"Les Ignorants : Récit d'une initiation croisée" est un album de bande dessinée (au format 20,3 × 27,5 centimètres) paru chez Futuropolis en octobre 2011 ; cet ouvrage à couverture cartonnée comprend une histoire complète et indépendante de deux cent vingt planches, en noir et blanc avec des nuances de gris.
"Les Ignorants : Récit d'une initiation croisée" a été entièrement réalisé par le Français Étienne Davodeau : scénario, dessin, encrage. Celui-ci est connu pour "Lulu femme nue", "Les Mauvaises Gens : Une histoire de militants", "Un homme est mort", cosigné avec Kris. Davodeau a reçu de nombreuses distinctions au fil de sa carrière : grand prix de la critique (2006) ; prix du scénario et prix du public à Angoulême (en 2006) ; prix RTL du meilleur album BD (en 2007) ; prix du jury œcuménique de la bande dessinée (2007) ; prix France Info de la bande dessinée d'actualité et de reportage ; prix Saint-Michel (2009) ; prix du public Cultura au festival d'Angoulême (2016), et bien d'autres.
Attablés devant une tasse de café, Étienne Davodeau et Richard Leroy évoquent le projet de livre du premier. Leroy résume. S'il a bien compris, Davodeau, pour faire son bouquin, viendra bosser bénévolement dans ses vignes. Davodeau acquiesce ; il demande aussi que Leroy lui explique ce qui se passe dans sa cave et qu'il l'initie à la dégustation. Sa requête ne s'arrête pas là. Il s'engage à lui faire découvrir la bande dessinée. Il lui apportera des livres, ils verront des auteurs et d'autres vignerons. Il ne dissimule pas les contraintes que cela implique pour son ami. Il l'aura dans les pattes pendant plusieurs mois, et cela va prendre du temps. Il suggère à Leroy de s'accorder quelques jours pour y songer. Pour toute réponse, Leroy se lève et revient avec deux verres et quelques bouteilles. Ça y est : il a réfléchi. Et ils commencent : Davodeau va d'abord goûter quatre vins, et tentera d'en expliquer les différences, et les ressemblances...
"Les Ignorants" est considéré comme un album documentaire. Il est construit sous la forme de chapitres à la longueur variable. Au total il y en a dix-neuf, qu'encadrent une introduction et un épilogue. Chacun évoque un thème plus ou moins défini qui est soit propice aux analogies, soit suivi d'une dégustation, voire les deux, comme si l'auteur veillait au bon équilibre : la production du vin et l'univers viticole (par exemple la taille, l'épineux sujet du soufre, le bio, la biodynamie, le système Parker...), une visite chez un vigneron, une rencontre avec un bédéiste ou un festival de bande dessinée... Le label documentaire est évidemment réducteur. Comme l'exprime le sous-titre, il s'agit d'une "initiation croisée" : une histoire d'amitié(s), de désaccords - y compris intestins, de deux passionnés dont chacun donne à l'autre l'opportunité de découvrir son métier et son propre monde ; de chaque côté, la démarche engendre des questions, suscite des incompréhensions - parfois jusqu'à l'agacement, aussi léger soit-il. La narration suit les étapes de la production du vin, et repose sur la dynamique du duo, animée par le naturel de dialogues sans maniérisme. Si l'auteur se met en scène, c'est avec modestie ; il organise surtout des rencontres avec ses pairs, comme s'il voulait rester discret derrière son art et en faire découvrir les maintes facettes à son comparse par l'intermédiaire d'acteurs qu'il estime. Son sujet - Richard Leroy - confine parfois au mystique. Davodeau souligne son attachement viscéral à sa terre, à son domaine, et à ses pieds de vigne, à qui il parle avec une forme d'affection ; il dépeint un homme aux convictions arrêtées, qui prétend à une certaine indépendance de tout système, haut en couleur, qui semble perdu lorsqu'il est transporté dans un autre environnement, notamment celui des grands festivals de bande dessinée. Évidemment, les artistes choisis par Davodeau sont issus du "système Angoulême". Oubliées, les séries populaires. Quant aux comics, on se cantonne à "Maus" et aux "Watchmen". Au moins sont-ils cités - et Giraud avec eux. Exigence d'un auteur habitué aux succès critiques ? Graphiquement, Davodeau évolue dans un registre semi-réaliste ; son trait présente donc une légère touche caricaturale, et une tendance - non systématique - à la simplification ou à l'optimisation du détail. Si certains regretteront l'absence de couleur, il y a une vie évidente, une véritable poésie et un lyrisme fort qui jaillissent des cases, des planches : l'effort du tonnelier, les caves, les vendanges, la pulvérisation de la 500P, une voûte étoilée ou ces paysages corses...
