"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée en 1938, par le Belge Fernand Dineur (1904-1956) ; son historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes évoluant avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela changera à l'arrivée de Willy Maltaite, alias Will (1927-2000), qui en deviendra l'illustrateur en 1949. Dineur quittera le titre en 1951 ; il sera remplacé par Henri Gillain, alias Luc Bermar (1913-1999), puis par Albert Desprechins (1927-1992) avant que Maurice Rosy ne vienne s'installer durablement.
"Oscar et ses mystères" fut en premier lieu publié dans le périodique "Spirou" du nº809 du 15 octobre 1953 au nº840 du 20 mai 1954, puis sous forme d'album chez Dupuis, en janvier 1955 en Belgique, et en juillet 1956 en France. C'est le troisième tome de la "seconde série classique". Desprechins, qui succède à Gillain qui succédait à Dineur, en écrit le scénario ; Will en assure la partie graphique : le dessin, l'encrage, et la mise en couleur.
Un journal à la main, Tif dévale l'escalier de son immeuble. Étonné, Tondu le suit et demande ce qui lui prend. Son camarade raconte qu'il vient de lire une petite annonce : y répondre l'aidera à se payer son scaphandre ! Ce disant, il jette le quotidien derrière lui ; les feuilles masquent le visage de Tondu. Aveuglé, déséquilibré, ce dernier finit de descendre les marches sur le ventre, sous l'œil goguenard de son ami. Tif lui montre l'annonce : le théâtre du Passage offre une "grosse prime" à quiconque apportera un perroquet sachant dire : "Si Madame la Baronne veut bien passer au salon..." Il précise qu'ils ont dix jours et six heures pour trouver ce volatile. Tondu, courroucé par l'enthousiasme de Tif, l'accuse d'inconscience et se met à énumérer les obstacles qui se présentent à eux. Car encore faudra-t-il le gagner, ce concours. Où vont-ils dénicher un perroquet qui parle ? S'il ne parle pas, comment lui apprendre ? Comment le nourrir ?...
Cette aventure est un construite sur un enchaînement de péripéties qui sont la conséquence d'un ardent désir qu'éprouve Tif : celui de trouver l'argent nécessaire pour s'acheter un scaphandre. Bien qu'étant à l'origine de ce qui va arriver, la raison pour laquelle Tif veut acquérir ce dispositif n'est pas développée, mais peu importe : ce point de départ est un prétexte dont découlera l'intrigue principale, à laquelle plusieurs tribulations viennent se greffer en se succédant les unes aux autres comme un système de matriochkas qui pourrait se propager à l'infini s'il n'y avait la contrainte du nombre de planches, Desprechins passant perpétuellement d'un rebondissement au suivant. Nos amis doivent d'abord relever un défi du registre de l'absurde : trouver pour un théâtre un perroquet capable de prononcer une phrase bien précise qu'il devra répéter lors de la représentation d'une pièce. Effet comique garanti. Ce n'est qu'après cette introduction en sept planches que commencent les choses sérieuses. Cela les conduit à une chasse au trésor pour laquelle c'est Tondu qui s'enflamme, cette fois. Ce type d'intrigue avait déjà été utilisé par Gillain dans l'album précédent, "Le Trésor d'Alaric". Il est dès lors amusant de voir que la lubie initiale de Tif laisser place à l'enthousiasme de Tondu, qui prend l'initiative et qui motive son compère à aller jusqu'au bout de leur projet, d'autant que les deux personnages ne sont en phase que rarement. Les quiproquos continuent à se succéder, et mèneront nos larrons à rejoindre - temporairement - les rangs de l'Armée de terre, puis à entrer au service d'une famille fortunée, l'un en tant que valet, et l'autre comme jardinier. Lors de ce passage instructif, les lecteurs en apprennent un peu plus sur le parcours professionnel des compagnons par le truchement de références à leurs aventures passées : vagabonds, contrôleurs de tramway, hercules de foire ou vendeurs d'aspirateurs porte-à-porte (conf. "Le Trésor d'Alaric"). Enfin, des espions se mêlent de l'affaire dans la dernière phase d'un scénario palpitant sans réel souci de vraisemblance, qui s'achève de façon assez hâtive et précipitée, à l'image de son rythme trépidant. Will est fidèle au registre caricatural de l'école de Marcinelle (gros ou longs nez ; silhouettes maigres et longilignes, ou ventripotentes et sans cou ; phylactères de forme ovale ou ronde). Son quadrillage consiste en quatre à cinq bandes de deux à trois cases. L'agencement est régulier, Will n'expérimente guère. Les plans sont peu variés, mais Will a le sens du mouvement et son découpage narratif est d'une fluidité accomplie.
"Oscar et ses mystères" est une lecture facile et plaisante, qui repose sur un mécanisme d'enchaînement ponctué de surprises, dans lequel l'élément de vraisemblance revêt une importance secondaire. C'est le seul "Tif et Tondu" écrit par Despreschins.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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Je commence la lecture de ton article et je me dis que cette quête d'un perroquet me rappelle vaguement une poursuite au perroquet sans que mes deux neurones ne réussissent à se connecter...
RépondreSupprimer... L'oreille cassée : en le ressortant de ma bibliothèque et en le feuilletant, je m'aperçois qu'il y a bien un perroquet mais que le mécanisme narratif est très loin de celui que tu décris. Oups.
Scénario palpitant sans réel souci de vraisemblance : généralement ça ne me dérange pas à la lecture, voire je ne m'en aperçois pas forcément, sauf si la logique interne du récit ne tient pas la route, avec une contradiction trop patente.
Quadrillage en quatre à cinq bandes de deux à trois cases et agencement régulier : en te lisant, je me rends compte que je ne me suis pas lassé de ce mode de narration visuelle. Par contre, si l'artiste base sa narration sur des mises en page plus téméraires, j'attends que ça fasse sens avec l'histoire et qu'il soit consistant, au moins pour toutes les séquences de même nature, et pas juste quand il en a envie. Je suis assez exigeant finalement. :)
Ce qui me surprend, chez Will, c'est à quel point il parvient à soigner ses compositions dans des formats plutôt étriqués. Il y a toujours un niveau de détail très satisfaisant. Il y a là-dedans quelques très belles cases, dont l'atelier de l'artiste, la scène du théâtre, les intérieurs des cafés, etc. J'ai remarqué qu'il semblait éprouver un certain goût pour les affiches publicitaires.
SupprimerCompositions dans des formats plutôt étriqués - Ta remarque me renvoie plusieurs années en arrière, à la lecture d'un article sur un strip paraissant dans un quotidien. Autant je trouvais le format adapté pour des strips comiques (Calvin & Hobbes en tête), autant j'avais jusqu'alors écarté l'idée de lire un strip d'aventure persuadé que le format été trop petit pour être dépaysant. L'article en question louait la capacité de Neville Colvin à évoquer des décors denses dans de si petites cases, pour le strip de Modesty Blaise. Ne pouvant pas résister à ma curiosité, j'en ai lu deux ou trois recueils : effectivement un tour de force d'intégrer ainsi de tels paysages urbains ou autres dans de si petites cases.
RépondreSupprimerUn goût pour les affiches publicitaires - Ce n'est que ces dernières années que j'ai fini par remarquer chez certains auteurs des marottes, des éléments graphiques qui reviennent chroniquement, même quand ils ne sont pas exigés par le scénario.