vendredi 7 mai 2021

Ric Hochet (tome 13) : "Les Compagnons du diable" (Le Lombard ; septembre 1971)

"Les Compagnons du diable" est le treizième "Ric Hochet", cette série conçue par le Belge André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) alias Tibet ; il est paru au Lombard en septembre 1971, après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin", entre le 13 janvier (nº2/70) et le 9 juin 1970 (nº23/70). Cet ouvrage au format 22,5 × 30,0 cm à couverture cartonnée contient quarante-quatre planches. Titre-fleuve culte, "Ric Hochet" compte soixante-dix-huit volets et s'étend sur près de cinquante ans ; le dernier est sorti en 2010. 
Duchâteau écrit le scénario et Tibet produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). Tibet ne réalisait pas les décors et les confiait à des assistants ; ici, à Christian Denayer

Le 27 mars, Paris : ce soir-là, Ric Hochet est l'invité d'une émission de télévision en direct, "Énigmes d'hier et d'aujourd'hui". Il est installé dans un fauteuil confortable, sur le plateau, en compagnie de l'animateur. Celui-ci revient sur la reconstitution du procès Lefebvre. Il demande à Ric Hochet de se substituer au jury : quel aurait été son verdict ? Ric Hochet, sans hésiter, répond non coupable, car il estime que les preuves n'étaient pas suffisamment déterminantes. Lorsque le présentateur veut savoir s'il lui est déjà arrivé de se tromper en tant que "spécialiste des enquêtes criminelles", Ric déclare que "les détectives infaillibles n'existent que dans les romans !" Cela les amène à la deuxième partie de leur émission. Il s'agit de demander aux téléspectateurs de téléphoner au studio pour poser leurs questions à l'invité. C'est avec bonne humeur que Ric accepte de se prêter au jeu : c'est bien son tour d'être "mis sur la sellette". La sonnerie du téléphone installé sur le plateau retentit : voici le premier appel, un certain Luc Merlin de Paris 18, qui évoque l'affaire Mâlemort. Un second appel lui est communiqué. Son auditeur lui prédit un échec cuisant. Il se présente : le diable !... 

Dans "Les Compagnons du diable", Ric Hochet et Bourdon sont sur les dents, car l'ambitieux criminel qui les provoque, et qui prétend être le diable, a toujours un coup d'avance sur la police et eux. En faisant intervenir le malin dans cette enquête de "Ric Hochet", Duchâteau explore à nouveau les possibilités offertes par des éléments issus du registre surnaturel, comme il l'avait plutôt bien fait dans "Les Spectres de la nuit". Le scénariste ne lésine pas sur les moyens : catastrophes spectaculaires (un immeuble qui s'effondre en plein Paris), arsenal dérobé en plein jour au dépôt de la Police judiciaire, ou cambriolage sous le nez des convives d'un dîner mondain, sans oublier les attentats sur la personne de Ric Hochet. Tout cela s'enchaîne avec la maestria et la maîtrise du rythme narratif que l'auteur a toujours démontrées : chasse à l'homme, courses-poursuites, séjour sur la Côte d'Azur avec une séance de kitesurf riche en émotions, etc. Il est intéressant de retrouver le professeur Hermelin, pas pour le personnage lui-même, mais parce qu'il est à contre-emploi cette fois. Seulement voilà. Malgré tous ces efforts et toutes ces cascades, cela ne prend pas, parce que la piste fantastique retombe comme un vulgaire soufflé. Et puis il faut noter un certain nombre d'invraisemblances de taille ; d'abord, il n'y a aucun curieux, aucun spectateur présent lors de l'accident de la rue Dieu, alors que le défi du diable est diffusé à la télévision à une heure de grande écoute, à une audience manifestement importante, donc ; enfin, aucun éclaircissement n'est donné sur les raisons qui ont poussé le diable à courir le risque de provoquer Ric Hochet de la sorte. 
La partie graphique est à l'image de l'efficacité de la série avec cette belle séquence d'ouverture qui représente un plateau de télévision. Car si l'on parle beaucoup de Tibet, il ne faut surtout ni sous-estimer le travail de Denayer, le décoriste, ni son impact sur le titre. Assez étrangement, le quadrillage est nettement plus tarabiscoté que dans les recueils précédents ; des flèches rouges viennent indiquer, plus ou moins discrètement, le sens de lecture à plus d'une reprise. Notons le soin apporté aux véhicules, avec principalement une superbe Renault 16 verte et une jolie Renault 4 rouge ; c'est l'une des marques de fabrique de la série et - en général - de la bande dessinée franco-belge "à l'ancienne". Un autre point remarquable : les décors intérieurs et l'ameublement. Enfin, rien à redire sur la mise en couleur : la bichromie est utilisée fréquemment, peut-être plus que d'habitude, non seulement afin de gagner du temps, mais aussi de représenter la tension chez les protagonistes. 

Dûchateau a suffisamment de métier pour ne pas produire une mauvaise histoire. Après une douzaine de volets en huit ans, la mécanique "Ric Hochet" est bien huilée ; mais l'intrigue n'en est pas moins décevante. L'album se lit néanmoins sans déplaisir. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Le retour des flèches : surprenant effectivement. Il m'est toujours impossible d'imaginer la logique qui justifiait le recours à ce genre de découpage tarabiscoté.

    La piste fantastique retombe comme un vulgaire soufflé : je ne sais plus pourquoi j'ai repensé ces temps derniers à la série X-Files où de temps à autre un épisode reposait sur une mystification sans rien de surnaturel, et ces épisodes fonctionnaient quand même.

    Les décors intérieurs et l'ameublement : c'est vraiment le genre de détails qui peut attester du degré d'implication des auteurs dans leur œuvre, le soin qu'ils y ont apporté, et le petit plus qui fait une grande différence dans le plaisir de lecture.

    La bichromie : je partage entièrement ton avis sur le fait qu'elle sert à intensifier les émotions et que ça se ressent à la lecture.

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    1. Pareil pour les flèches, surtout que celles-ci sont les moins discrètes que j'aie vu jusqu'ici.

      J'ai été très déçu par la fausse piste fantastique de cet album. Pour moi, c'est dans ce registre-là que la série est à son meilleur niveau. Mais je dois reconnaître que je suis conditionné par mes souvenirs de lecture.

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