"Les Ignorants" parlera en priorité à tous ceux qui apprécient le vin et/ou la bande dessinée. Pour ceux qui ni l'un ni l'autre n'intéresse, il reste néanmoins une histoire universelle, celle de l'amitié de deux passionnés qui s'ouvrent mutuellement l'esprit.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
Les BD de Barbüz : sur Facebook
Je ne m'attendais pas à une BD de Davodeau sur ton site : un a priori sans fondement de ma part. J'ai souvent vu ses BD en bonne place sur les présentoirs, mais sans franchir le pas de la lecture. J'ai dû en offrir une à ma mère.
RépondreSupprimerIntéressant comme démarche : je n'avais pas fait attention au fait que le bédéaste fait découvrir son monde au vigneron, qu'il y avait une réciprocité. Le sujet ne me tente pas plus que ça, mais si mon neveu me l'offre à Noël, je ne ferai pas la fine bouche. :)
Ton a priori a peut-être bien un fondement. Mon blog fait effectivement la part belle à une bande dessinée que l'on pourrait qualifier de "commerciale" ; c'est l'un de mes souhaits de chroniquer, dans leur entièreté ou presque, certaines séries considérées comme importantes, ou en tout cas bien connues du grand public. Néanmoins, récemment, je me suis fait la réflexion, en découvrant des bandes dessinées qui sortent des sentiers battus sur ton site, que je n'offrais pas suffisamment de place aux "one-shots", à la BD "indépendante" dans le sens très large du terme, et à une certaine BD d'auteur. J'ai donc décidé de faire évoluer - légèrement - mon contenu ; une démarche que j'ai entamée avec "Bretagne", et continuée avec "Monet", "L'Art du sushi", "Le Voyage de Marcel Grob", et "Les Ignorants" (là j'en ai tout une pile). J'essaie d'insérer un ouvrage "d'auteur" toutes les cinq lectures. C'est peu, mais j'ai plusieurs titres fleuves en cours, et puis, ma volonté d'ouverture à ses limites ; je sais que ne m'intéresserai pas assez à des œuvres ou des sujets comme "Le Consentement" ou "Chute libre" - pour n'en citer que deux que tu connais bien - pour vouloir les lire. Ce qui ne m'empêche pas de parcourir tes commentaires avec intérêt ; c'est sans doute paradoxal.
SupprimerPour mon a priori, je savais en écrivant cette phrase que j'étais à côté de la plaque : je me souvenais bien de L'art du sushi, et encore plus de Monet (j'ai visité les jardins de Giverny mardi dernier et ce fut très agréable, merci de la recommandation), plus vaguement des 3 autres. Je me suis inscrit sur Babelio il y a quelques années, et il est possible de parcourir la bibliothèque d'autres inscrits par genre, la BD étant considérée comme un genre. Du coup, ça donne une image partiale des lectures de la personne. On y voit aussi apparaître des grandes tendances, pouvant aller (en grossissant le trait bien sûr) du tout Aventure, au tout Témoignage (vie quotidienne, reportage, Histoire, etc), avec certains dont la suite de commentaires ne portent que sur les bestsellers BD.
SupprimerJe n'avais pas repéré la fréquence d'une fois toutes les 5 lectures. En ce qui me concerne, je voulais absolument lire des BD qui ne soient pas similaires à des comics, en particulier à des superhéros. Intention que j'ai réussi à suivre, sauf quelques exceptions bien sûr, comme la Brigade chimérique, et l'Œil de la Nuit.
Je n'y vois rien de paradoxal : nos commentaires ne sont le reflet que d'une toute petit partie de notre vie et de nos centres d'intérêt. Il me semble au contraire normal d'être curieux d'autres types de BD, même sans avoir l'intention de les lire.
Cette démarche d'une "BD d'auteur" (j'insiste sur les guillemets) toutes les cinq lectures est très récente. On en reparlera d'ici quelques semaines. En attendant, je suis parti pour deux "Tif et Tondu", un "Barbe-Rouge", et un "Olympus Mons".
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