"Les Cinq Revenants", le dixième tome de "Ric Hochet", série policière lancée par le Belge André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) alias Tibet, est paru au Lombard en mars 1970, après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin" entre le 13 août (nº33/68) et le 31 décembre 1968 (53/68). Ce recueil format 22,5 × 30,0 centimètres à la couverture cartonnée contient quarante-quatre planches. Titre-fleuve culte, "Ric Hochet" compte soixante-dix-huit volets et s'étend sur près de cinquante ans ; le dernier est sorti en 2010.
Duchâteau écrit le scénario et Tibet produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). Tibet ne réalisait pas les décors et les confiait à des assistants ; ici, à Christian Denayer.
Paris, la salle de rédaction de "La Rafale", en fin de journée : un colosse en costume à carreaux, plutôt fruste, se présente à l'entrée et exige de voir Ric Hochet sans attendre. Il se présente : Alfred Petit-Baquet, ancien champion de catch. D'un geste du bras gauche, il écarte le journaliste qui s'enquérait du motif de son passage. Ric, qui achevait son article sous les yeux de Nadine, s'interpose fermement. C'est alors que Petit-Bacquet lui annonce qu'il a pour ordre de le conduire chez son patron le marquis Frédéric, le "Rockefeller du sport", avec qui Ric Hochet a rendez-vous. Ric est étonné. Un rendez-vous ? Mais depuis quand ? L'ex-lutteur s'impatiente et insiste, mais Ric refuse : si le marquis a besoin de lui, qu'il se dérange lui-même ! Le ton monte, mais Ric est intraitable ; d'ailleurs, il a promis sa soirée à Nadine. Petit-Baquet rétorque que la "mignonne" attendra. Puis le butor devient menaçant ; il attrape Ric par le col. Le reporter lui saisit le bras gauche, le fait passer par-dessus d'une prise de judo, et l'éjecte dans le couloir ! Pas peu fier devant une Nadine admirative, Hochet se justifie : ce "mal embouché" méritait la leçon. Mais voilà que Petit-Baquet entre à nouveau...
Avec "Les Cinq Revenants", Duchâteau semble abandonner le registre de l'espionnage, dans lequel avaient baigné les cinq albums précédents. Ici, retour à un drame de dimension plus humaine dans lequel les secrets sont plus honteux et intimes que de nature à renverser l'ordre mondial en place. Et cette fois, l'auteur évoque le milieu du sport, ses gagnants et ses perdants. Car c'est bien de cela qu'il est question : "Les Cinq Revenants" est l'histoire de cinq perdants, dont les carrières - prometteuses - brisées sont à l'origine d'une escroquerie. Si Duchâteau ne s'appesantit ni sur le dopage ni sur les matchs truqués, les cinq sportifs ont tous subi la dégringolade sociale, en passant du statut de champion ou de vedette à un emploi nettement plus ordinaire, et moins valorisant : l'escrimeur Karl Barral est l'assistant d'un prestidigitateur ; le jockey Serge Kovac travaille dans un club d'équitation ; le nageur Kid Wolf est devenu homme-grenouille pour une firme de dragage ; Carnak, le tireur, a un poste de garde-chasse ; enfin Luc Kévy, le spécialiste du cross-country, s'est reconverti en chauffeur de taxi. Duchâteau, en utilisant les codes de ce registre avec une efficacité redoutable, prouve à nouveau son talent à manipuler le lecteur en brouillant les pistes et à ménager le suspense jusqu'au dénouement ; celui-ci se produit en douceur. Ces aveux faciles pourront en frustrer certains, mais n'oublions pas - et cela a déjà été écrit ailleurs - qu'il n'y a pas de (tentative de) meurtre dans cet album. La seule invraisemblance majeure du récit est la performance d'athlète de Ric Hochet, sportif émérite quelle que soit la discipline : le judo, l'escrime, l'équitation ou encore la natation ! Le sujet et les nombreuses scènes d'action justifieront certainement sa démonstration. Le commissaire Bourdon est moins à son désavantage qu'à l'habitude. Quant à Nadine, elle retrouve enfin un rôle qui la met en valeur. Un mot au sujet de l'antagoniste, différent du méchant type : Duchâteau s'éloigne du manichéisme et propose une conclusion à la morale positive et optimiste. Cet ensemble est servi par une partie graphique efficace. La spécialisation des tâches entre Tibet et Denayer permet de maintenir le niveau de qualité malgré une cadence élevée de parution (dix albums en moins de huit ans). La densité des planches varie entre neuf et douze vignettes et laisse donc peu de place aux compositions d'envergure. Dans un quadrillage aussi serré, le découpage de l'action se doit d'être parfaitement limpide. Ici, il est absolument irréprochable et les séquences s'enchaînent sans le moindre travers.
"Les Cinq Revenants" peut être perçu comme un retour aux sources de la série, en quelque sorte. Duchâteau abandonne les intrigues de crime organisé et d'espionnage industriel et concocte un récit d'énigme qui parvient à raviver l'intérêt pour le titre.
Les Cinq Revenants peut être perçu comme un retour aux sources de la série : j'ai l'impression qu'implicitement toi aussi tu as un horizon d'attente assez clair du type d'histoires que tu attends d'une série donnée.
RépondreSupprimerIl n'y a pas de tentative de meurtre dans cet album : j'aime bien quand un scénariste prend ainsi des libertés avec la trame classique d'un polar, montrant à la fois qu'il maîtrise bien les codes du genre, et qu'il sait jouer avec.
Effectivement ; pour moi, "Ric Hochet", ça se passe beaucoup en province, presque autant qu'à Paris, sinon plus, et ce sont souvent des histoires de vengeance ou des secrets honteux qui poussent au crime. J'avais été assez déçu par les scénarios d'espionnage industriel.
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