lundi 14 septembre 2020

Ric Hochet (tome 7) : "Suspense à la télévision" (Le Lombard ; septembre 1968)

"Suspense à la télévision" est le septième "Ric Hochet", cette série policière culte, conçue par le Belge André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) alias Tibet. L'entreprise compte soixante-dix-huit numéros, le dernier étant sorti en 2010, et s'étend donc sur presque cinquante ans. 
Cet album a paru aux éditions Le Lombard en septembre 1968 après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin" (l'édition belge) en premier lieu entre le 28 février (nº9/67) et le 18 juillet 1967 (nº29). Duchâteau écrit le scénario et Tibet produit la partie graphique (le dessin, l'encrage et la mise en couleur). Tibet ne réalisait pas les décors, qu'il déléguait à des assistants, ici à Jean "Mittéï" Mariette (1932-2001), et à Christian Denayer

Belgique, Bruxelles, la gare du Midi. Il est 20h51 et le commissaire Bourdon est sur le quai de la voie 16, celle du train Trans-Europ-Express - TEE - en partance pour Paris. Tandis que des voyageurs s'affairent autour de lui, il fume sa pipe en attendant Ric Hochet avec impatience. Déjà vingt minutes qu'il est là. Il commence à songer aux reproches qu'il fera à son ami, lorsque sa curiosité est attirée par un couple de jeunes gens qui regardent dans sa direction. Ils semblent hésitants. Est-ce bien lui ? Oui, il retourne à Paris, vite, il faut lui demander un autographe ! Bourdon se rengorge : on l'a reconnu, la rançon du succès. Les chasseurs d'autographes passent en courant sans prêter attention à lui ; ils en rejoignent d'autres qui s'attroupent autour d'un certain Lionel. Lionel ? Bourdon accoste un passager (à qui Tibet a donné les traits de Johnny Hallyday) pour l'interroger au sujet de ce Lionel, mais l'autre l'envoie sur les roses : d'accord, pour le moment, il n'y en a que pour Lionel, mais cela "ne durera pas toute la vie". Surpris, Bourdon le remercie néanmoins. Mais voilà Ric qui arrive enfin. Le reporter s'excuse auprès de son vieil ami et espère qu'il n'a pas attendu trop longtemps... 

"Suspense à la télévision", dont l'action se passe en Île-de-France en majeure partie, est construit en trois actes ; le premier (d'environ dix planches) se déroule à bord d'un train et rappellera quelques classiques, hitchcockiens entre autres. Puis vient la première agression au siège de l'ORTF - avec la course-poursuite en bateau qui en résulte -, suivie d'une seconde tentative (au total, une vingtaine de planches). Et enfin, la séquence de la péniche (cinq) est un prélude à un dénouement écrit dans un esprit fidèle à la tradition "christienne", c'est-à-dire en présence de l'ensemble des suspects. Forcément, parmi ces derniers se trouve le coupable, qui n'a d'autre choix que d'assister à la démonstration de force de l'enquêteur. Duchâteau évoque rarement l'évolution de la société française dans "Ric Hochet" ou alors il le fait de manière discrète, voire anecdotique. Le propos est ici plus marqué, même si la satire reste gentillette ; le scénariste confronte le héros au système du vedettariat et au monde de la télévision. Au sujet du premier, il s'agit d'une raillerie plutôt que d'une véritable critique. Néanmoins, Duchâteau souligne l'inconstance d'un public qui cède à une forme d'idolâtrie frénétique et infantile, la jalousie entre artistes, l'attitude protectrice - presque étouffante - des imprésarios, la fragilité des vedettes ou la niaiserie des paroles de certaines chansons ; le scénariste met aussi en scène la télévision comme outil de masse et de spectacle dans une conclusion qui préfigure une certaine télé-réalité. À cette époque (les premières planches ayant été prépubliées en février 1967, "Suspense à la télévision" a dû être imaginé fin 1966), la télévision est déjà un médium de masse : près de 40% des foyers sont équipés d'un téléviseur, selon un article de Wikipédia. Ric Hochet, sous la plume de Duchâteau, utilise donc le petit écran, sa technologie et ses équipes afin de résoudre une affaire à la narration trop linéaire, dont l'enjeu ne convainc guère et dont le registre confirme un glissement du titre vers l'espionnage depuis un ou deux numéros - malgré l'hommage de fin aux "Cinq Dernières Minutes". L'humour, en tout cas, demeure très présent. Tibet nous propose à nouveau une palette de protagonistes aux physionomies très variées, et de la diversité dans les plans. Mittéï et Denayer effectuent un travail remarquable : entre autres, les séquences du trajet en train, les espaces de la maison de l'ORTF, avec quelques perspectives impressionnantes, presque vertigineuses, sans oublier la course-poursuite en bateau sur la Seine. La mise en couleur est plutôt satisfaisante. 

Malgré les fausses pistes adroitement distillées par Duchâteau, "Ric Hochet" tend ici à s'éloigner des enquêtes de province et de son atmosphère de mystère dans cette enquête que les longueurs n'épargnent pas en dépit des nombreuses scènes d'action. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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4 commentaires:

  1. Je découvre que le nom d'Agatha Christie se décline en adjectif.

    Le scénariste met aussi en scène la télévision comme outil de masse et de spectacle dans une conclusion qui préfigure une certaine télé-réalité. - Je me dis parfois qu'il est difficile de se rendre compte du caractère critique ou non de certaines histoires, tellement d'années, de décennies après leur parution.

    L'humour, en tout cas, demeure très présent. - Est-ce mon choix de lectures, mais j'ai parfois l'impression qu'il n'y a plus de BD qui amalgame harmonieusement intrigue sérieuse, et pointes humoristiques.

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    1. Je te sens sceptique. Du coup, je me demande si mon propos est suffisamment limpide. Pourtant, le choix de la télévision comme lieu du crime (ou de tentative de) n'est pas innocent, dans cette affaire. Le rapprochement entre la conclusion et une certaine forme de télé-réalité m'a paru évident, même si la télé-réalité implique un suivi au quotidien et que le concept n'est apparu "qu'en" 1971, d'après Wikipédia.

      Je ne sais pas que te répondre. Je trouve souvent de l'humour dans les BD que je lis, et Dieu sait si j'apprécie les "intrigues sérieuses" ! C'est justement quand le propos est très sérieux, trop proche d'une certaine réalité et avec une volonté dramatique forte que l'humour tend à être occulté, peut-être. As-tu des exemples et contre-exemples précis en tête ?

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    2. C'est peut-être moi qui me suis mal exprimé : il est possible qu'un tel commentaire était plus novateur en 1967 que maintenant, plus une critique qu'une raillerie, ou au contraire que c'était une banalité réactionnaire omniprésente à l'époque.

      Je pensais à aux séries Caroline Baldwin et Jessica Blandy, qui me semblent dépourvues d'humour.

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    3. C'est marrant, lorsque je t'ai posé la question, j'était sûr que tu allais citer "Jessica Blandy". Je pensais qu'il y avait peut-être un soupçon d'humour dans "Caroline Baldwin", mais ça n'a pas l'air d'être le cas, ce qui ne me surprend pas, vu la condition de l'héroïne et la maladie avec laquelle elle vit.

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