dimanche 16 août 2020

"Le Quatrième Monde" : Tome 1 (Urban Comics ; janvier 2015)

Le premier tome des quatre de la série qu'Urban Comics consacre au "Quatrième Monde" de Jack Kirby est sorti en janvier 2015, dans la collection DC Archives. Cet épais recueil (au format 19,0 × 28,5 centimètres) à couverture cartonnée contient trois cent quatre-vingt-dix planches approximativement. Au sommaire de cet album, on retrouve : les versions françaises des "Superman's Pal, Jimmy Olsen" #133-139 (d'octobre 1970 à juillet 1971), "Forever People" #1-3 (de mars à juillet 1971), "New Gods" #1-3 (de mars à juillet 1971), et "Mister Miracle" 1-3 (d'avril à août 1971). 
Jack Kirby (1917-1994) écrit tous les scénarios et produit la partie graphique ; Al Plastino (1921-2013) - vétéran des illustrations de la franchise de Superman - retouche les visages de Superman et ceux de Jimmy Olsen. Vince Colletta (1923-1991) est encreur principal, avec la participation de Murphy Anderson (1926-2015). 

Metropolis, dans les quartiers pauvres. Jimmy Olsen rejoint la Légion des Petits Rapporteurs dans l'atelier et QG de ces derniers. Leur Sensassmobile est prête. Olsen est enthousiaste. Voilà une voiture incroyable qui mérite une manchette sur la une du Daily Planet, même si cela n'a rien à voir avec le sujet qu'on lui a demandé de couvrir ; Jactance (Anthony Rodriguez, Jr.), concepteur de l'engin, lui souhaite la bienvenue et promet qu'ils vont tout expliquer. Grenouille (Walter Johnson, Jr.) ajoute que le véhicule est paré pour toutes les situations y compris la plongée et Tape-Dur (Patrick MacGuire, Jr.) attire son attention sur la caméra de bord. Gabbos (Jonathan Gabrielli, Jr.) plaisante, et Tommy (Thomas Thompkins, Jr.) est inquiet pour l'onéreuse roue de secours. Jactance apprend ensuite à Jimmy que leur ordinateur installé les emmèneront où ils voudront ; ils n'auront qu'à programmer la destination. Moqueur, Jimmy doute qu'ils aient construit leur Sensassmobile seuls. Piqués au vif, les cinq garçons se présentent : les fils des petits rapporteurs de la Légion des années quarante !... 

Déçu par sa situation contractuelle, Kirby quitte Marvel en 1970 et revient chez DC Comics, l'unique alternative ayant alors les moyens de lui permettre de coucher sur papier cette grande fresque d'inspiration mythologique, biblique et science-fictionnelle qu'est "Le Quatrième Monde", un affrontement permanent et passionnant entre bien et mal, entre monde libre et forces des ténèbres, entre Néo-Génésis et Apokolips. Darkseid et sa recherche inlassable de l'équation d'anti-vie apparaissent comme une menace rampante, omniprésente, un combat de l'ombre livré en coulisses. Cette lutte est le fil rouge entre les différents titres qui le composent. Parmi les autres thèmes, le clonage, le risque du nucléaire, les itinéraires mystiques (la Vroum-Route) ou les communautés marginales qui auraient réussi à se développer en marge des sociétés modernes. Kirby, alors âgé de près de cinquante-cinq ans, produit une partie graphique à l'imagination débridée dans laquelle il est au sommet de son art. Son trait puissant à l'expressivité unique s'articule autour d'un découpage exemplaire dans un quadrillage varié. Curieusement, c'est Colletta qui sera son encreur ; décision éditoriale étrange, celui-ci étant réputé pour "optimiser" les arrière-plans des cases ; il apporta néanmoins une touche Marvel qui fut appréciée de nombreux lecteurs. Hélas, le Superman de ces pages n'est pas celui de Kirby. L'éditeur fit redessiner (par Plastino) ou retoucher (par Anderson) le visage du Kryptonien afin de préserver le classicisme de l'icône, procédé également appliqué au personnage de Jimmy Olsen. Une décision qui, cinquante ans plus tard, engendre encore de l'amertume chez les amateurs. Enfin, publier les numéros dans l'ordre de parution n'est peut-être pas le choix le plus approprié ; pour se remémorer des détails, il faut souvent revenir à la fin du chapitre précédent. Proposer cette somme série par série aurait procuré un plaisir de lecture différent, quoique peut-être au détriment de l'impact de l'histoire. "Le Quatrième Monde" aura eu une influence non négligeable sur certains auteurs : par exemple Grant Morrison, dans "Les Sept Soldats de la victoire". Les épisodes de "Mister Miracle" et de "New Gods" sont de véritables joyaux, à découvrir sans tarder. 
La traduction est répartie entre Laurent Queyssi (studio Makma), Patrick Marcel et Jérôme Wicky. Elle est vraiment satisfaisante : rien qu'une incohérence tutoiement-vouvoiement. La préface et la postface (Morrison et Mark Evanier) sont instructives. 

