jeudi 15 avril 2021

"Callas, je suis Maria Callas" (MARAbulles ; juillet 2019)

"Callas, je suis Maria Callas" est une bande dessinée biographique, dont le sujet est la cantatrice légendaire Sophia Cecelia Kalogeropoulos, dite Maria Callas (1923-1977)Ce recueil broché format 19,3 × 25,2 cm comprend un récit complet de cent soixante-quinze planches principalement en noir et blanc avec des nuances de gris et quelques touches de couleur. L'album est sorti en juillet 2019 chez MARAbulles, maison d'édition intégrée au sein de Marabout qui appartient au groupe Hachette depuis 1980 ; créée en 2009, MARAbulles a fixé comme axes de développement la bande dessinée humoristique et le roman graphique, avant d'évoluer vers le biopic féminin depuis 2016. 
Cet ouvrage a été entièrement réalisé par Vanna Vinci : le scénario, les dessins, l'encrage, et la mise en couleur. L'Italienne a publié quelques albums chez Dargaud, mais la majorité de ses œuvres - dont certaines lui ont valu des prix comme "L'età selvaggia" - n'ont pas été traduites en français, ou pas encore. 

La Scala de Milan. Tout le monde est parti, les portes ont été fermées, le théâtre est plongé dans le noir et le silence. Mais la Callas - ou plutôt son fantôme - est là. Elle ne devrait pas être à cet endroit, mais il n'y a rien à faire, elle n'arrive pas à quitter les lieux. Elle aime trop être sur scène pour cela. Elle se rappelle les spectacles, l'orchestre, le public, le poulailler, et même les sifflets. Elle a trop de souvenirs qui la lient à ce théâtre. Pas seulement à celui-là ; elle a chanté dans les plus grandes salles d'opéra. Mais c'est ici, à la Scala, qu'est née sa légende. Et c'est ici qu'elle arrive à se sentir "encore vivante". Il n'y a qu'ici qu'elle est encore Maria Callas ! Elle revient alors sur sa vie. Elle est née le 2 décembre 1923, à New York ; ses parents, George et Evangelia Kalos (adaptation américanisée de Kalogeropoulos), la prénommèrent Sophia Cecelia (parfois "Cecilia") Anna Maria. Sa mère voulait un garçon, et la rejette... 

Mais pourquoi la bande dessinée boude-t-elle la musique classique ? Trop élitiste ? Peu importe, les amateurs se réjouiront de la sortie de cet album consacré à la "Voix du siècle". La Callas. Encore aujourd'hui, elle ne laissera aucun mélomane indifférent. Elle aura repoussé les frontières d'un art en le révolutionnant. Wikipédia précise que la Callas "est l'une des premières à transposer les techniques de jeu du théâtre ou du cinéma à l'opéra" et qu'elle a valorisé "l'approche du jeu d'acteur", et évoque "son talent de tragédienne". Et sa voix : son "timbre très particulier", son "registre étendu de près de trois octaves" et "sa grande virtuosité alliée à un phrasé unique". Vinci, de manière remarquable, parvient à faire ressortir tout cela. Elle structure son ouvrage en suivant l'ossature de la tragédie grecque en cinq actes : le "prologos", le "parodos", quatre épisodes séparés par quatre "stasima" et "l'exodos". Elle revient sur les facettes d'une personnalité singulière. Son enfance perturbée et sa relation tendue avec sa mère ; ses complexes dus à sa corpulence ; sa métamorphose et les effets secondaires qui lui furent attribués ; les hommes de sa vie ; le statut de diva puis le déclin, si pénible à supporter. Plutôt qu'une narration linéaire, Vinci - c'est l'un des points forts de l'album - utilise pour sa biographie de la "Divina assoluta" une succession de souvenirs ou de jugements pris sur le vif comme lors d'une entrevue, exposant ainsi les lecteurs aux points de vue d'une multitude d'intervenants, les uns bienveillants, les autres malveillants. L'autrice bute sur trois écueils : parfois, l'agencement des phylactères a pour conséquence une confusion au sujet de la personne qui s'exprime, qui parle ; elle évoque certains événements méconnus sans les expliquer ; enfin, la planche avec les artistes de musique de variétés est hors sujet. 
Vinci présente un trait semi-réaliste avec une pointe caricaturale plus appuyée pour certains protagonistes. Pas de figuration de mouvement ; Vinci dresse avant toute chose une série de portraits avec ou sans décor. Pas de quadrillage, de bande ou de case, juste des enchevêtrements de séquences. Vinci a l'instinct de la composition, mais le sens de lecture des bulles n'est pas toujours évident. Le noir et blanc passe parfaitement, d'autant qu'il est fréquemment rehaussé de touches de couleur. 
La traduction est confiée à Simona Maccaroni. En évaluer la qualité est impossible pour quiconque ne lisant pas l'italien. Le texte français est absolument impeccable : ni faute ni coquille. Quelques bonus auraient été les bienvenus, mais rien ici, hélas. 

