dimanche 5 mai 2019

Blueberry (tome 17) : "Angel Face" (Dargaud ; juillet 1975)

"Angel Face" est la dix-septième histoire de "Blueberry". Cet album à couverture cartonnée de quarante-six planches, sorti chez Dargaud en juillet 1975, est le second volet et la conclusion de ce que la maison d'édition appela "Le Cycle du premier complot contre Grant", cycle qui fut conçu entre 1974 et 1975.
"Blueberry" (anciennement "Lieutenant Blueberry") est une série franco-belge créée par le scénariste Jean-Michel Charlier (1924-1989) et par Gir, le dessinateur Jean Giraud (1938-2012).

À l'issue du tome précédent, Blueberry est escorté à Durango puis retenu par Kelly et Angel Face, le tueur à gages chargé d'abattre le président Grant au passage de son cortège officiel.
Angel Face pointe son arme vers la rue pour surveiller l'approche du cortège de Grant. Encore quelques mètres, et il aura le président des États-Unis dans sa ligne de mire. Le commandant Kelly émet un grommellement dubitatif ; Angel Face est-il sûr qu'il ne manquera pas sa cible ? Le jeune tueur rétorque qu'avec son fusil spécial, il n'échoue jamais. De plus, avec les balles fendues en quatre dans le sens de la hauteur, toutes les blessures sont mortelles. Il ordonne à Kelly de lui ficher la paix ; il connaît son métier. L'autre obtempère. Blueberry, assis au sol, remarque que Kelly semble nerveux, moins attentif ; il doit échafauder un plan. Dog, l'un des sbires de Blake, est posté avec des chevaux derrière l'hôtel, dans une rue déserte. À l'étage inférieur, quelques hommes attendent. Leurs consignes sont claires : pour que cette mise en scène soit parfaite, ils devront grimper, entrer, et liquider Blueberry après que les premiers coups de feu auront retenti. Ils semblent peu sûrs d'eux. Pourtant, pas de danger que leur victime file ou se défende, puisque Kelly et Angel Face l'auront assommé avant de s'envoler. Au-dessus, dans la fournaise du grenier, la tension est à son comble. Voici le début du cortège, suivi de la calèche présidentielle ! Angel Face voit la tête de Grant dans le viseur...

En abattant Grant, un groupuscule de notables espère déstabiliser le pays pour prendre le pouvoir. Leur plan est méticuleux ; tout a été pensé et préparé. Comme souvent dans ces cas-là, c'est l'exécution qui faillira. Et ces projets-ci ne feront pas exception. Le grain de sable, ici, n'est nul autre que Guffie Palmer, qui s'offre un baroud d'honneur, mais dont la l'inintelligibilité des propos ultimes mettra Blueberry dans une sacrée panade. Le sort s'acharne ainsi sur celui-ci, car bien que le complot n'aboutisse pas, l'ex-lieutenant n'est pas innocenté pour autant ; de prisonnier pour trente ans, il est devenu le seul et unique suspect de cette tentative d'assassinat contre le président des États-Unis. La chasse s'engage. Curieusement, l'auteur invite l'humour dans cette histoire, à de multiples reprises. D'abord, avec Grant lui-même, qui a l'impression d'être entouré d'un ramassis d’incapables, dont le maire de Durango, puis la scène avec Janet, Melvin, et la grand-mère, et enfin avec les deux détectives de Pinkerton, dont les physionomies frôlent la caricature. Il en résulte une atmosphère parfois déroutante et pas totalement cohérente. Néanmoins, tout cela - et ce qui suivra - est conçu magistralement, et est la preuve évidente que Charlier pensait à long terme pour son personnage. La partie graphique est une belle réussite. Certaines vignettes sont remarquables de par leur niveau de détail (l'arrivée du train en gare), tandis que d'autres surprennent par un arrière-plan dépouillé. Notons l'évolution du découpage, qui avait été amorcée dans "Le Hors-la-loi". L'artiste abandonne peu à peu le quadrillage traditionnel. Il varie le nombre de bandes (entre deux et quatre), la forme des cases (rondes, étirées horizontalement ou verticalement), leur taille, les perspectives et les plans, et use de la technique de l'incrustation, offrant ainsi au lecteur une étonnante diversité de compositions. Le dessinateur n'emploie plus la bichromie que pour certaines scènes (notamment celle de l'incendie). Quant à l'articulation de ces planches généreuses en action, en mouvement, en fusillades, ou en instants dramatiques, elle a gagné en clarté par rapport aux tomes précédents (l'avant-dernière page, avec un combat à mains nues sans le moindre mot, est franchement remarquable), malgré l'utilisation persistante de flèches directionnelles pour indiquer le sens de la lecture.

"Angel Face" est un très bon album qui démontre, presque en temps réel, la rapidité avec laquelle Giraud progresse. La tendance à l'humour ou la caricature le font pencher vers une série B plutôt que vers un thriller sérieux sur fond de complotisme.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Utilisation persistante de flèches directionnelles : ça me fait aussi cette impression quand j'en découvre une bande dessinée, soit les auteurs n'ont pas confiance dans la capacité du lecteur pour s'y retrouver dans l'ordre des cases, soit ils sont convaincus que leur agencement dans la page n'est pas compréhensible. Des 2, je ne sais pas ce qui est le moins professionnel.

    Dissonance cognitive : ça m'arrive aussi de trouver que deux partis pris narratif (ici thriller + humour) se marient mal ensemble. Mais il peut aussi s'agir d'une sensibilité. Par exemple, j'avais trouvé que l'humour se mariait mal avec le drame personnel de Samantha Locklear dans Motor Girl de Terry Moore, alors que Bruce l'avait trouvé tout à fait approprié.

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    1. Oui, d'autant que je n'avais pas décelé ces petits moments plus légers dans le premier volet du cycle.
      En y réfléchissant, je me dis qu'il s'agit peut-être là de l'une des caractéristiques de l'écriture de Charlier, voulue ou pas ; j'avais eu le même sentiment avec le cycle précédent, celui de l'or des Confédérés, qui s'ouvre sur un tome au ton plus léger avant de retrouver un réalisme plus rude dès la seconde partie.
      Peut-être l'absence de MacClure a-t-elle poussé l'auteur à alléger l'atmosphère avec deux ou trois scènes moins sérieuses ?

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