mardi 25 août 2020

Batwoman (tome 0) : "Élégie" (Urban Comics ; août 2012)

Le premier des cinq tomes de la série qu'Urban Comics a consacrée à Batwoman porte le numéro "zéro" : il est sorti en août 2012 dans la collection DC Renaissance de l'éditeur. Cet ouvrage (format 17,5 × 26,5 cm) à couverture cartonnée contient cent quatre-vingts planches approximativement. Sommaire de l'album : les versions françaises des histoires extraites des "Detective Comics" #854 à 863, toutes publiées, en VO, entre août 2009 et mai 2010. 
Cet album comprend trois arcs. Le premier, intitulé "Élégie" ("Elegy" en VO), est composé de quatre parties ; il est écrit par Greg Rucka, dessiné et encré par J. H. Williams III, et mis en couleur par Dave Stewart. Le deuxième, "Go" (trois numéros), est réalisé par la même équipe. Le dernier, "Cutter" (idem), est scénarisé par Rucka, illustré et encré par Jock (avec onze planches de Scott Kolins dans le #863) et la mise en couleur est signée David Baron

Une nuit à Gotham City. Un jeune homme, Rush, fuit à travers les ruelles de la ville. Batwoman se met en travers de son chemin. Il implore sa pitié et lui demande ce qu'elle lui veut. La justicière répond qu'elle veut ses secrets : où, quand, et "son" nom. D'un geste rapide de la jambe, elle bloque la gorge de Rush contre le mur, avec son pied ; car elle a bien l'intention de le faire parler. Rush sait seulement "qu'elle" arrive et "qu'elle" sera bientôt là. Mais il ne peut en dire plus ;"ils" le tueraient. Le voyou s'effondre, à genoux ; pour accentuer sa domination, Batwoman pose sa botte sur son épaule. Elle promet de ne pas "les" laisser l'assassiner. Soudainement protectrice, elle attire sa bouche à son oreille et l'encourage - avec douceur, mais fermeté - à parler - avant de le laisser filer. Batman apparaît alors sur les escaliers métalliques de l'immeuble. D'un geste impératif, il ordonne à Batwoman de le retrouver sur les toits du bâtiment. Résignée, Batwoman rétorque qu'elle se demandait justement quand il se montrerait ; elle le rejoint aussi sec. Batman a vu que Rush avait craché le morceau... 

À la fois lesbienne, ex-militaire, juive, justicière, experte en close-combat, farouchement indépendante, provocatrice, séductrice, intègre et droite dans ses bottes en toutes circonstances : avec Katherine Rebecca "Kate" Kane, DC Comics, plutôt frileux dans son approche des questions sociétales, frappe un grand coup. Opportunisme afin de rester dans l'air du temps ? Peu importe : Kate Kane est un personnage charismatique, bien pensé, très intéressant, et dans lequel il est évident que Rucka, l'un de ses créateurs, a mis du cœur et une bonne dose d'authenticité ; cette Batwoman, en un mot, est unique ! L'arc "Élégie" ne se laisse pas facilement appréhender ; la Continuité et les événements DC Comics sont passés par là. Rucka offre une intrigue reliée à la mini-série "52", dans laquelle Batwoman était enlevée par Intergang sur ordre de Bruno Mannheim, un mafioso fidèle du Culte du Crime. Souhaitant accomplir une prophétie de la Bible du Crime, celui-ci a pour projet de la sacrifier lors d'un rituel ; c'est un échec, mais la super-héroïne est grièvement blessée. Dans "Élégie", l'action démarre avec Batwoman en pleine enquête tandis que courent des rumeurs concernant l'arrivée imminente d'un nouveau leader du Culte du Crime. Au fil de son intrigue, Rucka donne de la substance au personnage à travers tous les aspects de son quotidien de chaque face du masque : vie sentimentale tumultueuse, relation forte avec son père - mais conflictuelle avec sa belle-mère, séquelles de sa blessure, activité de justicière, entraînement, le tout rythmé par des dialogues soignés. "Élégie" s'inscrit dans le registre fantastique ; "Go", le sommet de l'album, est un thriller sur les jeunes années de Kate, qui évoque le "Don't Ask Don't Tell" de l'US Army ; peu captivant, "Cutter" revient sur le syndrome de Stockholm et le même psychopathe à plusieurs années d'intervalle, et établit un parallèle entre les modes opératoires de Batman et de Batwoman. La partie graphique est marquante ; l'hyperréalisme de Williams se structure dans des quadrillages à l'originalité frappante. L'artiste opte pour une sophistication sublimée par Stewart, mais montre qu'il peut évoluer dans le registre classique. Le dessin anguleux et brut de Jock semble ensuite très dépouillé. 
La traduction a été confiée à Thomas Davier. Globalement, son texte est soigné ; il y a une faute fréquente, néanmoins : "après que" n'est jamais suivie du subjonctif. Enfin, l'éditeur français aurait pu insérer là un résumé clair des événements de "52"

