samedi 6 mars 2021

Tif et Tondu (tome 8) : "La Villa du Long-Cri" (Dupuis ; janvier 1966)

"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée en 1938 par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956). L'historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes évoluant avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela changera à l'arrivée de Willy Maltaite alias Will (1927-2000), qui en deviendra l'illustrateur, en 1949. Dineur quitte le titre en 1951 ; il est remplacé par Henri Gillain alias Luc Bermar (1913-1999) et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'en 1969 ("Tif rebondit"). 
"La Villa du Long-Cri" fut d'abord prépublié dans le périodique "Spirou", du nº1373 du 6 août au nº1394 du 31 décembre 1964. Puis Dupuis le réédite, en janvier 1966, sous la forme d'un recueil de quarante-quatre planches ; c'est le huitième numéro de la seconde série classique. Rosy en écrit le scénario (c'est son cinquième pour ce titre) et Will en produit la partie graphique, le dessin, l'encrage, ainsi que - sauf erreur - la mise en couleur. 

Voyageant dans un coupé cabriolet Narval, Tif et Tondu se rapprochent de leur destination, Coquelette, un village sur la Côte d'Azur. Leur éditeur les a informés qu'un admirateur a mis sa propriété à leur disposition, pour qu'ils puissent y travailler - en paix - à la "rédaction de leurs mémoires". Les deux aventuriers sont ravis : un coin peu fréquenté, "hors des sentiers battus", sans radio, téléphone, ou télévision. Pour Tif, c'est le rêve. Le nom de la villa - "Long-Cri" - l'interpelle ; il espère qu'elle n'est pas située près d'un cimetière... Parvenus à un embranchement, ils hésitent sur la direction à prendre. Tif consulte une carte routière, mais leur patelin n'y est pas indiqué. Tondu commence à déplorer qu'il n'y a personne pour les renseigner, lorsqu'une voix les hèle, un quidam, la tête coiffée d'une casquette de marin, fumant posément une pipe. Il n'a pas l'habitude de voir du monde dans le coin, "un brin de causette" ne "fera pas de tort"... 

Sept ans se sont écoulés entre "Plein Gaz" et "La Villa du Long-Cri". Will devient directeur artistique du "Journal de Tintin" en 1958. Il revient chez "Spirou" en 1960, où il travaille - entre autres - comme décoriste des premiers volumes de "Benoît Brisefer". Ce n'est qu'en 1964 qu'il reprend "Tif et Tondu", toujours avec Rosy au scénario. Rien n'a changé : Rosy conserve la même formule, les héros, leur ennemi juré et un mélange équilibré d'aventure et d'humour. "La Villa du Long-Cri" commence comme un roman de suspense. Tif et Tondu - surtout le second - sont témoins d'étranges événements qui éveillent leurs soupçons. Ce premier acte s'étale sur une quinzaine de planches. La deuxième partie est bâtie sur une série de quiproquos. Elle est centrée sur Tondu, qui réussit à reprendre l'initiative notamment grâce à un allié inespéré. Le dernier chapitre est consacré à la découverte du pot aux roses et au dénouement. Il ne s'agit pas d'un huis clos, mais la quasi-totalité de l'intrigue se déroule autour de la fameuse villa, dans une zone géographique définie et limitée : deux maisons, le village de Coquelette et un peu de mer constituent le cadre de cette intrigue. Le premier tiers fonctionne plutôt bien, mais la suite présente un scénario un peu plus convenu. Choc aura été nettement plus ambitieux que cela, mais comme il le dit si bien lui-même à ses deux ennemis : "Vous nous avez coûté très cher". La trame se caractérise par une linéarité forte. Elle est de plus rythmée par des développements qui s'avèrent malheureusement assez prévisibles et par le manque - sporadique, mais récurrent - de tension qui s'installe à l'issue du premier chapitre. 
Cette interruption de sept ans n'aura pas engendré de changement dans le travail de Will. L'artiste, bien sûr, conserve l'identité visuelle de la série en restant fidèle au canon de l'école de Marcinelle, style caricatural (nez gros ou longs ; silhouettes maigres et longilignes, ou ventripotentes et sans cou ; etc.) et phylactères arrondis. La densité de cases par planche se situe en moyenne entre neuf et onze vignettes, voire douze. Elles sont agencées dans un quadrillage sage et classique, dont l'avantage est que le sens de lecture est totalement évident. Les dimensions des cases varient généralement peu. Le découpage de l'action est toujours aussi clair : les séquences s'enchaînent avec limpidité, sans la moindre friction. Enfin, en dépit de quelques arrière-plans optimisés, Will produit un niveau de détail satisfaisant dans l'ensemble, surtout dans les scènes d'intérieur, avec des objets et accessoires divers (par exemple de la décoration, des meubles) qui leur offrent de la substance. 

Après une pause de sept ans, retour aux affaires pour "Tif et Tondu" ! La formule reste inchangée. Certes, "La Villa du Long-Cri" n'est pas du meilleur tonneau, mais cet ouvrage constitue néanmoins un divertissement très honorable. En attendant mieux. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. Sept ans d'interruption : une information à laquelle je ne m'attendais pas, j'avais bêtement supposé une production régulière.

    La formule reste inchangée. […] Cet ouvrage constitue néanmoins un divertissement très honorable. En attendant mieux. - Je retrouve là toute l'ambivalence de s'attacher à une série : je souhaite plus de la même chose, tout en espérant que j'aurai plus. En te lisant, je me dis que c'est vrai aussi pour les œuvres de genre : on veut retrouver les conventions ou les figures imposées du genre, tout en espérant que le ou les auteurs sauront faire quelque chose de personnel, qu'ils nous donneront plus.

    Je remarque également que tu es sensible à la décoration intérieure, ce qui rend la scène la scène moins impersonnelle.

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    1. La production est effectivement régulière ; d'ailleurs, après cette reprise, les auteurs produiront presque deux albums par an !

      Disons que j'ai été surpris par l'absence totale de changement dans la forme. Dans un article précédent, tu me demandais si je prenais en considération "certaines caractéristiques d'une scène ou de l'intrigue comme un marqueur culturel d'une époque" ; j'ai eu cette question à l'esprit durant la lecture, et rien ne m'est venu. Cela dit, il n'y a pas de jugement de valeur sur ce point. C'est plus par rapport à la qualité de l'intrigue, qui m'a laissé sur ma faim ; ça fait d'ailleurs trois tomes qui ne me convainquent pas.

      La décoration personnelle, les objets de la vie quotidienne... Je trouve que Will est fort, dans ce domaine. Je me suis demandé s'il n'avait pas, dans ses jeunes années, travaillé comme illustrateur pour des enseignes de mode ou de mobilier. J'ai vérifié : ce n'est pas le cas. Peut-être a-t-il appris cela pendant sa période de mentorat avec Jijé, qui sait ?

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