vendredi 28 août 2020

Verdun (tome 3) : "Les Fusillés de Fleury" (Grand Angle ; février 2018)

"Verdun", une série franco-espagnole sur la Première Guerre mondiale, fut créée et lancée en 2016 par Jean-Yves Le Naour, Marc Armspach dit Marko, l'Espagnol Iñaki Holgado, et Sébastien Bouët. Elle est publiée dans la collection Grand Angle de la maison Bamboo Édition ; à ce jour, elle compte trois numéros. 
"Les Fusillés de Fleury", le troisième tome, est un album cartonné grand format de quarante-six planches. Le Naour écrit le scénario. Docteur en histoire, spécialiste de la Première Guerre mondiale, enseignant, essayiste, il dirige "L'Histoire comme un roman", une collection Larousse, et il est l'auteur de documentaires sur la Grande Guerre. "Verdun" n'est pas sa première incursion en bande dessinée. Graphiste, professionnel de l'animation, Marko se charge de la mise en scène. Holgado produit les illustrations. Après avoir œuvré dans l'animation, le jeu vidéo, et la publicité, il décide de se consacrer exclusivement à la bande dessinée. Pour finir, Bouët réalise la mise en couleur. 

Verdun, 1920. Un vétéran de guerre à la gueule cassée écoute le discours d'un politicien, de loin. Des "âneries". Ses pensées sont interrompues par une femme qui l'appelle par son prénom, Auguste. Il est étonné qu'elle l'ait reconnu ; c'est Fernande, la veuve d'Henri Herduin, fusillé le 11 juin 1916. Elle demande à Auguste où son mari est tombé. Il marche un instant, et lui désigne la ferme de Thiaumont. C'est là-bas qu'était leur position. Ah, ils en ont bavé. Fernande veille à ce qu'il ne s'éloigne pas de la question, mais Auguste continue. "Les Boches" les encerclaient de partout. L'artillerie allemande ne pouvait même pas tirer de peur de toucher ses hommes. Fernande est intriguée par une baraque, debout au milieu de nulle part ; Auguste l'informe qu'il s'agit d'un ossuaire. Des milliers d'os, français et allemands confondus ; des héros fraternisant pour l'éternité. Quand il pense à "ces embusqués" qui leur parlent d'héroïsme !... 

Juin 1916. Commandées respectivement par les sous-lieutenants Henri Herduin (1881-1916) et Pierre Millant (1886-1916), les 17e et 19e compagnies du 5e bataillon du 347e régiment d'infanterie sont envoyées dans le secteur de la ferme de Thiaumont ; pilonnées par l'artillerie allemande, leurs effectifs réduits de moitié, les officiers supérieurs morts ou capturés, elles sont sans ravitaillement, à court de munitions, et coupées de toute communication... La nuit du 8, Herduin et Millant, afin d'éviter d'être faits prisonniers, se replient avec la quarantaine de survivants. Ils vont à Verdun, mais reportent leur rapport à plus tard et prennent deux jours de repos. Le 11, ils rejoignent le 347e RI, dont le capitaine a reçu l'ordre de les fusiller "immédiatement" pour "abandon de poste". "Les Fusillés de Fleury" conte l'histoire d'une terrible injustice et du combat qui en résulte. C'est le récit d'une promesse, d'une femme déterminée, qui jure sur la tombe de son défunt époux qu'elle le vengera. Par amour de lui, elle va affronter l'armée, l'administration publique, et le pouvoir en place. Fernande Herduin va se heurter à la mauvaise volonté, à l'inertie de l'administration, notamment au sous-secrétariat d'État à la Justice militaire, où elle se voit attribuer l'étiquette "d'emmerdeuse". Elle ne se battra pas seule, et sera aidée et conseillée par André Berthon, député communiste, et Ferdinand Buisson, cofondateur de la Ligue des droits de l'homme. Ils utiliseront la presse, porteront plainte à la police, et livreront bataille contre cette hydre d'indifférence que peut être l'administration française ; Le Naour met en scène la réticence de l'Armée à rouvrir certains dossiers, les manœuvres politiques et les rivalités entre partis au sein de la Chambre des députés, les stratégies d'alliance et d'attaque visant à faire triompher leur cause. Cela sera long et difficile ; les lecteurs sont maintes fois témoin du découragement passager de Fernande, qui n'abandonnera pas. Terriblement émouvantes, la relation des événements devant le tribunal du Palais de justice de Paris et la tragique séquence du peloton d'exécution - elle occupe bien cinq planches - amèneront les larmes aux yeux. La partie graphique est très aboutie ; Holgado déploie un trait réaliste, au contour léger et sans surcharge d'encrage, qui respecte les physionomies, et présente une belle palette d'expressions (le dédain de Fernande en planche 5 ; sa fatigue en planche 6). Le niveau de détail est satisfaisant (l'hémicycle de la Chambre, les rues de Paris, ou la campagne de Verdun). La couleur souligne les contrastes à merveille. 

"Les Fusillés de Fleury" est le sommet de cette série consacrée à Verdun ; Le Naour conte une bataille poignante au nom de l'amour et de la justice, dont l'objet serait resté une tache sur le livre de l'Histoire de France s'il n'y avait pas eu réhabilitation. 

Mon verdict : ★★★★★ (Lire l'article de Présence pour un second point de vue)

Barbüz
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3 commentaires:

  1. Le meilleur tome de la série visiblement et qui a l'air de pouvoir se lire indépendamment des deux autres.

    Deux scènes amènent les larmes aux yeux : hé bien, la manière dont tu l'évoques convainc totalement de cet effet, pourtant pas si facile que ça a réaliser, sans donner l'impression de prendre le lecteur en otage.

    Du coup, je suis allé voir les premières pages consultables gratuitement et ça fait envie.

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    1. Effectivement, j'aurais pu préciser que ce tome, comme les deux autres, peut se lire indépendamment de tout autre, pour reprendre une formule qui t'est chère. Dans l'ensemble, les trois tomes donnent un bon aperçu de la bataille de Verdun ; peut-être y en aura-t-il un quatrième ? Si ce n'est pas le cas, une intégrale verra certainement le jour.

      Oui, les larmes aux yeux. J'ai lu ces planches et les ai relues le lendemain : même effet. Elles sont à la fois tragiques et pleines de lyrisme.

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    2. Aucune taquinerie dans ma question : je suis très tenté par la lecture de ce tome en particulier, mais pas autant des autres.

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