"Élégie" n'est pas un premier album facile. Les fioritures et la sophistication du travail de Williams peuvent distraire le lecteur de l'intrigue. Un moindre mal, parce des trois arcs narratifs, seul "Go" est réellement brillant ; "Élégie" se regarde avant tout. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Les BD de Barbüz : sur Facebook - sur Twitter

3 commentaires:

  1. Un excellent souvenir de lecture, bien que je n'ai pas lu les épisodes 861 à 863, parce qu'ils étaient dans un autre recueil VO et que j'étais intéressé par les épisodes illustrés par J.H. Williams III. Le chapitre Go avait également été mon préféré.

    À la fois lesbienne, ex-militaire, juive, justicière, experte en close-combat, farouchement indépendante, provocatrice, séductrice, intègre et droite dans ses bottes en toutes circonstances : écrit comme ça, ça fait beaucoup pour une seule personne. :) Mais je la reconnais bien dans cette description cumulative.

    La partie graphique est marquante : J.H. Williams III est un des artistes pour lequel je suis prêt à acheter les BD quel que soit le scénariste ou le personnage. Sandman Ouverture m'a laissé des étoiles plein la tête. La version Deluxe de Promethea m'attend dans la pile pour une relecture à tête reposée afin de me délecter des illustrations (et de ne pas me faire perdre par les hauteurs prises par Alan Moore).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce que je reproche à Williams est pourtant une qualité dont rêveraient beaucoup d'artistes : celle de faire oublier la médiocrité d'un scénario, voire de parvenir à en détourner l'attention. A contrario, je trouve que son style très sophistiqué nuit aussi aux scénarios réussis, comme si le trait du bonhomme tenait absolument à attirer l'attention sur lui. Je ne sais pas si mon propos est clair...

      Supprimer
    2. Je trouve ton propos très clair. Je suis forcément entièrement d'accord pour le fait que JH Williams III arrive à faire oublier la médiocrité d'un scénario, et même à rendre l'histoire intéressante parce qu'il apporte visuellement, ce qu'il raconte en dessins, même si je ne qualifierais pas ça de détourner l'attention, mais plutôt de nourrir ce qui est raconté.

      L'excellence de JH Williams III nuit aux scénarios réussis : je ne sais pas. Sur les 2 exemples qui me sont restés en tête (Promethea avec Alan Moore, Overture avec Neil Gaiman), j'ai ressenti qu'il avait travaillé avec eux, au service d'Alan Moore qui a su mettre à profit sa virtuosité, peut-être plus en collaboration avec Gaiman qui a (mais ce n'est qu'une supposition) pu construire la structure des pages avec lui. Je garde également un bon souvenir de l'île du Docteur Mayhew avec Grant Morrison sur Batman, de Desolation Jones avec Warren Ellis, ou de deux épisodes de Seven Soldiers of Victory (toujours avec Morrison).

      Pour les scénarios de Rucka, dès le départ, j'avais trouvé que cette notion de Religion du Crime faisait trop kitsch, en particulier dans la minisérie 52 Aftermath Crime Bible: Five Lessons of Blood, déjà écrite par Greg Rucka, et dans Final Crisis: Revelations, également de Rucka.

      Oui, je trouve également exubérantes les pages de JH Williams III, mais j'y vois plus l'investissement d'un artiste surdoué, que de l'esbroufe, ce qui reste uniquement mon ressenti très personnel.

      Supprimer