"Décennies" est une collection créée à l'occasion des quatre-vingts ans de Marvel, et qui a pour but de montrer l'évolution de cet univers au fil du temps en quelques épisodes choisis. Consacré aux années cinquante, ce deuxième recueil met en scène Captain America et son acolyte Bucky. C'est un album format 17,5 × 26,5 centimètres et à couverture cartonnée de deux cent cinquante-cinq planches, auxquelles il faut ajouter une douzaine de pages de bonus. Il englobe les versions françaises d'aventures extraites des "Young Men" #24 à 28 (de décembre 1953 à juin 1954), des "Men's Adventures" #27 et 28 (mai et juillet 1954), et les "Captain America" #76 à 78 (mai à septembre 1954). Enfin, l'éditeur - une fois n'est pas coutume - a eu la bonne idée d'y intégrer "Captain America Theater of War: America First!" (du 24 décembre 2008).
Don Rico (1912-1985) écrit les épisodes des années cinquante. John Romita Sr est l'illustrateur principal ; Mort Lawrence dessine le "Men's Adventures" #27. Les coloristes ne sont pas crédités. "Captain America Theater of War: America First!" est scénarisé et illustré par Howard Chaykin et mis en couleur par Edgar Delgado.
Une salle obscure ; Crâne rouge, en compagnie de deux agents du bloc de l'Est, y visionne un film d'archives de Captain America en train de les étriller, lui et ses sbires. Les espions sont impressionnés par la performance et la combativité du héros américain. L'un d'eux demande à Crâne rouge s'il confirme que Captain America est bien mort. Agacé, l'ancien nazi répond par l'affirmative. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il ose mettre son plan en marche, car seul Captain America aurait été capable de l'arrêter. Mais aujourd'hui, son ennemi juré gisant au fond de sa tombe, Crâne rouge sera à l'origine de la plus grande vague criminelle de l'histoire : un syndicat du crime international, travaillant de concert avec les communistes, plus important que Murder, Inc. ! Au menu : du meurtre et du sabotage. Les deux autres sont conquis...
Voici dix histoires très courtes - six ou sept planches selon le magazine - dans lesquelles tout est dit en moins de temps qu'il n'en faut pour le lire ! Chercher l'ambition artistique dans ces publications destinées à la jeunesse et à but propagandiste sera un exercice vain, et y voir de l'humour caché ou du second degré serait une erreur. Traîtres et fourbes, les rouges sont partout, et Captain America, fer de lance de la démocratie, les débusque et les élimine en compagnie de son acolyte Bucky. Notons que si ici, il s'agit bien de Steven Rogers, Marvel finira par en faire un personnage distinct afin de préserver la cohérence de sa Continuité. Nous sommes aux États-Unis en 1954 ; Joseph McCarthy n'a pas encore été désavoué par le Sénat. Voilà cinq années qu'il a lancé sa croisade anticommuniste, et qu'il attaque tout et tout le monde, de l'administration à l'armée. Et comment se positionnaient les comics ? Faut-il voir dans ces pages un engagement authentique dans la lutte contre le communisme de la part de l'éditeur, qui s'appelle toujours Atlas Comics à l'époque ? Ou déceler là un opportunisme motivé par la peur d'une éventuelle enquête et la volonté d'éloigner les soupçons ? L'excellent "Captain America Theater of War: America First!" offre un début de réponse. Oui, les super-héros luttèrent contre le communisme comme ils le firent contre le nazisme et la guerre froide était réelle, qu'il s'agisse de la guerre civile grecque (1946-1949), du blocus de Berlin (1948-1949), de la guerre de Corée (1950-1953). L'éditeur surfa sur la vague sans commettre l'erreur de cautionner les dérives de McCarthy ; d'ailleurs, près de cinquante-cinq ans plus tard, Chaykin, dans son récit alternatif, attribue au sénateur (qui devient "Joseph McMurphy") et à son conseiller juridique Roy Cohn ("Ray Kahn") des rôles bien différents. Enfin, la partie graphique. Il sera difficile d'y voir les prémices du fameux style Marvel. Romita n'a même pas vingt-cinq ans. Classique et expressif, son trait est représentatif de l'Âge d'or. Les influences des pulp magazines y sont décelables autant que celle des ouvrages pour la jeunesse. L'encrage des visages est très marqué ; ceux-ci montrent une belle diversité des physionomies. Et, déjà, ce souci d'optimisation des arrière-plans.
La traduction a été réalisée par Benjamin Viette, des studios MAKMA. Malgré une faute de mode, une de genre, et un faux-sens, elle reste tout à fait honorable. Enfin, la maquette est satisfaisante : les couvertures originales, une préface, et les bonus.
Un spécimen de bande dessinée propagandiste pour la jeunesse du temps de la guerre froide, qui se lit sans déplaisir, mais rester conscient du contexte est nécessaire. Leurs ventes étant insuffisantes, ces séries furent annulées. Cap reviendra, bien sûr.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Ces publications destinées à la jeunesse et à but propagandiste : oui, c'est très impressionnant comme manichéisme anti-communiste, ça ne fait pas dans le détail. J'ai trouvé que ces épisodes se lisaient beaucoup plus facilement que ceux de la décennie précédente, et j'ai également attribué 4 étoiles. J'ai été un peu déçu par le récit d'Howard Chaykin, beaucoup moins acerbe et moqueur qu'à son habitude.
RépondreSupprimerDes histoires permettant de découvrir un pan des comics de superhéros à leur nadir en termes de popularité. J'aurais bien aimé que les éditeurs ouvrent ce recueil à d'autres séries Marvel/Atlas non superhéroïques, mais visiblement ça ne rentrait pas dans les spécifications de cette collection.
J'ai préféré moi aussi ces numéros-ci à ceux avec la Torche humaine. Toutes proportions gardées, ils sont plus réalistes, plus courts, et moins répétitifs.
SupprimerContrairement à toi, j'ai vraiment apprécié le numéro spécial signé Chaykin. Je trouve qu'il redresse la moyenne générale. Sans lui, je crois que le contenu de cet ouvrage aurait été très binaire et beaucoup trop monolithique.
Concernant cette collection, ma prochaine - et dernière - lecture sera celle du volume consacré aux années soixante-dix et intitulé "La Légion des monstres". Le reste m'intéressait nettement moins : pas suffisamment d'inédit à mon goût.