lundi 12 avril 2021

"Kamandi" : Tome 1 (Urban Comics ; octobre 2013)

Le premier des deux ouvrages de la série qu'Urban Comics consacre au "Kamandi" de Jack Kirby est sorti en octobre 2013 dans la collection "DC Archives" de l'éditeur. Cet épais recueil, au format 19,0 × 28,5 centimètres et à la couverture cartonnée, contient quatre cent dix planches approximativement. On retrouve au sommaire de cet ouvrage les versions françaises des vingt premiers numéros de "Kamandi" (volume 1), les #1-20 (de novembre 1972 à août 1974). Au total, le premier - et unique à ce jour - volume de "Kamandi" compte cinquante-neuf numéros. Kirby ayant quitté DC Comics à l'issue du nº40 (avril 1976) afin de retourner chez Marvel, les nº41-59 ne sont donc pas inclus dans cette collection. 
Jack Kirby (1917-1994) écrit les scénarios de tous les numéros, et produit aussi la partie graphique. À l'encrage, son acolyte Mike Royer, qui est, avec Joe Sinnott, sans doute le meilleur encreur à avoir travaillé avec le "King" ; mais Royer finit par être écœuré par la cadence qui lui ou leur était imposée par DC Comics et il transmit le témoin à Douglas Bruce Berry (1924-1998) à partir du nº16 (d'avril 1974). Il n'y a aucun crédit pour la mise en couleurs. 

New York City, bien après l'année des Grandes Secousses ; ce qu'il reste de la mégapole est sous les eaux. Installé dans son canot pneumatique, Kamandi, à coups de pagaie, se fraie un itinéraire parmi des ruines cyclopéennes de gratte-ciel et de monuments. Son grand-père et lui sont les uniques survivants du Command D, un immense complexe de bunkers souterrains. Ce que Kamandi connaît de cette catastrophe est vague, il sait juste qu'il y a un rapport avec les radiations. Derrière lui, les vestiges de la statue de la Liberté ; sa couronne brisée, la grande dame est inclinée et immergée jusqu'à l'abdomen. Plus loin, au fond, l'Empire State Building penche dangereusement sur la droite. Le jeune homme est seul, sa présence est insignifiante sur la vaste étendue d'eau calme. Kamandi continue sa remontée de l'ancien fleuve Hudson... 

Première question qui vient à l'esprit : "Kamandi" a-t-il été copié sur "La Planète des singes" (1963), de Pierre Boulle (1912-1994) ? Il semble que non, et que Kirby avait déjà imaginé un concept similaire avant le roman de Boulle. Soit. Accordons le bénéfice du doute au "King", à ses éditeurs, et à ses biographes. Peu importe, d'ailleurs, car à part le terreau commun (l'évolution de l'animal en opposition à la régression de l'homme), le reste est suffisamment différent et donc nouveau, même s'il semble improbable que certaines planches n'aient pas été influencées par le film. Kirby nous livre un récit dystopique, qui s'adresse à tous les âges avec, en vedette, un jeune homme dans un monde post-apocalyptique où espèces humaine et animale ont interverti leur place, le dominant devenant le dominé et inversement. Si la catastrophe nucléaire est en filigrane, Kirby aborde des thèmes tels que l'esclavagisme ; le poids de la solitude, physique ou psychologique ; l'intelligence et le savoir collectifs ; et l'importance de l'histoire et de la mémoire dans le façonnage de nos identités culturelles. L'auteur, habilement, oppose posture de groupe et comportement individuel, certains rares animaux se montrant amicaux à l'égard de Kamandi. La série est construite sur une continuité linéaire ; chaque numéro comprend une histoire complète la plupart du temps, qui se divise souvent en petits chapitres de quelques pages. À la fin de chacune d'entre elles, Kamandi tombe de Charybde en Scylla, et maintient ainsi éveillé l'intérêt des lecteurs. Les événements promènent Kamandi d'un endroit à un autre, sans but final fixé. Enfin, certains personnages sont utilisés comme dei ex machina. Au fil des numéros, ces mécanismes narratifs finissent par lasser, mais sans entamer durablement l'enthousiasme que suscitent ces aventures. 
La partie graphique est d'un classicisme d'une pure splendeur. Les doubles pages sont à couper le souffle. Le niveau de détail est très satisfaisant. Pardonnons au "King" ces postures qui s'écartent des réalités de l'anatomie. Son travail est rehaussé par l'encrage imaginatif de Royer qui emploie - tout simplement - de légères hachures et d'importants aplats de noir aux formes irrégulières. Il applique aussi de petites gouttes d'encre reliées par un appendice fin ; elles donnent vie à l'encrage. 
La traduction a été répartie entre Laurent Queyssi (du studio bordelais Makma) et Jérôme Wicky. Elle est d'un niveau de qualité plus qu'honorable. Le texte est soigné et ne contient ni faute ni coquille, a priori. La préface de Royer est très instructive. 

