"Face au Serpent" est le huitième tome de "Ric Hochet", cette série policière culte, créée par le Belge André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010), dit Tibet. Ce titre-fleuve compte soixante-dix-huit volets, le dernier étant sorti en 2010, et s'étend donc sur presque cinquante ans.
Cet album a paru aux éditions Le Lombard en mars 1969 après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin" (édition belge) en premier lieu, entre le 22 août 1967 (34/67) et le 9 janvier 1968 (2/68) ; Duchâteau en écrit le scénario et Tibet produit la partie graphique (les dessins, l'encrage, et la mise en couleur). En revanche, il ne réalisait pas les décors, qu'il confiait à des assistants ; ici à Christian Denayer, Mittéï ayant quitté la série.
Une nuit, quelque part à Paris. Des nappes de fumée recouvrent une usine dévorée par les flammes. Des pompiers s'activent pour neutraliser l'incendie. Plus tard, au commissariat, Ric Hochet examine une photographie de désastre. C'est le troisième sabotage d'un site de production ; cela fait trois chantages à l'explosion en trois mois. Bourdon, sur les nerfs, le reprend : du troisième chantage "dénoncé", ce qui exclut les cas où le projet des maîtres-chanteurs a abouti. Ric demande si la technique utilisée est la même qu'à Lyon et Liverpool ; Bourdon confirme. Ici, le PDG de l'entreprise avait été contacté par téléphone : soit il remettait 2.000 titres au porteur de sa compagnie, soit c'était l'attentat, dans les quarante-huit heures. Le dirigeant a préféré alerter la police. Résultat, plusieurs blessés graves et des centaines de millions de dégâts malgré les précautions. Un sabotage télécommandé, à l'aide d'explosifs déclenchés électroniquement ! Bourdon estime que cela implique des complices à l'intérieur, mais les suspects sont trop nombreux. La bourse panique et la presse s'en mêle ; Bourdon craint que les futures cibles cèdent docilement aux exigences des maîtres-chanteurs...
Voilà une aventure qui entre dans le vif du sujet dès la première case : en employant là une technique narrative dont l'objectif est d'accrocher les lecteurs d'emblée, à l'aide d'une scène dramatique et spectaculaire, Duchâteau ne s'embarrasse pas d'une quelconque introduction. Le registre de "Face au Serpent" est inhabituel pour "Ric Hochet" : ni menace de mort ni tentative de meurtre avec préméditation. L'action, de plus, se produit peu en France, et surtout aux Pays-Bas. L'intrigue s'éloigne donc significativement du cadre qui avait contribué à l'identité de la série et confirme le glissement thématique des trois précédents tomes vers l'espionnage, voire le crime international organisé, au détriment d'affaires de province plus terre à terre, mais assurément plus passionnantes. Les événements des premières pages se déroulent à une vitesse surprenante qui engendrera le scepticisme chez les lecteurs ; Ric Hochet est trop rapidement dans le feu de l'action et le mystère, en conséquence, n'a pas le temps de s'installer, malgré les séquences censées le susciter. Les moments invraisemblables se succèdent (par exemple : le morceau de papier perdu, le meurtre du tatoueur, la cabine téléphonique...), lors desquels ses ennemis essaient d'abord de rosser le reporter, ensuite de l'abattre, avant de finalement tenter de l'enlever, tout cela sans logique, jusqu'à ce duel, bien peu inspiré. Mais s'il y a bien un élément décidément agaçant dans cet album, c'est ce sens de la raillerie dont Ric Hochet ne se départit jamais, peu importent les circonstances. Déjà cultivée dans les volets précédents, cette facette du personnage est étirée à son paroxysme, mais ces boutades bravaches peinent à faire sourire et deviennent rapidement lassantes, d'autant qu'elles finissent par entamer la crédibilité des criminels. La jolie trouvaille de l'auteur d'utiliser son héros à contremploi est autant inattendue que réjouissante et elle fonctionne le temps de quelques planches. Tout cela demeure néanmoins bien en deçà des premiers tomes, plus réussis. La partie graphique pourra décevoir, elle aussi. Est-ce dû au départ de Mittéï ? Il est vrai que les arrière-plans semblent moins fournis qu'à l'ordinaire, et que l'ameublement des pièces paraît parfois très spartiate. Quant aux rues d'Amsterdam, elles sont vraiment réduites à leur plus simple expression : les incontournables canaux et maisons à pignons à échelons. Tibet aurait-il été moins soigneux avec ses personnages et ses véhicules ? À moins qu'il ne s'agisse de cette mise en couleur : certaines teintes pourront provoquer le désagrément des lecteurs.
Jusque là, "Face au Serpent" est l'un des albums les moins divertissants de la série : le cadre est moins évocateur, cette bande du Serpent ne convainc décidément pas, et les illustrations sont moins abouties que dans les tomes précédents, globalement.
Mon verdict : ★★☆☆☆
Barbüz
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Ric Hochet est trop rapidement dans le feu de l'action et le mystère, en conséquence, n'a pas le temps de s'installer : est-ce là une caractéristique intangible attendue de la série que ces pages d'installation ?
RépondreSupprimerLa raillerie dont Ric Hochet ne se départit jamais : il se moque sans cesse de ses ennemis, en pointant du doigt leur incompétence ? Si oui, je ne vois effectivement pas comment la tension dramatique peut s'installer.
Oui et non ; disons que j'ai trouvé ces cinq ou six premières planches particulièrement condensées, un peu comme une linéarité accélérée.
SupprimerOui, Ric Hochet se moque sans cesse de ses ennemis, par forcément en pointant du doigt leur incompétence, mais plutôt leur lâcheté, leurs faiblesses, etc. C'est franchement très agaçant.