"Balles perdues" est un album de bande dessinée, paru en janvier 2015 aux éditions Rue de Sèvres ; ce recueil grand format (21,7 × 28,3 cm) à couverture cartonnée comprend un récit complet et indépendant de cent vingt planches en couleur. Une entrevue de Walter Hill de quatre pages est ajoutée en bonus.
Le scénario original a été conçu par Walter Hill ; ce réalisateur nord-américain est célèbre pour ses films d'action, dont "48 Heures" ("48 Hrs.", 1982), "48 Heures de plus" ("Another 48 Hrs.", 1990) ou "Double détente" ("Red Heat", 1988). Le scénario a été traduit et adapté par le Rouennais Alexis Nolent alias Matz, connu pour la série "Le Tueur". Hill et Nolent avaient déjà collaboré à l'occasion de l'adaptation du titre "Du plomb dans la tête" (trois tomes, 2004 à 2006) au cinéma par Hill ("Bullet to the Head", 2013). Pour finir, la partie graphique (dessin, encrage, et mise en couleur) a été composée par Jean-François Martinez alias Jef, révélé par "Jim Morrison : Poète du chaos".
Arizona, 1932. Une Cadillac noire fait vrombir son moteur sur la piste en traînant un nuage de poussière derrière elle ; elle semble se diriger vers les buttes de Monument Valley. Le véhicule continue et arrive à ce qui paraît être une ville fantôme. La voiture stoppe devant une pompe à essence Texaco. Un Afro-Américain, vêtu d'un complet-veston, en descend ; le crâne rasé, le visage balafré, il arbore une fine moustache. Il regarde avec méfiance partout autour de lui, puis ouvre la portière arrière droite de la Cadillac. Pendant qu'il fait le plein, un second homme sort du véhicule : un Blanc, habillé d'un costume trois pièces avec cravate, coiffé d'un feutre. Très flegmatique, il porte une mallette rectangulaire de la main droite, tandis que la gauche est enfoncée dans la poche de son pantalon. Il entre dans le saloon de l'autre côté de la rue. Au comptoir, un barman astique des verres. Seules deux des tables sont prises...
Dans "Balles perdues", les gangsters se jaugent et s'entretuent dans une violence exacerbée, laissant derrière eux une traînée de sang, avec Al Capone en coulisses. Ce sont des destins brisés : cet ex-boxeur, aussi énigmatique que mutique, ou ces filles, que les hommes s'approprient comme de la marchandise, les uns après les autres. C'est l'histoire d'un amour, celui après lequel court un homme, parce qu'il l'a idéalisé. C'est une amitié entre deux adversaires que tout oppose, mais que le concours de circonstances et un minimum de valeurs communes rapprocheront. C'est un portrait de l'Amérique et, surtout, du Los Angeles des années trente, aimant à jeunes filles naïves se voyant déjà sous les feux de la rampe ; Los Angeles, c'est également le pétrole de Venice, dont les puits témoignent du boom de cette époque. Si Hill évoque la prohibition (en 1932, elle touche à sa fin) et la corruption de la police, il ne mentionne rien de la crise économique qui dure - et qui affecta la Californie aussi. Dans la forme, Hill et Matz ont produit un scénario d'autant plus linéaire qu'il ne présente l'intrigue que du point de vue du personnage principal, Roy Nash ; mais les scènes, écrites comme pour le cinéma d'action - c'est-à-dire courtes, énergiques et sans détour -, rendent la linéarité de la narration à peine perceptible. Certaines séquences (de fusillades, principalement) malmènent la notion de plausibilité, mais passent quand même. Et puis il faut reconnaître que les compositions de Jef sont admirables. Réaliste (hyperréaliste pour les décors et les véhicules), son trait se caractérise par un contour fin et régulier, un encrage équilibré, et une expressivité très travaillée, notamment lors des actes violents, comme si utiliser un pistolet ou une mitraillette était un exutoire révélant la nature de l'homme, profondément brutale. Mais c'est surtout par son sens du détail et sa minutie que l'artiste surprend : le tapis de l'hôtel, les unes des quotidiens, le comptoir du diner, la traversée de Venice et ses puits de pétrole, les salles de jeu, le salon de coiffure, la salle d'interrogatoire, avec la lampe en plein visage, la foule du match de boxe, les rues de Los Angeles, avec leurs voitures, leurs enseignes lumineuses, et leurs bâtiments. Il a donné les traits d'Alain Delon - celui de l'époque de la seconde moitié des années soixante ("Le Samouraï", "Borsalino") - à Roy Nash : c'est parfait ! Deux boulettes : la Cadillac 90 V-16 Aerodynamic Coupe (un coupé, donc deux portes) n'a été produite, sauf erreur, qu'à partir de 1936 et est un anachronisme ; un gangster a été oublié lors de la fusillade finale.
"Balles perdues" est une histoire qui brille certainement plus par son efficacité que par son originalité, mais l'ouvrage procure néanmoins suffisamment de satisfaction à la lecture, et Jef produit un travail véritablement épatant sur la partie graphique.
Je me souviens de la découverte de sa série Le tueur, suivant sans condamnation morale la vie d'un assassin, très surprenant à l'époque car je n'avais encore rien lu de tel.
RépondreSupprimerQuand j'ai vu le titre apparaître sur ma page, j'ai pensé qu'il s'agissait des balles perdues de David Lapham (Stray bullets). :)
J'aime bien cette époque car la réalité du grand banditisme aux Etats-Unis dépasse la fiction, et a servi de support à des histoires de gangsters d'autant plus hallucinantes qu'elles sont proches de la réalité.
PS : les liens du paragraphe commençant par Le scénario original ont sauté.
Il y a quelque chose d'indéniablement cinématographique, dans cette œuvre ; normal, me diras-tu, puisque le scénario est de Walter Hill. Jef a sans doute voulu retranscrire cela.
SupprimerMerci de m'avoir informé du dysfonctionnement des liens ; je crois que j'ai activé une fonctionnalité que je ne maîtrisais pas, simplement en cochant une case lors de l'insertion d'un lien hypertexte.
Es-tu satisfait de la nouvelle version de Blogger ?
La nouvelle version de blogger : j'y ai à peu près retrouvé mes petits, sauf pour la taille des images et le placement des textes. Ce qui apparaît satisfaisant sur la version PC, donne des dispositions bizarres sur la version mobile. Je n'insiste pas pour ces réglages, parce que ça me prend trop de temps.
Supprimer