"Michel Fourniret, l'ogre des Ardennes" est un album format 20,0 × 26,5 cm à couverture cartonnée. Il est sorti chez Glénat en mars 2020. Il comprend cent vingt planches, ainsi que dix-huit pages de bonus à propos de Fourniret, de ses victimes, et de l'enquête. Cet ouvrage est l'un des deux premiers recueils d'une nouvelle série dont les volumes ne sont pas numérotés : "Stéphane Bourgoin présente les serial killers". L'éditeur avait déjà annoncé une trentaine de tomes, mais c'était avant que Bourgoin reconnaisse avoir menti sur maints aspects de sa vie.
Stéphane Bourgoin est rédacteur en chef et conseiller historique de la série ; c'est certainement lui qui choisit les tueurs en série qui feront l'objet d'un album. Jean-David Morvan a conçu le scénario. Le dessin est confié à Damien Geffroy, ainsi qu'à l'Argentin Facundo Percio. Il y a bien changement de trait au bout de vingt planches, mais j'ignore comment ces artistes ont organisé le travail. Arnaud Locquet produit la mise en couleur.
Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes ; Monique Olivier, interrogée par Étienne Jallieu, revient sur sa rencontre avec Michel Fourniret. Oui, elle a agi "de façon horrible". C'est inqualifiable. Elle affirme avoir rencontré Fourniret en répondant à une annonce dans l'hebdomadaire "Le Pèlerin" : "Prisonnier aimerait correspondre avec personne de tout âge pour oublier solitude." C'était en février 1987 ; Olivier était à la dérive et elle avait besoin d'une "bouée de sauvetage". Elle lui a raconté sa vie. Comment elle a perdu sa virginité avec un soldat, à la gare de Metz. La virginité ; elle sent que Fourniret est obsédé par le sujet. À l'époque, Olivier savait très bien que Fourniret avait commis des viols sur mineurs. Mais "c'était un fauve", et ça lui "plaisait" ; et lorsque, le 22 octobre 1987, il a été libéré de Fleury-Mérogis pour conduite exemplaire, elle est allée le chercher. En l'apercevant, elle a pensé qu'il ne lui plaisait pas...
L'objectif de cet article n'est pas de revenir sur "l'affaire Bourgoin", mais de présenter la critique argumentée d'un album de bande dessinée. Dans la préface, Bourgoin explique qu'il souhaite que les lecteurs se remémorent les noms des victimes ; un avertissement de l'éditeur précise qu'il ne s'agit en aucun cas de glorifier les actes du tueur. Les auteurs se sont sérieusement documentés. Ils retracent le parcours de Fourniret et d'une partie de sa vie, en tentant de mettre en avant certains aspects de sa personnalité, sans parvenir à la synthétiser clairement ou à l'exprimer avec la conviction voulue. Le récit prend la forme d'un dialogue entre Fourniret et un certain Étienne Jallieu ; c'est le pseudonyme que Bourgoin a utilisé plusieurs fois au cours de sa carrière d'écrivain. Évidemment, c'est à Bourgoin que l'interrogateur emprunte ses traits, bien que son visage ne soit jamais entièrement représenté. Jallieu dirige un jeu de questions-réponses, pimenté de quelques joutes verbales courtes, mais à peine dissimulées ; les auteurs semblent avoir tenu à souligner l'importance du contrôle de la discussion. "L'Ogre des Ardennes" n'est pas une bande dessinée prenante, tant la narration est ordinaire, sa linéarité pesante, et que les dialogues ne ressemblent qu'à un interrogatoire convenu de salle de commissariat aux allures de face-à-face psychologique inabouti. Si cette manière de procéder se veut factuelle à l'extrême, comme pour exprimer le gage d'un certain professionnalisme, le cadre qu'elle appose empêche de représenter la pleine dimension de la monstruosité de Fourniret. Le tueur et sa femme répondent aux questions égrenées par Jallieu, et racontent leurs crimes, machinalement, sur un rythme monotone. Si l'objectif était d'éviter que les noms des victimes soient oubliés, c'est raté, tant leurs portraits manquent de profondeur, laissant l'assassin au premier plan. Enfin, en évoquant l'affaire des disparus de Mourmelon, les auteurs se permettent une digression un peu trop longue. La partie graphique est homogène. Les dessinateurs évoluent dans le registre réaliste : normalité des proportions, des postures, absence d'exagération de l'expressivité ou du mouvement. Le trait est soigné et régulier. Si les véhicules sont représentés avec minutie, pour les décors, c'est l'approche minimaliste qui a été retenue. L'encrage est satisfaisant, sans surcharge ou recherche d'effet spécial, si ce n'est ce reflet sur les verres des lunettes de Fourniret qui cache son regard. La mise en couleur revêt cette tragédie d'un voile terne et triste : particulièrement adapté à la circonstance.
