vendredi 4 septembre 2020

Harry Dickson (tome 3) : "Les Trois Cercles de l'épouvante" (Dargaud ; septembre 1990)

"Harry Dickson" est une série de bande dessinée qui met en scène les aventures du personnage rendu célèbre par l'écrivain gantois Raymond De Kremer, alias Jean Ray (1887-1964) ; celle-ci - car il y en a deux autres, dont une produite par Richard Nolane et Olivier Roman - fut créée en 1985, par les Bruxellois Christian Vanderhaeghe et Pascal Zanon (1943-2017). "Harry Dickson" sera leur unique incursion aboutie en bande dessinée. 
"Les Trois Cercles de l'épouvante" est le troisième tome de ce titre (a priori, toujours en cours à ce jour) ; c'est un ouvrage cartonné de quarante-six planches paru chez Art & BD (une diffusion Dargaud) en septembre 1990. Le scénario est écrit par Vanderhaeghe. Les illustrations sont de Zanon ; il travaillera sur le titre jusqu'en 2014, avant de transmettre le témoin à un autre artiste. La mise en couleur a été réalisée par Caméléon

Les années trente, à Londres, un 20 octobre. Cet après-midi-là, Goodfield, superintendant de la Special Branch du Scotland Yard, est au volant de sa MG, lorsqu'il ressent une fatigue soudaine, à laquelle il ne parvient pas à résister. Sa voiture quitte brusquement la voie de gauche pour celle de droite au moment où une Rolls-Royce noire arrive en sens opposé. Le passager de la Rolls-Royce demande à son chauffeur d'avertir l'autre conducteur, mais la collision est inéluctable : la MG continue sur sa lancée sans ralentir, et achève son trajet par un saut dans la Tamise, après avoir franchi le quai et arraché les chaînes de sécurité. Des badauds accourent aussitôt. Le fleuve est à marée basse ; aussi le véhicule, tombé sur une couche de vase, ne coule-t-il pas. Un agent, dont le collègue est allé chercher du secours, reconnaît instantanément le haut-fonctionnaire, qui, toujours à son volant, est vivant, mais inconscient. Le lendemain, 07h30, au port de Devonport, où mouille le HMS Renown, le croiseur de la Navy. Une voiture officielle arrive sur le quai... 

"Les Trois Cercles de l'épouvante" est l'adaptation du roman - ou de la nouvelle - éponyme, qui fut publié en 1933 dans le quatre-vingt-troisième des cent soixante-dix-huit numéros. Au programme, un mal bien étrange - qui rappellera invariablement "Les Sept Boules de cristal" (1948), Hergé ayant été maintes fois inspiré par l'œuvre de Ray - et une mission en Chine. Affirmons-le sans ambages : "Les Trois Cercles de l'épouvante" est pétri d'incohérences et pâtit d'une narration bancale, dans laquelle Vanderhaeghe abuse de l'ellipse et des raccourcis. Il y a, tout d'abord, cette série d'attentats dont le choix des victimes - d'abord intrigant - accouche d'une explication aussi farfelue que sibylline. L'identité de l'un des comploteurs est invraisemblable également, puisqu'il est lui-même le sujet d'un tour de passe-passe ! Ensuite vient la séquence incroyablement ratée du restaurant de Shanghai : elle est spectaculaire, sinistre, mais sans queue ni tête (c'est le cas de le dire !), sans conséquence et sans la moindre clarté : une tentative d'ellipse qui échoue platement, et la scène en devient complètement incompréhensible et parfaitement inutile. Et puis il y a bien sûr cette saugrenue virée dans une Chine en guerre, à l'issue de laquelle nos trois héros parviennent à s'infiltrer dans l'une des bases de la tristement célèbre Unité 731 de l'Armée impériale japonaise et à la couvrir de ridicule tant leur opération se déroule avec facilité. Enfin, ce conflit entre deux composantes de l'armée japonaise est à peine crédible. Vanderhaeghe saute ainsi de pistes qu'il n'exploite pas suffisamment en mystères qu'il ne résout pas, en passant par des séquences qu'il ne termine pas. Si les lecteurs sont ravis de retrouver cette atmosphère inquiétante qui laisse présager la Seconde Guerre mondiale, cette fois, l'indigence de la narration est bien plus pesante ; les défauts du scénario sont criants, hélas, même s'il faudrait connaître le roman de Ray afin de mieux comprendre les origines de la faiblesse généralisée de l'intrigue. Il est alors possible de se demander si le rôle de l'adaptateur n'est pas de pallier les défauts du contenu d'origine, et pourquoi il ne l'a pas fait. Concernant la partie graphique, le trait de Zanon n'évolue pas. Il demeure fidèle à l'école de Bruxelles ; cela présuppose volonté de réalisme et sens du détail. Ses compositions sont statiques, et ses personnages souffrent d'un déficit d'expressivité, renforcé par la quasi-absence d'encrage. Souvent massifs, les phylactères asphyxient les vignettes de manière rédhibitoire. Mais les décors et les machines sont particulièrement soignés. 

"Les Trois Cercles de l'épouvante" parvient à recréer cette atmosphère qui fait la touche inimitable de cette série. Malheureusement, la narration pâtit de nombreuses carences et les illustrations de Zanon semblent toujours aussi figées. Très décevant. 

Mon verdict : ★★☆☆☆ 

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Oulaaah ! 2 étoiles !?!

    J'ai beaucoup aimé cet article avec à la fois les avantages et les inconvénients des dessins appliqués et soignés de Zanon, et la problématique des solutions de continuité dans le scénario. Cela laisse un degré de liberté au lecteur de savoir si ces caractéristiques sont rédhibitoires au regard de ses attentes personnelles ou pas. Pour ma part, je dois dire que les phylactères asphyxiants me font reculer.

    Merci beaucoup pour le lien vers l'article sur l'unité 731 : je ne connaissais pas, très intéressant.

    Ce titre (a priori, toujours en cours à ce jour) : je n'avais pas prêté attention à cette mention les premières fois. Cette fois-ci je suis allé voir l'article wikipedia de la série, et j'ai découvert que les tomes 11 à 13 ont été dessinés par Renaud, le dessinateur attitré de la série Jessica Blandy. Je n'aurais jamais imaginé qu'il oeuvre dans ce registre graphique dérivé d'EP Jacobs, même si a posteriori ça fait sens.

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    1. C'est à la lecture de cet album que j'ai commencé à me demander si "Harry Dickson" était une série de bande dessinée qui méritait vraiment sa notoriété et son statut relativement culte. Je ne sais pas si cet album est un raté - ça arrive -, mais la qualité allant en décroissant depuis le premier tome, c'est avec appréhension que je pense au suivant.

      Merci de cette précision concernant Renaud ; lorsque je jette un œil aux extraits que propose Bédéthèque, je doute que ça soit là qu'il ait produit ses plus belles planches.

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