Publié, en avril 2016, dans la collection "DC Deluxe" d'Urban Comics, "La Malédiction qui s'abattit sur Gotham" est un ouvrage au format 19,0 × 28,5 cm à la couverture cartonnée qui comprend cent soixante-dix planches. Au sommaire, les versions françaises de deux histoires. D'abord, "La Malédiction qui s'abattit sur Gotham" ("The Doom That Came to Gotham" en VO ; novembre 2000 à janvier 2001), une minisérie en trois numéros, inédite en version française à sa sortie. Ensuite, "Sanctuaire" ("Sanctum" en VO) fut publiée dans le "Batman: Legends of the Dark Knight" #54 (de novembre 1993) ; en revanche, cette histoire-là avait déjà été publiée aux éditions Rackham en 2004, sous le titre "Sanctuaire".
Le scénario de "La Malédiction qui s'abattit sur Gotham" est coécrit par Mike Mignola et Richard Pace et ses dessins sont réalisés par le Canadien Troy Nixey, avec l'encrage de Dennis Janke, et la mise en couleur de Dave Stewart, le célèbre coloriste aux onze prix Eisner. Le scénario de "Sanctuaire" est coécrit par Mignola (à nouveau) et Dan Raspler. Mais cette fois, Mignola en produit le dessin et l'encrage et Mark Chiarello compose la mise en couleur.
Cap Victoria, continent antarctique, 1928. Un navire à vapeur, l'Argo, adresse un message radio à la station de la baie des Saints afin de communiquer que le bateau de l'expédition Cobblepot vient juste d'être retrouvé ; celui-ci a bien été pris par les glaces, confirmant ainsi les hypothèses. Bruce Wayne, de l'équipe de l'Argo, demande à ses mousses - Dick, Jason, et Todd - de procéder au décompte des cadavres : il y en a déjà beaucoup et tout a gelé, ce qui signifie qu'il leur faudra du temps pour identifier tout les macchabées. Mais Wayne leur ordonne de dresser un bilan exact, qu'il veut à son retour ; pendant ce temps, il partira seul à la recherche de survivants éventuels. Pendant que Wayne se fraie un chemin vers l'intérieur, Dick découvre le journal de bord du bateau de l'expédition du prof. Oswald Cobblepot, dans la neige.
Voilà deux récits distrayants, qui ont en commun l'ésotérisme, la sorcellerie et les monstres. La première est de toute évidence un exercice de style dont le sérieux est assez relatif. Les auteurs, dans une intrigue très influencée par les magazines "pulp", revisitent l'univers de Batman - voire de DC Comics, car il n'y a pas que Batman -, en le croisant avec des éléments tirés de la mythologie lovecraftienne. Mignola et Pace utilisent ainsi des versions alternatives de nombreux personnages et des entités des deux côtés pour façonner une trame dont Gotham City est l'enjeu central. Le déroulement de la narration n'est pas vierge de défauts : il y a quelques temps morts et autres moments creux. Néanmoins, voilà un récit inattendu et très divertissant, qui commence avec un hommage aux "Montagnes hallucinées" ("At the Mountains of Madness", 1931), d'Howard Phillips Lovecraft (1890-1937). Il s'ensuit un scénario alimenté par le thème des apparences trompeuses, dénué ni d'humour ni de séquences saisissantes. Le manque d'empathie de Bruce Wayne en étonnera plus d'un, jusqu'à l'épilogue, où tout est dévoilé. Si Mignola donne l'impression de s'être amusé avec sa minisérie, Pace et lui n'en ont pas moins écrit une œuvre cohérente sans invraisemblance majeure, malgré les nombreux non-dits, qui est généreuse en suspense et en surprises de taille, et évite l'écueil du grand-guignol. "Sanctuaire" explore la dualité entre rêve - ici, cauchemar - et réalité. L'histoire se distingue par un ton plus noir, plus sombre, et par le petit nombre de protagonistes : trois. Bien que là aussi éloignée de l'aventure habituelle de Batman, elle n'en est pas moins divertissante.
La partie graphique est très satisfaisante. Nixey et Mignola évoluent dans un registre similaire, semi-réaliste, avec un encrage marqué. On pourrait dire que le style de Nixey se situe à mi-chemin entre Paul Pope et Mignola. Chez le second, l'expressionnisme est nettement plus accentué, et le trait plus dépouillé ; ses plans renferment également plus de variété. Les décors de Nixey sont plus fournis et plus détaillés. Mignola est plus avancé dans son travail sur les formes et silhouettes et sur l'essence des protagonistes. Mais l'on retrouve des similitudes entre les deux : le quadrillage, la diversité des dimensions des cases, ou la densité de vignettes par planche.
Alex Nikolavitch effectue la traduction : c'est une indéniable réussite. Son texte est irréprochable et ne contient aucune faute, sauf erreur de ma part. À peine y a-t-il une coquille dans la préface de Nikolavitch, une préface d'ailleurs très intéressante.
Bien que la première histoire soit un "Elseworlds" - une "réalité" alternative - et pas la seconde, ce "double album" présente des arcs dans une veine très proche, qui se lisent indépendamment des continuités et constituent un divertissement de qualité.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Pour commencer, je suis un peu jaloux car le recueil VO ne reprenait pas l'épisode dessiné par Mignola : du coup, je ne l'ai pas relue depuis longtemps, et ton article semble indiqué qu'il s'agit d'une bonne période de l'artiste.
RépondreSupprimerLa malédiction qui s'abattit sur Gotham : j'avais été plus généreux que toi, avec 5 étoiles. Comme toi, j'avais trouvé que Nixey avait comme objectif de se rapprocher des caractéristiques graphiques de Mike Mignola, ce qu'il fait tout en conservant une personnalité graphique qui aboutit à un environnement très particulier, en cohérence avec la narration.
Un divertissement de qualité : entièrement d'accord.
J'ai dû lire cette histoire - "Batman: Legends of the Dark Knight" #54 - au moins quatre ou cinq fois, et je l'ai appréciée à chaque fois.
SupprimerC'est une bonne période pour Mignola, en effet ; il lançait "Hellboy" trois mois plus tard. Pour moi, la période 1994-2005 est sa meilleure, aussi dans le sens de "la plus productive". Après, même s'il a continué, il a levé le pied question dessin ; ça m'avait fait abandonner "Hellboy".