"Philby : Naissance d'un agent double" est un recueil de bande dessinée publié en mars 2020 dans la collection "Les Arènes BD" de la maison d'édition Les Arènes. Cet ouvrage, au format 19,3 × 27,2 centimètres et à la couverture cartonnée, renferme un récit intégral d'environ quatre-vingt-deux planches en couleurs.
Pierre Boisserie signe son scénario. Auteur prolifique, il a écrit plus de soixante-dix albums ; il est connu notamment pour "La Banque", "Dantès", "La Croix de Cazenac", "Saint-Barthélemy", ou "Le Banquier du Reich". Le Castelroussin Christophe Gaultier élabore la partie graphique. Il a réalisé - parmi d'autres - la série "Le Fantôme de l'Opéra", et a collaboré à "Gauguin : Loin de la route". La mise en couleur a été façonnée par Marie Galopin.
Moscou, place Rouge, le mercredi 11 mai 1988. C'est avec émotion que Kim Philby relit un extrait de son exemplaire de "Kim", roman de l'écrivain anglais Rudyard Kipling, que ses enfants lui font parvenir après l'avoir trouvé dans le grenier ; Philby avoue à son interlocuteur - un homme assis à sa droite, sur un banc, le visage dissimulé par les bords de son feutre - qu'il n'imaginait pas un jour relire l'histoire de cet orphelin irlandais devenu espion en Inde pour le compte des Britanniques. Oui, peut-être la vie de Philby aurait-elle fait, elle aussi, fait une belle histoire ; mais aurait-elle été fidèle à la réalité ? Après tout, l'existence des espions n'est qu'une somme de mensonges qu'ils doivent rendre crédibles jusqu'à y croire eux-mêmes. Philby se souvient-il de la réalité, ou celle-ci a-t-elle été remplacée par ses propres inventions, suffisamment convaincantes ? La réalité de Philby, aujourd'hui, c'est qu'il vit à Moscou depuis longtemps ; il est ravi d'avoir un visiteur de cette qualité à qui parler. L'inconnu lui demande s'il ne regrette rien ; mais Philby est négatif. Il ne peut pas prétendre que l'Angleterre lui manque ; il a tant aimé la détester qu'il l'a trahie. Là-bas il est honni. Ici, il est une icône...
"Philby : Naissance d'un agent double" met en scène ce qui a motivé Harold Adrian Russell "Kim" Philby, un jeune homme issu de la "gentry", la noblesse britannique non titrée, à se tourner vers le communisme et à trahir son pays en transmettant des informations stratégiques à l'URSS pendant une petite trentaine d'années. Comme son titre l'annonce sans équivoque, cet album ne détaille pas toute la carrière d'espion de Philby ; le scénario s'arrête en 1940 et à son entrée au MI6. Les plus "hauts faits" de Philby ne sont donc pas abordés, ce qui est dommage, car leur liste est impressionnante ; les lecteurs restent forcément un peu sur leur faim. Le récit est construit sur deux lignes de temps : le "présent", c'est-à-dire le 11 mai 1988, jour de la mort de Philby ; et les souvenirs que ce dernier partage avec ce mystérieux interlocuteur depuis son enfance jusqu'à son recrutement par les services secrets britanniques, en passant par ses études, les Cinq de Cambridge, les femmes de sa vie, ou encore la guerre civile espagnole. Souvent, à la suite d'une séquence de souvenirs, cet inconnu, pour qui Philby revit son passé, lui pose des questions, afin de clarifier tel ou tel point ; c'est une technique narrative qui a le mérite de réduire le poids la linéarité de l'intrigue et l'impact de l'absence de rythme. Cette conversation fictive - car elle n'a pas eu lieu - et son dénouement étonnant représentent l'enjeu majeur de ce récit, en dehors de ses aspects biographique et historique, vu qu'il semble évident qu'il s'adresse d'abord à un public féru d'espionnage, de guerre froide ou qui s'intéresse à la légende des "Cambridge Five". Ces lecteurs - et les autres - seront certainement déçus par la caractérisation molle de Philby dans cet ouvrage ; le célébrissime traître, qui aura causé d'importants dégâts, apparaît comme un vieillard débonnaire qui avale ses "shortbreads" avec gourmandise, et qui a perdu la morgue typique de l'élite britannique. De plus, les dialogues manquent de mordant. Enfin, l'auteur détaille l'engagement communiste, mais les conséquences des actes sont à peine évoquées. Le dessinateur, Gaultier, semble avoir subi l'influence de peintres tels que Fernand Léger (cf. "Portrait du jeune mécanicien Henri Martin", 1952). Ses silhouettes présentent un contour épais ; ses visages, épurés et réduits au strict minimum, n'en sont pas inexpressifs pour autant. Il reproduit - avec un succès mitigé - les physionomies des personnages historiques. L'encrage est allégé : un voile sombre par-ci, un aplat de noir par-là. La mise en couleur terne fait la part belle aux tons bruns, verts, gris.
Voilà un ouvrage intéressant, mais peu bouleversant, qui revient sur les premières années de celui qui fut sans doute l'agent double le plus emblématique de la guerre froide, et dans lequel le scénariste ajoute un zeste de fiction à des faits historiques.
Mon verdict : ★★★☆☆
Direct, je suis allé consulté l'article sur Ki Philby, personnage dont je n'avais jamais entendu parler. Quelle vie ! Visiblement les Cinq de Cambridge ont également eu droit à leur bande dessinée en 3 tomes par Olivier Neuray et Valérie Lemaire.
RépondreSupprimerTu as l'air d'être resté sur ta faim, surtout du fait de la caractérisation molle et de la trop grande brièveté de la période évoquée. C'est vrai que la page wikipedia fait miroiter une vie aventureuse d'une richesse déconcertante.
Oui, les "Cinq" ont eu leur série chez Casterman. J'en avais commencé la lecture, mais l'angle narratif m'a déplu, et je me suis arrêté au bout de quelques pages du premier tome.
SupprimerJe suis effectivement resté sur ma faim. Philby était un véritable traître, qui a coûté la vie à des agents occidentaux et a permis aux Soviétiques de saboter un certain nombre d'opérations. J'aurais apprécié que les auteurs ne le dépeignent pas sous ce jour aussi neutre, voire bienveillant ; mais peut-être n'est-ce qu'une perception de ma part.
La fin est inventive, mais invraisemblable - de mon point de vue.
Au fond, j'aurais préféré un ouvrage plus sérieux avec une partie graphique davantage ancrée dans le registre réaliste.
Le père de Philby était un drôle de type également : il a joué un rôle essentiel dans la création de l'Arabie saoudite. Il est dépeint comme pronazi dans la BD ; il était antisémite, mais je ne sais pas s'il a eu des sympathies nazies.
Tiens, un autre agent double, contemporain des Cinq (bien que plus jeune), qui a eu un destin rocambolesque, lui aussi : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Blake_(espion)