vendredi 9 avril 2021

Bouncer (tome 8) : "To Hell" (Glénat ; novembre 2012)

"To Hell", publié en novembre 2012, est le huitième volume de "Bouncer", la série française de western lancée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq ; bien que Jodorowsky l'ait quittée au neuvième numéro ("And Back" ; 2013), elle est toujours en cours à ce jour. Désormais, Boucq en assure les scénarios en plus des dessins. Les sept premiers numéros sont sortis chez Les Humanoïdes associés, celui-ci et les suivants, chez Glénat. 
C'est Alejandro Jodorowsky qui a écrit le scénario de cet ouvrage de cinquante-huit planches. Le Franco-Chilien est célèbre, entre autres, pour "L'Incal""Les Technopères""La Caste des Méta-Barons"... Les illustrations sont du Lillois François Boucq. Grand prix 1998 de la ville d'Angoulême, il a travaillé notamment sur "Little Tulip""Le Janitor""XIII Mystery" et "Bouche du diable". Il produit la couleur avec son filleul, Alexandre Boucq

À l'issue du tome précédent, le dernier fils vivant d'Axe-Head, est tué par Mocho le chien. Bien que hanté par le souvenir de Carolyn/Evelyn, le Bouncer désire que Yin-Li reste à ses côtés. 
Une région montagneuse, dans l'Ouest américain. Le paysage, composé de roches et de conifères, est recouvert d'une neige qui continue à tomber. Le Bouncer pousse Onagro, sa monture. Mocho et une mule bien chargée complètent le petit convoi. Une meute de loups est à leur poursuite et se rapproche dangereusement. Ça y est : ils ont rejoint la mule, et commencent à se jeter sur elle. La bête de trait était raccordée à Onagro ; la corde se tend. Le Bouncer la tranche d'un coup de couteau afin de gagner un peu de temps et de terrain, l'abandonnant ainsi aux prédateurs déchaînés. Mais le sort s'acharne : la route se rétrécit jusqu'à devenir impraticable. La seule issue est un tronc branchu enneigé au-dessus d'un précipice. Mais déjà, de l'autre côté, une seconde meute de loups attend, patiemment... 

"To Hell" ouvre ainsi un nouveau diptyque dont la conclusion marquera la fin de la contribution de Jodorowsky à cette série. Cet album évoque la descente aux enfers - presque littéralement - du Bouncer. Les lecteurs qui croyaient que toutes les facettes du mal avaient déjà été abordées dans les tomes précédents et que l'imagination souvent cruelle et outrancière du scénariste avait atteint ses limites ne pourront que changer d'avis et se demander si cette petite bourgade de Barro City n'est pas, au fond, l'antichambre de l'enfer. Plus que pour tout autre cycle, celui-là commence mal et dans la douleur, avec quatre larrons qui arrivent en ville ; leur meneur affiche une coquetterie de dandy pour masquer sa difformité. Pour oublier cette dernière, il aime infliger des souffrances physiques aux autres - principalement aux femmes - qu'il paie, à l'occasion, pour être leur bourreau, là devant une assemblée de quidams qui regardent sans intervenir ; une séquence de voyeurisme qui pourra provoquer un léger malaise chez le lecteur. Évidemment, cette petite sauterie dérape sauvagement à la suite d'un acte d'éclat, et voilà le Bouncer qui doit brusquement cuver et quitter Barro City pour venger les siens. Celui qui a déjà traversé des océans de peine et qui survit - à grands coups de gnôle - à toutes les tragédies qu'il subit reprend donc la route, plein d'espoir et de naïveté, comme à son habitude. Il est pourtant informé de ce qui l'attend. D'abord l'itinéraire, qui est une première épreuve. Puis la destination, véritable réceptacle de ce que le genre humain a inventé de pire : geôles infectes, tortures, combats d'arène ou esclavage. Le tout nimbé d'une ambiance baroque, avec despote masqué en robe de bure amateur d'orgue, qui dirige une famille dysfonctionnelle, thème récurrent du titre. Jodorowsky conçoit là une intrigue linéaire (d'un point A à un point B sans variation de temps), mais évite l'écueil de la pesanteur en la jalonnant de rencontres et de renversements de situation. 
Boucq compose une partie graphique très aboutie. Les amateurs retrouveront avec plaisir les caractéristiques du style de l'artiste pour cette série, c'est-à-dire un trait réaliste, un travail remarquable sur l'expressivité et les physionomies, un quadrillage clair où les vignettes occupent parfois toute la largeur d'une bande pour un rendu cinématographique 16/9e, une densité de cases par planche qui reste digeste, un niveau de détail très satisfaisant, et ces représentations superbes des grands espaces de l'Ouest américain, en partie sous la neige. Très généreuse en contrastes, la mise en couleur est d'une qualité nettement supérieure aux volumes précédents. 

"To Hell" engendre une curieuse sensation... En démarrant ce diptyque et en refermant cet album, les lecteurs auront l'impression que la cruauté outrancière de cette série va atteindre son apogée : une façon pour Jodorowsky de marquer son départ ? 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz 

3 commentaires:

  1. Les lecteurs qui croyaient […] que l'imagination souvent cruelle et outrancière du scénariste avait atteint ses limites ne pourront que changer d'avis. - Je reconnais bien là les capacités imaginatives de Jodorowski. Il n'y a pas de limites à l'imagination de l'être humain pour faire souffrir et pour détruire son prochain.

    En lisant ton commentaire, je me dis que mon site souffre du manque d'une série de ce scénariste hors norme. Comme il y en a plein que je n'ai pas lues, ce ne devrait pas être trop difficile d'en trouver une pour l'année porchaine.

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    1. "Pour l'année prochaine" ? "POUR L'ANNÉE PROCHAINE" ??? Il va falloir rapprocher cette échéance, sinon...

      Blague à part, j'ai hâte de voir ce que tu vas choisir. Pas impossible que je donne une seconde chance à "La Caste des méta-barons", dont je n'avais lu qu'un seul tome (lequel ???) il y a une quinzaine d'années. Le reste de son œuvre m'intéresse beaucoup moins.

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    2. J'avais lu la caste des méta-barons dont je garde un souvenir extraordinaire, ainsi qu'une bonne partie des séries afférentes. Pour cette série, il faut commencer par le premier tome et accepter ses dramaturgiques fortement marqués comme à son habitude. Je ne pense pas me lancer dans une relecture. Mon choix se portera dans le reste de son œuvre qui t'intéresse beaucoup moins, une BD de lui que je n'ai pas lue… et il y en a plein.

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