Bien que le récit souffre d'une narration et d'une approche sans originalité, le parcours de Fourniret et Olivier et leur marginalité terrible accablent les lecteurs. Deux autres albums ont déjà été prévus, mais reste à savoir si Glénat confirmera la série.
Mon verdict : ★★☆☆☆
Barbüz
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Il se trouve que mon premier contact avec ces BD s'est fait par le biais d'un article sur UMAC, écrit par Virgul. j'avais donc un fort a priori négatif, avant même de le voir sur les étalages du libraire, à côté du tome consacré à Ted Bundy.
RépondreSupprimerTon article me permet de prendre connaissance du point de vue BD, à commencer par le lien sur l'affaire Bourgoin (à nouveau très pratique que tu l'ais inclus). J'ai été très sensible aux critères que tu explicites : linéarité, dialogues convenus, monstruosité affadie. Je me souviens avoir lu la BD Le tueur de la Green River : L'histoire vraie d'une enquête, par Jonathan Case & Jeff Jensen, sur un tueur en série (d'ailleurs Stéphane Bourgoin a écrit un livre dessus). J'avais été frappé par l'aspect très prosaïque de l'enquête se déroulant sur de nombreuses années (une vingtaine d'années) et les auteurs parvenaient à éviter tous les écueils que tu relèves. J'ai beaucoup aimé cet article qui répond à des questions que je me posais, et à ton approche BD qui réussit à s'affranchir de la polémique médiatique.
http://umac2.blogspot.com/2020/05/nouveau-scandale-chez-glenat.html
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Merci de tes encouragements.
SupprimerCelui-là aura été un achat impulsif, à force de le voir en rayon. Je me suis longtemps demandé s'il fallait lire une bande dessinée sur Fourniret. La curiosité l'a emporté. J'ai même failli prendre "Ted Bundy" dans la foulée, mais j'ai estimé que ça ne me parlait pas.
J'ai dû recommencer cet article ; au début, j'ai trouvé que je me focalisais trop sur Bourgoin, et comment ce type avait réussi à tromper son monde durant une trentaine d'années, voire plus. Je ne parvenais pas à scinder les deux problématiques : Bourgoin et l'album. J'ai fait table rase de ma première mouture pour me concentrer entièrement sur la BD. J'aurais voulu souligner davantage la vanité mal dissimulée de Bourgoin, mais je la sous-entend peut-être suffisamment. Cela dit, je ne pense pas avoir beaucoup plus d'estime pour ceux qui se sont évertués à le démasquer et à le dénoncer.
Quoi qu'il en soit, en ce qui me concerne, cette série s'arrête là, tu t'en doutes bien.
Je comprends bien ta décision ne t'arrêter là. Moi-même, je ne me vois pas lire un tome de cette collection, entachée qu'elle est par l'affaire Bourgoin.
SupprimerJe savais que Bourgoin était dans le collimateur, mais vu la hauteur des propos qui l'incriminaient, j'étais incapable de dire s'il s'agissait de journalisme d'investigation ou d'une vendetta personnelle. Quoi qu'il en soit, je n'aurais pas acheté cet album après avoir pris connaissance des aveux de l'intéressé.
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