l'histoire rappelle invariablement le contexte de "L'Homme qui valait 500 000 $". Il y a ensuite le concept de l'alliance contre-nature. Dans ce titre, elles ne sont pas forcément nombreuses, mais il y a quand même cette espèce de contrat moral entre Blueberry et Finlay et ses Jayhawkers. Là, Charlier a cherché l'originalité avec un pistolero d'origine française au sang bleu, le marquis Albert de Listrac, surnommé El Tigre. Listrac est un personnage immédiatement antipathique (trop et trop vite pour être durablement intéressant, d'ailleurs), souffreteux, à l'équilibre psychologique instable, qui n'hésite pas à tuer "gratuitement" pour s'amuser (cf. les planches 34 et 35). D'aucuns verront en Listrac une version dévoyée de Mike S. Blueberry et de ce que notre ex-Tunique bleue aurait pu devenir s'il avait emprunté un parcours différent. Dernier élément, la fuite éperdue. En fin de compte, l'histoire de Blueberry est très (trop) souvent celle d'une inlassable et interminable fuite qui devrait, selon toute logique, s'achever dans le prochain tome. Notons encore que les Mexicains sont présentés sous un jour moins négatif que dans d'autres numéros. Enfin, ce récit linéaire est sans grande surprise sauf dans sa conclusion, peut-être : la bonne fortune semble réellement sourire à notre trio, cette fois-ci. Giraud approche ici la soixantaine ; son style a atteint sa maturité et l'évolution du trait par rapport aux volets précédents est évidente. Ses portraits des personnages et ses compositions sont admirables (en particulier ce superbe saloon enfumé) ; la maîtrise de la perspective et le sens du détail sont présents, même si quelques arrière-plans restent vides. Les dessins de l'artiste sont mis en valeur par une utilisation originale de la couleur, avec des contrastes soulignés, dans des tons vifs, dont beaucoup de rouge. Ce travail n'est pas crédité, mais de nombreux sites mentionnent un certain Fraisic Marot (un pseudo ?).
"La Dernière Carte" est un album dont l'intrigue est prévisible et manque de piment. Il plonge Blueberry et ses deux acolytes dans un scénario aux ressorts connus, qui suscite une sensation répétée de déjà-vu chez le lecteur ; restent les dessins de Gir.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Des situations dans lesquelles l'ex-lieutenant s'est déjà retrouvé plusieurs fois (incarcération, alliance contre-nature) - En, 1983, ça fait donc 20 ans que Jean-Michel Charlier écrit les aventures de Mike Blueberry, au rythme d'un tome par an en moyenne. Je peux comprendre la difficulté de se renouveler. Dans un tome des rééditions de Concrete, Paul Chadwick (créateur et auteur complet) regrettait de ne pas avoir prévu le déroulé de la vie de son personnage en entier pour planifier ce qui allait lui arriver dans les grands principes, et ainsi éviter de se répéter (et de s'emmêler les crayons aussi). La fuite et la course-poursuite impulse d'office une dynamique au récit, ce qui rend ce dispositif très attractif en termes narratifs.
RépondreSupprimerFraisic Marot - Avec les premiers tomes de Jessica Blandy et de Caroline Baldwin, je me rends compte que le nom du coloriste n'est pas toujours indiqué, visiblement une tâche jugée comme étant à faible valeur ajoutée à cette époque.
Je dirais même que le risque de répétition est presque inévitable dans une série au long cours. J'avais eu plusieurs fois cette sensation dans "Thorgal", où des contextes à l'identique ou des mécanismes narratifs avaient tendance à se répéter au fil des tomes. Ça se vérifie encore dans d'autres exemples, notamment "Blake et Mortimer", etc. Après, ça peut être plus ou moins évident selon les séries et les auteurs.
SupprimerJ'ai cherché des infos sur Fraisic Marot ; rien, aucun élément biographique à l'exception des quelques albums ou séries sur lesquels il ou elle a travaillé.
Les risques de répétition - C'est tout le paradoxe des séries avec héros récurrent : on revient y chercher ce qui nous a plu dans les tomes précédents, et en même temps on veut du neuf, pas une simple répétition.
SupprimerEn tout cas, je me rends bien compte que c'est mon état d'esprit en me plongeant dans un nouveau tome de Caroline Baldwin ou de Jessica Blandy. Pour les aventures de cette dernière, j'ai l'impression que Dufaux fait sciemment l'effort de varier les registres de polar d'un tome à l'autre pour éviter l'effet de redite.