"Kamandi", c'est la bande dessinée d'aventures par excellence. Bien que certains des mécanismes narratifs de Kirby se répètent et que Royer quitte la série après seize numéros, ces épisodes, surprenants et créatifs, sont pleins de trouvailles. Un plaisir. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz

5 commentaires:

  1. 4 étoiles ?!? Du coup, j'ai hésité à lire ton article :)

    J'ai bien sûr lu ton article : bien m'en a pris. Je l'ai trouvé formidable. Tu fais preuve d'un recul dont j'ai été incapable et qui m'a permis de voir ces épisodes avec un autre point de vue, moins en mode fanboy. J'ai beaucoup aimé la liste des thèmes : esclavagisme, poids de la solitude, physique ou psychologique, intelligence et savoir collectifs, 'importance de l'histoire et de la mémoire dans le façonnage de nos identités culturelles, posture de groupe et comportement individuel.

    La série est construite sur une continuité linéaire : un bel exemple de narration linéaire sans une once d'ennui, pour revenir à une discussion que nous avons déjà eu. Pour ma part, j'ai conservé mon enthousiasme de bout en bout.

    D'importants aplats de noir aux formes irrégulières : c'est un effet que j'aime beaucoup chez lui. Il l'utilise avec largesse dans les épisodes de la série The Demon pour évoquer la présence d'énergies surnaturelles. Il l'utilise parfois lors d'une menace impalpable dans un ou deux épisodes des Fantastic Four. J'aime beaucoup quand son dessin glisse ainsi du figuratif vers l'expressionnisme.

    "Kamandi", c'est la bande dessinée d'aventures par excellence : belle conclusion. Un article que j'ai trouvé particulièrement remarquable et qui m'a enchanté du début à la fin. Merci.

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    1. Du baume au cœur : merci de tes compliments !

      Je crois que concernant Kirby, nous sommes toujours d'accord ou en désaccord sur les mêmes choses !
      Ça me peine de mettre trois étoiles ou moins, et lorsque je suis enthousiasmé, il faut toujours qu'il y ait suffisamment de faiblesses pour que je n'aille pas jusqu'à cinq. Et ça s'est vérifié récemment avec les deux premiers tomes du "Quatrième Monde". En attendant la lecture du "Démon", qui n'est pas pour tout de suite.

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    2. Dois-je en déduire que tu ne liras pas le tome 2 de Kamandi ?!?

      Heureusement que tu as promis une lecture du Demon. La course de lenteur a commencé entre toi et moi : qui atteindra le premier Demon pour toi, ou un Jodorowski pour moi ? Quel suspense…

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    3. Mon Dieu, non ! Bien sûr que je lirai le second tome ! Pour moi, quatre étoiles c'est du tout bon ! Je conclus mon billet en affirmant que cette lecture a suscité du plaisir, alors pourquoi se priver de continuer ? Hors de question de m'arrêter au premier tome.

      Hahaha ☺ ! Oui, effectivement, quel suspense ! Tu devrais gagner, car tu dois lire plus que moi ; je ne parviens pas à dépasser la dizaine de BD par mois (avec commentaire, cela va sans dire). Je me suis même livré à un rapide calcul : je ne devrais pas réussir à lire "Le Démon" avant la mi-2023 ☺.

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    4. Je lis plus que toi, mais moins de francobelge : la course reste incertaine. :)

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