vendredi 15 mai 2020

Barbe-Rouge (tome 20) : "Le Jeune Capitaine" (Dargaud ; avril 1981)

"Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie (l'action se déroule début XVIIIe siècle) créée en 1959 par les Belges Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979). Elle a un historique de publication assez compliqué (redécoupages pour les sorties en albums ou changements d'éditeurs). Elle est prépubliée entre octobre 1959 et juillet 1968 dans le magazine "Pilote" ; les histoires suivantes sortent directement en albums, puis la série retrouve le format magazine avec "Super As", en février 1979. "Barbe-Rouge" survit aux morts de Hubinon, Jijé (1980), et Charlier, mais restera moribond malgré les projets de relance. À ce jour, aucun n'a été réalisé. 
Si "Le Jeune Capitaine" est le vingtième tome, son contenu faisait partie du "Roi des sept mers", et avait été prépublié dans "Pilote" à la fin 1962. Mais le nombre élevé de planches du "Roi des sept mers" compliqua sa réédition en album : les trente et une premières constituèrent "Le Roi des sept mers" (qui comprenait déjà quinze planches du "Démon des Caraïbes" !) ; le reste, aujourd'hui intitulé "Le Jeune Capitaine", ne fut réédité en album qu'en avril 1981. J'ai donc décidé de le commenter comme la suite chronologique du "Roi des sept mers", pas comme vingtième tome. Charlier en a écrit le scénario. Hubinon, enfin, en a produit les dessins, l'encrage et la mise en couleur. 

À l'issue du tome précédent, Éric et ses amis croisent un vaisseau moribond où le scorbut fait des ravages. Éric en soigne les marins, et prend le commandement. Cap sur la côte africaine. 
Les efforts d'Éric et ses compagnons portent leurs fruits : lors des dernières quarante-huit heures, un seul décès à déplorer. Lewis craint une mauvaise rencontre, mais Éric repère la terre ferme à tribord, recouverte d'une végétation luxuriante ; ils vont pouvoir assurer leur réapprovisionnement en vivres frais !... 

Outre les qualités de ce scénario équilibré et cohérent, "Le Jeune Capitaine" est un récit intéressant - bien que linéaire - sous plusieurs aspects. Barbe-Rouge, d'abord, n'apparaît quasiment pas dans les trente planches qui le constituent ; Charlier choisit en cela de continuer à cibler ses aventures sur Éric / Thierry de Montfort, afin de poursuivre l'approfondissement de sa caractérisation. On savait son héros courageux, décidé, et intrépide ; il s'avère également un commandant accompli, attaché aux marins de son équipage, qui fait tout pour les tirer d'un mauvais pas, mais n'hésite pas à leur adresser des remontrances, si c'est justifié. Il apparaît, de même, comme un tacticien aguerri, un fin négociateur, et donc un très honorable bluffeur. Mais malgré tous ses efforts et sa conduite absolument irréprochable, son passé finit par le rattraper sans qu'il ne puisse rien y faire. Le grand thème de l'histoire est l'évocation des traites négrières : un capitaine espagnol est aux commandes d'une expédition dont le "métier" est d'organiser des descentes dans les villages et d'embarquer les autochtones, hommes, femmes, et enfants afin de les revendre ailleurs. À cet égard, l'officier Alvaredo de Cruz del Sul, un personnage hautain, fourbe, avide, et méprisant, exprime clairement qu'il ne s'agit pour lui que d'une "cargaison" : "Je choisis, je paie et j'embarque, un point c'est tout !..." Ce sont ses "affaires", et il ne rend compte qu'à ses armateurs ; Éric devine la faiblesse qui perdra son adversaire. Charlier évoque encore quelques coutumes légendaires, dont celle du pacte de sang, mais sa narration ne glisse aucunement vers le registre naturaliste. Cet ouvrage comprend deux compléments ajoutés pour atteindre la pagination voulue : "L'Or du San Cristóbal" (huit planches), une chasse au trésor financée par un armateur véreux, permet d'en savoir un peu plus sur ce qui a poussé Barbe-Rouge vers la flibuste, puis "Le Cobra" (idem), une histoire de rivalité entre pirates, plutôt expéditive et exagérément rocambolesque. Hubinon a un trait soigné au contour fin, d'une épaisseur constante. Il produit encore un quadrillage classique et standard en quatre bandes comptant chacune de deux à trois cases aux dimensions régulières : soit un tiers de la bande, soit une moitié, soit deux tiers. La variété des physionomies fait souvent défaut et l'encrage de certains visages est excessivement lisse ; en revanche, les arrière-plans détaillés de l'artiste surprennent toujours, et le déroulement de l'action est d'une clarté exemplaire, à l'exception d'une seule petite case, où elle est un peu confuse. 

Le récit principal permet à Charlier d'approfondir le personnage d'Éric, bien que l'on reste dans les standards de l'époque. Enfin, l'amorce finale est très prometteuse, et ce premier complément lève le voile sur une partie des origines de Barbe-Rouge. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. En voyant apparaître la mention Tome 20 dans le titre, je me suis dit que ma mémoire me jouait des tours parce que je ne me souvenais pas avoir lu autant de critiques sur cette série. Ouf, l'explication de ton introduction me rassure.

    Vivres frais : ah ben ça alors, j'aurais juré que Vivres était féminin, ce en quoi je serais trompé.

    Barbe-Rouge, d'abord, n'apparaît quasiment pas dans les trente planches. - Plus jeune, je pense que j'aurais été déçu en achetant un album dont le titre me promet les aventures du pirate Barbe Rouge, et qu'il n'en soit pas ainsi. Aujourd'hui, je pense que je serais moins frustré, surtout s'il s'agit du tome 20, c'est-à-dire une série au long cours.

    Je choisis, je paie et j'embarque, un point c'est tout ! - Je commence à voir des Tintin partout : Coke en stock. J'exagère bien sûr, parce que le thème de l'esclavage est un classique de la littérature d'aventure. Un personnage y fait référence dans le comics que je lisais ce matin, Dpt. H, de Matt Kindt.

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    1. C'est incroyable à quel point les éditeurs, à l'époque, auront choisi de saucissonner bon nombre d'albums.
      "Vivres" : j'ai eu quelques doutes. Larousse les a levés pour moi.
      Concernant "Coke en stock", je pensais que c'était postérieur à 1962, tu vois, mais non : 1958. Il est encore plus intéressant d'apprendre que Jacques Martin a participé au scénario comme aux dessins. Tiens, ça me donne envie de lire un bon vieux "Lefranc", d'un seul coup.

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