"De soldat à général" est le premier tome de la quatrième "saison" de la série "X-O Manowar", consacrée au personnage du même nom. Ce recueil à couverture cartonnée de cent cinquante-cinq planches (plus une cinquantaine de pages de bonus) a été publié chez Bliss Éditions en avril 2018. Il comprend les versions françaises des numéros VO 1 à 6 (mars à août 2017), suite du troisième et dernier numéro de l'intégrale "X-O Manowar" (par la même maison), ainsi que le "Valiant: X-O Manowar 2017 FCBD Special" (de mai 2017) à l'occasion d'un "Free Comic Book Day" aux États-Unis.
Matt Kindt écrit tous les épisodes. L'Argentin Tomás Giorello, David W. Mack, et le Singapourien Zu Orzu illustrent les numéros 1-3 ; le Britannique Doug Braithwaite se charge des #4-6 ; et le Brésilien CAFU, du "spécial". L'Argentin Diego Rodriguez compose la mise en couleur des nº1 à 6 et Andrew Dalhouse celle du spécial.
La planète Gorin. L'or des champs de blé resplendit sous la lumière des deux soleils. Aric s'active énergiquement. Il manie la faux de gauche à droite avec des gestes amples et puissants, lorsqu'il est distrait par un nuage de poussière. Il fait alors une pause et attend. Sous ses yeux défile une colonne d'engins militaires suivie par une cohorte de soldats autochtones, dont des blessés. Il se remet au travail une fois que l'armée a passé, et continue son labeur jusqu'au crépuscule. Il rentre chez lui, où l'attend Schon, sa compagne. Tandis qu'ils dînent, elle lui demande s'il a vu le convoi militaire passer. Il répond par l'affirmative, en ajoutant que la guerre broiera toujours les peuples. Elle est persuadée qu'il y a des raisons à ce conflit. Pour Aric, le fait qu'il y en ait ne signifie pas que ce soit une bonne chose. Schon insiste, en expliquant que cela mettra fin à l'oppression des Cadmiums, qui dure depuis des générations. Aric lui pose alors quelques questions abruptes sans lui laisser le temps de répondre. A-t-elle de quoi se nourrir, un toit, du temps libre et suffisamment d'argent pour ses loisirs ?...
Ce tome captivant est divisé en deux parties de trois numéros suivies d'un prologue (le "spécial"), sur lequel le recueil aurait pu s'ouvrir. Cette nouvelle "saison" s'inscrit dans une continuité en rupture avec la précédente ; Aric de Dacie, sans qu'il ne soit encore précisé ni pourquoi ni comment, s'y trouve sur Gorin, une planète lointaine et inconnue. La caractérisation a elle aussi évolué : là où Aric semblait toucher à la sagesse dans la "saison" précédente, il est ici (à nouveau) sous le signe de la guerre totale, comme pour rappeler qu'il est davantage un super-soldat, destiné à se battre et à manier le glaive sous toutes les latitudes imaginables, qu'un super-héros. Aric se trouve à des années-lumière des Wisigoths et du Nebraska, sur un monde où il n'est qu'un étranger. Il y mène une existence de cultivateur reclus avec une compagne autochtone. Sa destinée et la réalité le rattraperont rapidement ; la guerre viendra évidemment à lui. Enrôlé de force, d'abord considéré comme de la vulgaire chair à canon, il réussit à gravir les échelons de la hiérarchie militaire, grâce à son courage, sa chance, et une attitude quasiment nihiliste, qui laisserait presque supposer un sentiment autodestructeur, s'il n'était clair que ce tempérament dédaigneux ne fût dû à son armure. La relation qu'il entretient avec celle-ci est devenue complexe, de type haine-amour ; c'est la "petite voix" d'Aric ; c'est un enfant qu'il n'aurait jamais voulu (le dialogue que lui rapporte sa compagne est révélateur) ; c'est le reflet d'un pacte "faustien", signé il y a longtemps et dont il ne parvient pas se défaire. Car s'il est parfaitement conscient que l'endosser fera triompher sa cause, il sait aussi que cette action engendrera un raz-de-marée de violence dans une interminable spirale. Enfin, l'armure est le miroir de l'Aric des jeunes années, celui qui bouillait à l'idée de punir les Romains. Aric, au fond, est un chien de guerre apatride, sans famille, sans planète, dont le destin est d'aller de guerre en guerre pour renverser les ordres établis, tel le Conan de Robert Howard (1906-1936). Giorello et Braithwaite ont un trait réaliste, spectaculaire, et expressif ; le quadrillage est original et dynamique, mais le découpage pas toujours clair, et le détail des cases parfois ardu à déchiffrer.
Mathieu Auverdin effectue une traduction convenable, dans le respect du texte malgré un anglicisme ("en charge de"). La maquette comprend une table des matières, les couvertures originales, intercalées entre les chapitres. Il n'y a pas de pagination.
"De soldat à général" est le premier des trois volets qui composent une vaste fresque guerrière qui s'annonce particulièrement prometteuse. Nul doute que Matt Kindt fera la lumière sur la raison qui a obligé Aric de Dacie à s'exiler sur la planète Gorin.
C'est donc avec cette saison que j'ai repris contact avec Aric, pour le plaisir de lire des récits écrits par Matt Kindt. La rupture (que tu évoques) dans la continuité m'a rendu la série plus accessible.
RépondreSupprimerL'endosser fera triompher sa cause, et engendrera un raz-de-marée de violence dans une interminable spirale. - Je n'avais pas pensé à ça sous cet angle, et rétrospectivement ça fait parfaitement sens à mes yeux.
Tomás Giorello - Mon plaisir de lecture de ses pages dépend fortement de son degré d'investissement. Je me souviens par exemple de pages pour Conan particulièrement vides. De temps à autre, sa façon de représenter le mouvement peut m'évoquer Gene Colan. Ici, j'ai eu l'impression que Matt Kindt connaissait l'identité de l'artiste avec lequel il allait travailler et qu'il a choisi de mettre en valeur ses points forts, en particulier ses talents de metteur en scène.
J'ai beaucoup aimé ces épisodes. Cela dit, j'ai d'abord été déçu par le fait que la tonalité optimiste de la fin du dernier tome de l'intégrale Bliss n'était plus d'actualité. On est plus dans une atmosphère post-apocalyptique. Cet Aric-là est très sensiblement différent que celui que les lecteurs avaient laissé à l'issue du #50 de la troisième mouture. Ces épisodes brassent énormément d'influences, je trouve : j'y ai perçu le steampunk, l'univers de Conan, "2001" (les quasi-monolithes volant), ou encore "Star Wars" (il y a une scène qui me rappelle "L'Empire contre-attaque"). Ce n'est qu'après que j'ai lu qu'il fallait considérer cette quatrième période comme un "relaunch".
SupprimerMerci pour ce développement, car il répond à une question que je me posais du ressenti pour un lecteur ayant suivi et apprécié la saison précédente. Pour une fois, j'étais dans la position où je trouve que le personnage a du potentiel, mais être le moins du monde attaché à sa continuité, espérant plutôt que le scénariste ait les coudées franches.
SupprimerRelaunch - Pas facile de trouver le bon dosage dans les ingrédients, entre la continuité et une vision d'auteur, ou au moins une interprétation assez personnelle d'un personnage pour intéresser des lecteurs de passage, sans investissement dans la continuité. J'avais bien apprécié que Valiant mette un peu plus du second ingrédient que du premier, avec Matt Kindt (X-O Manowar, Ninjak, Rai, Unity, Divinity) et Jeff Lemire (Bloodshot).