Lire "Le Quatrième Monde" aujourd'hui, c'est revenir sur un pan important des comics américains, signé par l'un de ses auteurs les plus emblématiques. Comprendre le contexte de la création de cette épopée complexe et foisonnante est indispensable. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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3 commentaires:

  1. Coïncidence ou synchronicité : j'ai lu le recueil New Gods (VO) pendant mes vacances. Il contient les épisodes 1 à 11, plus l'épisode double Even Gods must die, et le graphic Novel Hunger Dogs. J'avais déjà lu les épisodes de la série Jimmy Olsen. Il me reste à lire les 2 autres séries.

    Publier les numéros dans l'ordre de parution n'est peut-être pas le choix le plus approprié - DC Comics a opté pour publier les 2 formats : celui repris par Urban, et également 1 tome par série. J'ai effectivement préféré lire ces séries dans ce 2ème format.

    C'est bel et bien l'encrage de Vince Colletta qui m'a longtemps retenu de me replonger dans ces séries, parce que je le trouve inadapté, à mon goût, aux caractéristiques des dessins de Kirby. Mais finalement c'était moins pire que dans mon souvenir, et sur New Gods, il est rapidement remplacé par Mike Royer que je préfère nettement.

    Lire "Le Quatrième Monde" aujourd'hui, c'est revenir sur un pan important des comics américains, signé par l'un de ses auteurs les plus emblématiques. Comprendre le contexte de la création de cette épopée complexe et foisonnante est indispensable. - 100% d'accord.

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    1. Je ne te cacherai pas que je ne connaissais pas le contexte dans lequel est née cette œuvre. J'en avais entendu parler et je savais que Kirby était revenu chez DC Comics pour la créer, mais j'ignorais tout des raisons de son départ de Marvel, et surtout je ne savais pas non plus que les pontes de DC Comics avaient imposé que l'on retouche "son" Superman. C'est un lisant les premiers épisodes que je me suis dit que ce Superman-là était décidément bien trop classique pour un artiste comme Kirby. Et après quelques recherches, je suis tombé sur le blog de Mark Evanier... 
      Il n'empêche. Malgré cette rude déception, je me suis régalé avec "Mister Miracle" et "New Gods", et le personnage du Pisteur noir m'a particulièrement impressionné, malgré le concept peu évident de ce lointain ersatz du Surfeur d'argent.
      Je suis moins dithyrambique à l'égard de "Superman's Pal, Jimmy Olsen", série que Kirby a choisie un peu par défaut, puisque l'éditeur lui a imposé de plancher sur un titre existant. Je trouve que c'est la moins intéressante des quatre.

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    2. Je connais bien le blog de Mark Evanier : je l'ai mis dans la liste des blogs qui apparaît sur mon site. Je l'ai d'abord croisé (en lecture) en tant que coscénariste de Groo, la série de Sergio Aragonés. Puis j'ai découvert ses propres séries Crossfire, DNAgents. De fil en aiguille, j'ai fini par lire ses articles ou ses éditoriaux, et puis son blog. Maintenant je regarde en plus les interviews qu'il effectue sur sa chaîne Youtube, la dernière étant celle avec Kurt Busiek. J'apprécie énormément son bon sens et ses valeurs qui s'expriment dans ses posts qui vont des énormités de Donald Trump à son dégoût pour la salade de chou (coleslaw), en passant par son goût pour la soupe à la tomate et les chats sauvages qu'il nourrit dans son jardin.

      Le Pisteur Noir : mon ressenti est à l'opposé du tien. Une version dérivée du Silver Surfer dont je trouve (mais ce n'est qu'un ressenti personnel) que l'apparence est ridicule, même dans le contexte d'un comics de superhéros comme les New Gods.

      Superman pal's Jimmy Olsen : série choisie par défaut, Evanier racontant que DC voulait que Kirby travaille sur une série avec un personnage déjà existant, et qu'il a choisi celle qui vendait le moins, sans équipe créatrice attitrée. Mais dès le premier épisode, il la rattache au Quatrième Monde, avec une pléthore d'inventions de son crû.

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