"Callas, je suis Maria Callas" est un bel effort et un projet artistique sincèrement louable. Il y a  quelques passages véritablement brillants ainsi que de l'émotion, mais quelques petites faiblesses, dont les carences dans la narration et les abus d'ellipse. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz 

7 commentaires:

  1. Je suis allé voir quelques pages sur internet : typiquement le genre de BD que j'aurais reposé aussi sec. Ce n'est qu'avec un article comme le tien que mon intérêt se trouve éveillé et que je pourrais y prêter plus d'attention.

    La majorité de ses œuvres n'ont pas été traduites en français, ou pas encore. - Je suis incorrigible : alors que je n'ai pas le temps de lire tout ce que j'achète, je ne peux pas lutter contre la sensation de frustration à l'idée de penser à toutes les BD italiennes qui ne parviennent pas chez nous. Je suis encore plus frustré quand je pense aux choix éditoriaux de l'éditeur Mosquito pour une série comme Dylan Dog : des petits morceaux tentateurs, pas toujours à la hauteur, laissant supposer l'existence de trésors.

    Maria Callas : pourquoi pas. Je suis imperméable à son art, mais je suis convaincu que sa vie peut m'intéresser.

    Pourquoi la bande dessinée boude-t-elle la musique classique ? - De mon expérience, très peu de béadéastes parviennent à parler musique (classique, mais aussi pop ou rock) en BD. Une des rares exceptions récentes à mes yeux : Bowie, une vie illustrée, par Michael Allred, Steve Horton et Laura Allred. C'est une exception parce que les auteurs sont parvenus, en ce qui me concerne, à me faire éprouver une partie des sensations que je ressens quand j'écoute les albums de Bowie qu'il évoquent.

    http://www.brucetringale.com/changer-david-bowie/

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    1. Merci pour la référence. Je suis à peu près aussi imperméable à Bowie et à sa musique que tu l'es à l'art de la Callas. Mais c'est rigolo que tu cites cet exemple, parce que Vinci, dans son album, produit une planche - dont je n'ai pas perçu l'intérêt - avec quelques artistes de musique de variétés, dont Bowie, justement. 

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    2. Cette planche avec Bowie : s'agissait-il de mettre la cantatrice sur le même plan qu'une icône pop ? Du peu que j'ai entendu l'évoquer, la Callas me semble avoir acquis une renommée dont la forme est similaire à celle dune star pop ou rock.

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    3. Vinci - elle déclare ne pas être amateure de classique, mais plutôt de musiques de variétés - a voulu avec ma mort de la diva établir un double parallèle : avec d'autres artistes qui ont révolutionné leur genre (David Bowie, Marc Bolan, les Sex Pistols, et les New York Dolls) et qui consommaient du Mandrax, un somnifère que la Callas prenait régulièrement et fréquemment, et dont une surdose - accidentelle - aurait pu être à l'origine de son décès.

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    4. Merci pour cet éclaircissement.

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    5. Tu as peut-être vu que Dufaux avait écrit un album sur la Callas et Pasolini. Il sort cette semaine, le 20 octobre.

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    6. J'ai vu ça : il est sur ma liste d'achats.

      J'aimerais bien que l'intégrale de la série Grands écrivains, de Jean Dufaux bénéficie d'une réédition. Au programme : Sade (dessins de Werner Goelen), Hemingway (dessins de Marc Malès), Pasolini (dessins de Massimo Rotundo), Balzac (dessins de Joëlle Savey), Hammett (dessins de Marc Malès).

      https://www.bdfugue.com/serie/grands-ecrivains

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