dimanche 18 octobre 2020

"Ravel : Un imaginaire musical" (Seuil Delcourt ; août 2019)

"Ravel : Un imaginaire musical" est un album de bande dessinée sorti en août 2019 dans la collection Seuil Delcourt, lancée par les maisons éponymes et dont l'ambition est de proposer "des bandes dessinées documentaires et de sciences humaines, des livres de référence pour contribuer au débat intellectuel et déployer encore un peu plus la bande dessinée du réel". Le recueil - format 20,2 × 26,5 cm et couverture cartonnée - comprend un récit complet de cent cinquante planches en noir et blanc. Les bonus sont copieux - quarante-quatre pages -, une postface de Roland-Manuel, des annexes et notes des auteurs, une liste d'œuvres choisies ainsi qu'une bibliographie sélective.
Le scénario a été conçu par le Parisien Guillaume Métayer, chargé de recherche au CNRS et traducteur, et par le pianiste et compositeur franco-suisse Karol Beffa, qui a été élu "meilleur compositeur de l'année" aux Victoires de la musique classique en 2013 et en 2018 ; la partie graphique a été produite par l'illustrateur parisien Alexis alias Aleksi Cavaillez. Cet album est leur première incursion dans le domaine de la bande dessinée. 

"Le Belvédère", Montfort-l'Amaury, Yvelines, le lundi 6 avril 1936. Sur son papier à en-tête, Maurice Ravel écrit une lettre à son ami et disciple Roland-Manuel. Il y évoque un "accident" survenu la veille, qui lui laisse peu d'espoir de "sauver sa tête". D'ailleurs, il ne l'a déjà "plus tout à fait", il perd la mémoire chaque jour un peu plus. Le temps d'accepter la proposition de Roland-Manuel de projet biographique est venu ; cela fait maintenant des années que son confident le supplie d'acquiescer. C'est lui que Ravel a choisi pour le faire ; il l'invite à Montfort-l'Amaury. Il conclut par un vers de Baudelaire et signe. Il pose le stylo et relit la lettre. Quelques jours plus tard, la voiture de Roland-Manuel avale les derniers kilomètres qui le séparent du Belvédère. Cette missive - cri d'alarme du maître - l'a ému... 

Dans "Ravel : Un imaginaire musical", Beffa et Métayer mettent en scène Maurice Ravel (1875-1937) au crépuscule de sa vie. Bien que lucide, le maître souffre, d'après l'article de Wikipédia, d'une atteinte neurodégénérative qui se traduit par des troubles de l'écriture, de la motricité, et du langage. Son intelligence était parfaitement préservée, mais il ne pouvait ni composer ni jouer. De ces planches s'élève une certaine urgence nostalgique, celle de recueillir les ultimes pensées et souvenirs de l'un des grands maîtres de la musique française. Historiquement, les entretiens avec Roland-Manuel sur lesquels est construit le scénario n'ont pas eu lieu, mais cet artifice permet à Beffa et Métayer de diminuer considérablement la lourdeur d'une linéarité purement chronologique. Si ces pages suivent les grandes étapes de l'existence de Ravel dans l'ordre, de l'enfance aux derniers jours, les auteurs développent quelques questions essentielles : ce qui fait un compositeur de génie ; la création d'œuvres et la difficulté que représente l'exercice ; le rôle et l'importance de la critique et du public ; ces rencontres qui marquent une carrière artistique ; etc. S'il connaît peu Ravel, le lecteur sera stupéfait par l'anecdote du prix de Rome ; ravi par l'ampleur de la tournée nord-américaine ; touché par les moments plus amers - notamment sa vie sentimentale. Les dialogues entre Ravel et Roland-Manuel, pleins d'humour, se révèlent captivants à plus d'une reprise, mais ils manquent parfois singulièrement de naturel. La postface de Roland-Manuel est terriblement émouvante ; elle le sera d'autant plus pour les admirateurs du maître. Pour sa partie graphique, Cavaillez opte pour un style semi-réaliste un poil caricatural qui met en relief les aspects essentiels des traits de Ravel : visage émacié ; cheveux argentés en arrière ; nez prononcé ; oreilles décollées ; yeux cernés. Une véritable élégance naturelle se dégage de cette silhouette, qui relève pourtant plus du crayonné que du dessin fini. Cavaillez fait éclater la notion de quadrillage dans un kaléidoscope de scènes habilement entrecroisées - une technique qui évoque davantage le livre illustré que la bande dessinée. Néanmoins, bien que les planches de cet artiste révèlent une réflexion assurément inspirée et un indéniable talent, son choix du noir et blanc (qui reflète les couleurs du clavier du piano) ne convainc pas entièrement. Car Ravel, ce n'est pas que le piano : l'orchestre ravélien se caractérise par une généreuse et somptueuse palette de couleurs, dont son monde a besoin pour dévoiler toute son ampleur et sa dimension. 

L'ouvrage n'est pas exempt de faiblesses. Les auteurs n'ont pas assez de métier pour éviter certains écueils et la partie graphique méritait la contribution d'un coloriste de premier choix. L'album est intéressant - mais le doit surtout à son iconique sujet. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Les BD de Barbüz : sur Facebook

2 commentaires:

  1. Un sujet original et intrigant, d'autant plus que je ne me suis jamais intéressé à la vie de ce compositeur. Je m'en suis tenu à l'écoute de son boléro et je n'ai pas cherché plus loin. Je vais de ce pas consulter le site du Seuil + Delcourt pour découvrir quels autres ouvrages sont parus dans cette collection...

    ... De retour de leur site, je me rends compte que j'avais feuilleté Les riches au tribunal, et que je suis tenté par L'onde Dolto.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je sais que tu es hermétique à cette musique, mais si jamais l'envie d'aller plus loin te prend - car Ravel le mérite bien : en vrac, "Gaspard de la nuit", "Daphnis et Chloé" (le ballet intégral), "Ma mère l'oye", et ses deux concertos pour piano. Évidemment, ce n'est pas rendre justice à toutes les autres œuvres que je ne cite pas et qui le méritent pourtant tout autant.
      L'album sur Dolto m'intéresse aussi, mais j'apprécierais des projets sur d'autres compositeurs, car ces génies me semblent décidément bien mal servis par le neuvième art.

      Supprimer