lundi 2 mars 2020

"Les Patients d'Arkham" (Urban Comics ; juillet 2014)

"Les Patients d'Arkham" est un recueil cartonné de cent quarante à cent cinquante planches approximativement (sans inclure les vingt pages de bonus), sorti en juillet 2014 dans la collection "DC Nemesis" d'Urban Comics ; cette dernière réunit des récits dont les vilains de DC Comics sont les personnages principaux. Cet album reprend l'intégralité de la mini-série "Arkham Asylum: Living Hell" (VO) en six numéros publiés entre juillet et décembre 2003.
Le scénario est signé Dan Slott ; celui-ci est connu pour son travail sur plusieurs titres de la franchise "Spider-Man", entre autres. C'est Ryan Sook ("Seven Soldiers: Zatanna", "X-Factor", The Spectre") qui réalise les dessins ; lorsqu'il n'encre pas ses illustrations lui-même, ce sont Jim Royal (1970-2009) ou Wade Von Grawbadger ("Starman") qui s'en chargent. La mise en couleur est confiée à Lee Loughridge. Les couvertures sont produites par Eric Powell

Un patient presque entièrement dénudé est installé sur une table d'opération. Il est sanglé de la tête aux pieds, le crâne engoncé dans un étrange étau, dont une partie se terminant en boucle forme un orifice sur le dessus de la boîte crânienne. Une lanière de cuir lui obstrue sa bouche. Un psychiatre lui retire les sangsues qui lui avaient été appliquées sur le corps, lui arrachant ainsi des cris de douleur étouffés. Cette scène se déroule à Gotham City, il y a bien des années. Le soir est tombé sur la "Maison de la folie et des humeurs maladives". Dans les quelques cages suspendues, les chaînes des pensionnés cliquettent lugubrement. Le médecin informe Jason Blood que la pression artérielle du malade a suffisamment diminué ; il est prêt à recevoir des soins. Blood montre quelques signes d'impatience ; on accorde tant d'importance au sang, alors que la guerre contre la folie se mène dans la tête, là où les démons se dissimulent, retenus dans une cage de chair et d'os. Tout en parlant, il ouvre une mallette d'outils médicaux et en retire un pieu métallique et un maillet : la clef de cette cage... 

Ce récit complet est indépendant de la Continuité DC Comics. L'histoire est construite sur deux intrigues qui suivent la même chronologie, et qui se déroulent à l'asile Arkham principalement. La première raconte la descente aux enfers de Warren White, un financier sans scrupule qui a ruiné de nombreuses personnes. White est une sorte de Bernard Madoff qui présente, avec ses airs de Clark Gable ou de Howard Hughes, un physique bien plus avenant. À Arkham, il subit tous les traitements avant sa métamorphose en Requin, un super-vilain. La seconde met Jason Blood au cœur d'une affaire de démonisme, dont la lugubre institution est le cadre. Évidemment, ces deux lignes narratives se confondront à un moment donné. Slott reprend ici les thèmes de l'univers carcéral : cohabitation entre détenus, rapports de protection-soumission, relations avec les gardiens, tentatives d'évasion, et dissolution du vernis de civilisation. L'auteur privilégie un humour noir, avec des plaisanteries cruelles, mais drôles (le Sphinx et la fourchette), ou des situations tragi-comiques - sans violence gratuite. S'il pioche dans la liste des pensionnés légendaires de l'asile Arkham (le Joker, le Sphinx, le Chapelier fou, Double-Face, etc.), Slott crée aussi, outre White/Requin, des nouveaux venus originaux : l'excellent Humpty Dumpty, l'étonnante Jane Doe. Il évite de se focaliser sur les patients en présentant les employés de l'établissement comme les héros, avec, en vedette, l'énergique Aaron Cash, aux côtés d'un Jeremiah Arkham plein de flegme. Slott utilise Batman de manière brève, comme deus ex machina, dans une approche similaire à celle de "Gotham Central". Les caractérisations sont irréprochables. Cet anti "Arkham Asylum" se suffisait largement à lui-même ; dommage pour cette dérive fantastique et surnaturelle, à l'enjeu et au dénouement sibyllins, en décalage avec l'atmosphère du début. Sook produit une partie graphique soignée et pleine de personnalité. Son style semi-réaliste reflète influence des cartoons et de l'âge d'or de l'illustration classique. Son trait fin et élégant, avec ses aplats de noir expressionnistes, présente un découpage lisible et un niveau de détail satisfaisant. Un régal pour les yeux malgré la couleur un peu terne. 
La traduction de Jean-Marc Lainé est honorable. Globalement, la langue a été soignée ; néanmoins, deux petites fautes ont survécu à l'éventuelle relecture. Parmi les bonus, une présentation des personnages, des recherches, une page de story-board. 

"Les Patients d'Arkham" est une histoire qui souffre de la volonté de complexification de l'intrigue par Slott, le scénariste. C'est dommage, parce qu'il y a des moments véritablement captivants, jubilatoires, et que Sook produit des illustrations sensass.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz

2 commentaires:

  1. En relisant mon propre commentaire, je me rends compte que j'avais relevé les mêmes éléments que toi : les nouveaux personnages Aaron Cash, Jane Doe, Humphry Dumpler), le régal pour les yeux des dessins de Ryan Sook.

    J'ai l'impression que j'ai plus apprécié l'intrigue (j'avais mis 5 étoiles) : Slott s'en tire avec adresse, insérant même une référence à l'époque où Batman se battait dans des décors de machines à écrire géantes, le Sprang Act qui a interdit la construction de ces objets géants et leur implantation à Gotham (en référence à Dick Sprang). Pour la deuxième moitié du tome, Dan Slott a bel et bien construit une intrigue en bonne et due forme, savamment tissée pour que tous les fils des intrigues secondaires finissent par participer à une intrigue principale. La scène d'ouverture finit elle aussi par s'intégrer au schéma narratif global, pour une histoire prenant un tournant vers le surnaturel, avec participation du Demon de Jack Kirby. Les sous-entendus ne sont pas si innocents que ça.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il semblerait que je sois plus hermétique que toi au mélange des styles.
      En revanche, j'ai été bluffé par la créativité de Slott, notamment pour tous ces nouveaux personnages, surtout Humpty Dumpty, qui, en plus, bénéficie d'origines très fouillées.

      Supprimer