lundi 1 mars 2021

Tif et Tondu (tome 7) : "Plein Gaz" (Dupuis ; janvier 1959)

"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée en 1938 par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956). L'historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes évoluant avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela changera à l'arrivée de Willy Maltaite alias Will (1927-2000), qui en deviendra l'illustrateur, en 1949. Dineur quitte le titre en 1951 ; il est remplacé par Henri Gillain alias Luc Bermar (1913-1999) et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'en 1969 ("Tif rebondit"). 
En premier lieu, "Plein Gaz" fut prépublié dans le périodique "Spirou", du nº988 du 21 mars 1957 au nº1029 du 2 janvier 1958. Puis Dupuis le réédite, en janvier 1959, sous la forme d'un album de quarante-quatre planches ; c'est le septième numéro de la seconde série classique. Rosy en écrit le scénario (c'est son quatrième pour ce titre) et Will en produit la partie graphique, le dessin, l'encrage, ainsi que - sauf erreur - la mise en couleur. 

À Maracas, capitale du Sambaguay, par une journée ensoleillée. Les plus fameuses écuries de sport automobile du globe sont rassemblées sur le circuit de la ville ; les préparatifs de la Sud-Américaine, "la course la plus meurtrière du monde", battent leur plein ! Les mécaniciens et les pilotes font rugir les moteurs de leurs bolides. Parmi les participants figurent Tif et Tondu. Le départ a lieu dans trois jours. Leur véhicule, la Narval, arrive bientôt. Un autochtone interpelle Tondu : il est demandé au téléphone par un appel de l'étranger. Après avoir prévenu Tondu, l'homme galope informer le patron - inconnu dont le visage n'est pas visible - du coup de fil. Il reçoit l'ordre de ne pas lâcher Tondu. Ce dernier est dans une cabine. Un interlocuteur lui fait part de "menaces". Tondu restera vigilant. Pendant ce temps, Tif est averti par un commis de la livraison de la Narval ; le chauffeur veut une pièce d'identité, "avec toutes ces histoires"... 

"Plein Gaz" est une aventure assez particulière, et ce pour un certain nombre de raisons. Elle se situe au Sambaguay, pays fictif d'Amérique latine inventé par Rosy, qui - sauf erreur de ma part - ne sera pas réutilisé dans le titre. La fameuse course oblige les compétiteurs à traverser un désert, une forêt et une jungle tropicales et une zone montagneuse. Certes, Choc intervient, mais la place qui lui est offerte ici est bien moins importante que dans les trois précédentes histoires. Le scélérat apparaît surtout sous une autre identité et il ne se montre avec son heaume que dans onze cases. Bien entendu, il dirige toujours la Main blanche, cette organisation criminelle qui ne cesse de renaître de ses cendres, en dépit de tous les revers subis à cause des intrusions de Tif et Tondu. L'opération qu'il concocte dans "Plein Gaz" paraît d'une ampleur plus modeste que d'habitude. Étrangement, Tif et Tondu eux-mêmes doivent partager la vedette, pas avec Choc, mais avec Prunelle, le pilote de la Narval. Le texte est plus dense que dans les tomes précédents : les phylactères et les cartouches sont fournis, surtout après le départ de la course, les analyses du commentateur permettant de maintenir une certaine tension. Le scénario, bien qu'émaillé de rebondissements çà et là, est fortement linéaire, voire relativement prévisible. Certains auront quelques difficultés à être passionnés par cette intrigue mêlant espionnage et sport mécanique dans laquelle l'affrontement attendu ne tient pas ses promesses et où le cadre naturel n'est pas assez exploité. Notons le clin d'œil au pilote automobile Maurice Trintignant ("Matignant", planche 42). 
Au fond, "Plein Gaz" est plutôt une réussite à ajouter à l'actif de Will, qui semble s'être régalé à croquer tous ces bolides inspirés des plus grands constructeurs dont les noms, tous transformés, demeurent facilement reconnaissables : "Cougar" pour Jaguar, "Vasiratti" pour Maserati, ou encore "Torche" pour Porsche, etc. L'artiste met en scène cette course avec une représentation du mouvement et de la vitesse particulièrement convaincante. Ses planches restent serrées, avec une densité de vignettes qui oscille entre huit et douze, dont plusieurs sont en gaufrier. Le découpage est fluide. Le quadrillage est très classique, tout comme l'utilisation de la perspective. Le dessinateur favorise les plans larges et les plans d'ensemble. Pour des cases de ces dimensions, le niveau de détail des arrière-plans est correct. Will, cependant, ne se crée pas l'espace nécessaire pour produite des compositions plus vastes, de plus grande ampleur, alors que le contexte l'y encourageait. 

Après moult courses-poursuites aux quatre coins du globe, Tif et Tondu et Choc s'affrontent là dans un cadre restreint et précis, dans un face-à-face qui prend la forme d'une compétition sportive, plutôt que celle d'une lutte entre gendarmes et voleurs. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. 1957/1958 : je me demande s'il t'arrive parfois de considérer certaines caractéristiques d'une scène ou de l'intrigue comme un marqueur culturel d'une époque. Pour ma part, j'ai beaucoup de mal à prendre le recul nécessaire pour considérer une bande dessinée sous cet angle.

    Intrigue mêlant espionnage et sport mécanique : de ce que tu en décris, Will a l'air de savoir représenter le mouvement et la vitesse, malgré l'étroitesse des cases. De manière incidente, je viens de lire une BD de type western spaghetti, avec uniquement des dessins en pleine page, ce qui est contre-intuitif en comparaison avec les plans larges du cinéma.

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    1. 1957-1958 : Disons que j'aime bien relever les références culturelles. Cela dit, je suppose que ce n'est pas dans "Tif et Tondu" que tu trouveras un écho des questionnements de la société. En revanche, je trouve qu'il y a des éléments évidents dans les dessins de Will, notamment le design des meubles.

      Oui, Will sait traduire le mouvement et la vitesse malgré les petites cases. C'est presque un tour de force. Cela dit, je regrette qu'il ne "se lâche" pas davantage dans des cases de plus grandes dimensions. Ses planches donnent parfois une sensation d'étriqué.

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