mercredi 3 mars 2021

Paul Dini présente Batman (tome 3) : "Les Rues de Gotham" (Urban Comics ; février 2016)

Publié en février 2016, dans la collection "DC Signatures" d'Urban Comics, "Les Rues de Gotham" est le dernier album du triptyque consacré au Batman du New Yorkais Paul Dini. Cet ouvrage - format 17,5 × 26,5 cm à couverture cartonnée - compte environ trois cent trente planches et contient les versions françaises des "Batman: Streets of Gotham" 1-4, 7, 10-14, 16-21, mais seulement les récits de Dini ; en VO, ils sont sortis entre août 2009 et mai 2011. 
Dini écrit les scénarios. Il est surtout connu comme producteur et auteur de séries animées, dont "Batman: The Animated Series". Les illustrations sont réalisées par Dustin Nguyen, lauréat de deux Eisner ; elles sont encrées par Derek Fridolfs. Ces deux artistes ont déjà collaboré plusieurs fois. La mise en couleurs est confiée à John Kalisz. Enfin, notons que Nguyen et Fridolfs participent à l'écriture de l'arc "Making of" (#12-13 VO, "The Carpenter's Tale"). 

Une journée à Gotham City. Un véhicule de police remonte une rue. À son bord, le lieutenant Mendez, qui conduit le commissaire Gordon. Mendez en profite pour discuter un peu. Il évoque timidement les rumeurs au sujet de Batman. Certains prétendent qu'il est "différent", d'autres qu'il a "disparu" ; il aimerait avoir l'opinion de Gordon. Mais rien n'a changé pour ce dernier, Batman vient toujours lorsque son signal est allumé ; c'est bien là tout ce qu'il peut lui dire ! Mendez stoppe devant une bijouterie où les forces de l'ordre sont attroupées. Gordon demande à l'agent Randall de leur faire un topo : la jeune femme l'informe que la suspecte n'a pris aucun otage et qu'elle n'est pas armée. Y aurait-il maldonne ?... Un négociateur essaie actuellement de la ramener au calme. Elle, c'est Harley Quinn : vêtue en civil, elle sort du magasin, et se plaint en hurlant qu'il n'est plus possible de faire les boutiques "tranquillement". Gordon lui ordonne de se relaxer ; six policiers armés sont postés dehors. Quinzel, indignée, veut le convaincre qu'elle a été relâchée de l'asile légalement, et qu'elle est "réglo"... 

Ces récits - des histoires courtes qui précèdent un arc en sept parties, "La Maison de Silence" ("The House of Hush") - sont connectés aux épisodes de Grant Morrison. Il suffit de savoir que Bruce Wayne est perdu dans les méandres du temps au début du tome. L'ensemble reflète le talent de Dini, mais souffre de certains choix narratifs et scénaristiques. D'abord, l'abondance de soliloques surprend. Cela a déjà été dit, l'auteur offre un autre aperçu de la psyché de la faune gothamienne en laissant ces personnages secondaires - souvent des super-vilains - dérouler leurs réflexions. Si le procédé renforce l'ambiance de polar de ces pages, il en résulte un décalage entre ces introspections monocordes et les séquences d'action, comme une sensation de déséquilibre. Dini, ensuite, cède à la tentation trop fréquente de martyriser Gotham City, la protégée de Batman : orphelins enlevés, habitants transformés en torches vivantes puis en noctambules... Ces attentats spectaculaires engendrent une rupture avec le ton noir, intime de la narration. De plus, quelques caractérisations paraissent dissonantes, notamment celle de Mr Zsasz : en complet, escorté de sbires comme un mafieux ordinaire, il ne convaincra pas, son aura d'animal prédateur étant gommée. Dini crée des personnages - mais aucun n'a fait carrière au-delà de ces numéros - et en réutilise d'autres (le Dr La Mort, Jane Doe). Enfin, Dini comble des vides dans l'histoire des grandes familles de la ville ; cela n'était pas indispensable. "Les Rues de Gotham" contient quelques très bonnes idées et compte des séquences fortes, mais la somme manque cruellement de rythme et de tension. 
La partie graphique participe à cette perception générale. Nguyen opère dans un style semi-réaliste, relativement épuré et avec un niveau de détail optimisé. Pour ses visages, il applique de petits à-plats de noir aux habituelles zones d'ombre (principalement autour des yeux, du nez, de la bouche) ; il emploie des réseaux de lignes et de courbes pour amplifier l'impression d'âge. En dépit d'un talent établi, l'artiste n'a pas un trait qui reflète l'expressivité : ses protagonistes sont souvent marmoréens. Son découpage est lisible ; son quadrillage alterne classicisme et modernisme (par l'utilisation d'inserts). La mise en couleur de Kalisz est terne. 
La traduction a été confiée au Parisien Matthieu Auverdin (studio MAKMA). Elle est d'une qualité remarquable. Le texte ne comprend - sauf erreur de ma part - ni faute ni coquille ; et pour un "comic book" en français, c'est assez rare pour être souligné. 

Dini et Nguyen élaborent une salve d'histoires qui exhibent les mêmes faiblesses que les précédentes, malgré des trouvailles : la narration et l'action qui ne sont pas en phase et la partie graphique, chiche en émotion. Mais la somme se lit sans déplaisir. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. Même sensation de déséquilibre que celle que tu décris.

    Pour les épisodes 1 à 4 - Ce tome m'a laissé une bonne impression due en partie au plaisir de retrouver des personnages qui ont un caractère discernable, teintée de regret du fait de quelques situations trop dures à avaler et d'illustrations parfois maladroites.

    Pour les épisodes 12 à 14 et 16 à 21 - À nouveau, Paul Dini prouve son amour pour les personnages dans un récit mal équilibré qui à vouloir honorer le passé et faire avancer le présent propose un mariage de la carpe et du lapin pour 2 époques qui tirent le récit dans des sens opposés, plutôt que de se répondre. Les illustrations sont déchirées un autre type de dichotomie : entre les influences du dessin animé Batman (avec le même sens de l'épure), et un style plus noir, parfois tenté par l'abstraction d'aplats géométriques.

    En revanche, j'avais bien aimé les supercriminels de passage : ils sont d'autant plus intrigants qu'ils sont peu développés. Jane Doe (une femme sans épiderme, ne me demandez pas comment c'est possible) accomplit des actions répugnantes. Bedbug (à peine esquissé) évoque la phobie des insectes et une forme de possession inquiétante. Doctor Death (Karl Hellfern, Detective Comics 29, juillet 1939) est le prototype des savants fous ayant mis leur intellect au service du mal. Paul Dini maîtrise ce genre de personnages comme peu de scénaristes et leur porte une affection qui transparaît au travers de leur mise en scène. Dommage qu'il ait fallu se taper l'intrigue autour de Tommy Elliot et des époux Kane, qui ne m'avait pas du tout intéressé.

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    1. J'ai beaucoup aimé Jane Doe et le Dr Death (Dr La Mort en VF) ; j'avais découvert ce dernier dans l'anthologie "Batman : Archives 1939-1941". Nguyen reproduit d'ailleurs la couverture du "Detective Comics" #29 en clin d'œil. J'ai moins aimé Bedbug (la Punaise en VF), et je ne parle pas de tous les autres.

      Et effectivement, toute l'intrigue autour des Wayne, des Kane, et des Elliot est franchement sans intérêt. Et encore une fois, c'est dommage, parce qu'il y avait de bonnes idées.

      J'ai également trouvé que la caractérisation de Damian Wayne était un peu faiblarde, décevante par rapport à ce qu'en ont fait Morrison et Tomasi, par exemple.

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