mercredi 16 décembre 2020

Tif et Tondu (tome 5) : "Le Retour de Choc" (Dupuis ; janvier 1957)

"Tif et Tondu" est une bande dessinée, créée en 1938 par le Belge Fernand Dineur (1904-1956) ; son historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes évoluant avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela changera à l'arrivée de Willy Maltaite, alias Will (1927-2000), qui en deviendra l'illustrateur en 1949. Dineur quitte le titre en 1951 ; il est remplacé par Henri Gillain alias Luc Bermar (1913-1999) et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'en 1969 ("Tif rebondit"). 
"Le Retour de Choc" fut en premier lieu publié dans le périodique "Spirou" : du nº913 du 13 octobre 1955 au nº933 du 1er mars 1956. Puis Dupuis le réédite, en janvier 1957, sous la forme d'un album de quarante-quatre planches. C'est le cinquième tome de la seconde série classique. Rosy en écrit le scénario - c'est son second pour ce titre - et Will en assure la partie graphique : le dessin, l'encrage, ainsi que - sauf erreur - la mise en couleur. 

À l'issue du tome précédent, Tif et Tondu sont captifs sur le yacht de Choc. Ils attirent l'attention de l'équipage d'un navire de guerre de l'US Navy, mais Choc réussit à s'enfuir en hélicoptère. 
La Côte d'Azur. C'est l'été, et Tif et Tondu sont en vacances. Ils ont loué une villa et se détendent sur la terrasse, en buvant un verre à l'ombre du parasol. Tondu lit des journaux tandis que Tif écoute la radio, qui joue "Le Grisbi", une chanson interprétée par Philippe Clay avec l'harmoniciste Jean Wetzel. Tondu est visiblement agacé par cette musique. Tif ne souhaite pas énerver son ami et se lève pour aller s'installer a fond du jardin. Mais Tondu attire son attention sur une superbe limousine qui se gare devant chez eux ; le barbu admire le véhicule. Pour Tif, c'est quelqu'un qui s'est certainement trompé d'adresse, car personne ne sait qu'ils se trouvent là. Il laisse Tondu s'occuper du visiteur... 

Monsieur Choc revient. En créant ce personnage, Rosy ne pressentait peut-être pas que le criminel deviendrait un personnage-culte de la bande dessinée franco-belge, même s'il est évident que la série - quoi qu'on en dise - ne démarre vraiment qu'avec "La Main blanche" et l'entrée en scène de celui qui allait s'imposer comme ennemi juré de nos aventuriers. Le scélérat est de retour, mais son organisation a pris un rude coup dans l'aile. Rosy doit alors trouver une autre astuce pour que cette histoire et son utilisation du bandit au heaume soient aussi réussies que dans le tome précédent ; il joue donc sur son identité et sur ses masques en donnant à son scénario un petit goût de roman d'énigme. Tif, Tondu, et les lecteurs savent en effet assez rapidement que Choc est dans la place ; mais sous les traits de qui diable se cache-t-il ? Cela fonctionne, du moins pendant un temps. Arrive un moment où Rosy finit par vendre la mèche lui-même, à force d'en rajouter et de trop en faire. Ensuite, l'auteur amène un nouveau personnage, qui se taille un beau rôle dans ce scénario : l'inspecteur Allumette, aussi petit et fluet que judoka accompli. Quoi qu'il en soit, en dépit d'une fin où Rosy a la main un peu lourde avec un gag, il s'agit d'une bande dessinée très distrayante, riche en action, généreuse en rebondissements habilement dosés, avec ce qu'il faut de mystère, sans oublier un cadre choisi : une île privée et son bien sinistre château. Il faut souligner une partie graphique remarquable aussi animée que vivante qui fourmille de petits détails, notamment de la vie quotidienne : l'ameublement et la décoration de la villa de Tif et Tondu (la colonne de la cheminée, la serviette sur la baignoire) ; le bar-restaurant, où Arthur téléphone (le jeu de cartes et les verres vides sur la table, les publicités murales, le comptoir) ; le château (la salle de réception, le grenier). Ces éléments apportent aux vignettes de Will une forme de tangibilité, presque de naturalisme, malgré son trait ancré dans la tradition de l'École de Marcinelle, aux antipodes du réalisme. La densité de cases par planche est élevée, approximativement dix à douze ; mais Will donne l'impression qu'il fait tout pour empêcher la monotonie et la répétition : en variant les plans, les perspectives, en créant du mouvement, et en insufflant de l'expressivité aux protagonistes. Il ressort ainsi de ces compositions une sensation d'énergie et de dynamisme peu communs et valorisés par un découpage sans défaut. La mise en couleur est parfaite : jolie gamme de tons présentant un large spectre et des contrastes très satisfaisants. 

Ceux qui ne s'attarderont ni sur les petites longueurs finales ni sur le gag un peu lourd de l'assaut se régaleront de ce deuxième face-à-face entre Tif et Tondu et Choc. Will produit ici une belle partie graphique, qui mérite toute l'attention des lecteurs. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. En te lisant, je vois bien que je suis passé complètement à côté de cette série, au point que je n'ai pris conscience de Monsieur Choc qu'avec la série d'Éric Maltaite & Stephan Colman, dont j'avais compris la nature en lisant tes articles.

    Une forme de tangibilité, presque de naturalisme : ça me fait ça aussi dans les BD de Turk, une sensation d'immersion très palpable même si les dessins ont une forme adoucie et enfantine.

    10 ou 12 cases par page : ça fait beaucoup, et en te lisant je me disais que cela devait participer aussi à l'intensité de l'immersion de jeunes lecteurs devant se concentrer à chaque case, pour une lecture plus longue.

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    1. L'aspect animé et vivant des compositions de Will était déjà présent dans les albums précédents, mais là, j'ai été épaté. Ce qui m'a surpris le plus est la reproduction du mobilier d'époque, d'un design très moderne qui préfigure les années soixante. Je me demande si Will consultait des catalogues pour ses décors ; sans doute.

      Je crois qu'en tant que jeune lecteur - je ne découvre vraiment "Tif et Tondu" que maintenant -, je ne prêtais guère attention aux détails. J'observais rarement les décors ou les arrière-plans, et je me concentrais sur le premier plan et les personnages principaux.

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