Sorti chez Ki-oon en mars 2019 (la VO japonaise daterait de 2017), "Les Montagnes hallucinées" est le second album d'un récit en deux parties, qui ouvre une série consacrée à des adaptations en manga "seinen" des nouvelles les plus fameuses d'Howard Phillips Lovecraft (1890-1937). Ce recueil format 16,0 × 21,9 cm à couverture flexible en similicuir se lit de droite à gauche et englobe trois cent trente pages en noir et blanc, plus ou moins.
"Les Montagnes hallucinées" a été entièrement réalisé (scénario, illustrations, et encrage) par le Tokyoïte Gou Tanabe. Tanabe a été révélé par ses séries "Kasane", "Mr. Nobody", ainsi que pour ses adaptations des nouvelles de Lovecraft. "Dans l'abîme du temps" obtient le prix de la série du Festival d'Angoulême 2020.
À l'issue du tome précédent, le professeur Pabodie part à la recherche de Gedney, sans le retrouver. Dyer décide de continuer les recherches, et de franchir le col de ces sinistres montagnes.
Dyer examine le lugubre massif aux jumelles. Son visage exprime autant l'inquiétude que la détermination. Il informe Pabodie et les autres que le vent étant levé, son assistant Danforth et lui décolleront à 09h00. L'universitaire demande que l'avion soit allégé au maximum et que seuls soient emportés le matériel de prise de vue et les outils de géologie ; le reste sera déchargé. Le professeur Dyer, pendant que ses consignes sont exécutées par Pabodie et d'autres membres de l'expédition, procède à des relevés avec son sextant, afin d'établir un itinéraire ; ils devront franchir une passe située à 7 300 mètres d'altitude. Danforth souligne que la montée ne sera pas si ardue, leur camp se trouvant déjà à 3 600 mètres. Mais Dyer s'inquiète de la raréfaction de l'air et de l'intensité du froid. En effet, si la visibilité est mauvaise, ils devront garder les hublots ouverts pendant leur vol. Pabodie tente de faire renoncer son collègue, mais sans succès...
Suite et fin de l'adaptation des "Montagnes hallucinées" ("At the Mountains of Madness"). Tanabe applique la même méthode que pour le tome un : fidélité au matériau d'origine. Cette suite, qui reprend à un moment critique, saisit le lecteur à la gorge, lentement, mais sûrement, et lui inflige une tension d'abord sourde et lancinante, qui s'amplifie implacablement au fil des pages et au rythme des découvertes stupéfiantes et écrasantes de Dyer et Danforth ; c'est à peine si elle se relâche au terrible épilogue. Contrairement au premier volet, qui était divisé en deux fils narratifs, il n'y en a plus qu'un seul ici ; pourtant - c'est un tour de force - l'immersion du lecteur s'avère tellement profonde qu'il pourra ne pas percevoir la linéarité totale de l'intrigue. Le lecteur est soumis à l'angoisse que suscite l'inconnu cosmique, sans que rien ne puisse le distraire : ni humour ni romance. La crédibilité du propos est décuplée par l'identité des protagonistes - des universitaires - et par le vocabulaire employé, parant les événements contés d'une troublante sensation de plausibilité, aussi invraisemblable que cela paraisse. Ce roman d'épouvante se déroule dans une pénombre presque permanente, telle une histoire terrible, qu'on lirait en frissonnant, à la lumière d'une chandelle. Il n'y a là aucune faiblesse ; tout s'articule idéalement et sans faux pas. Dialogues et soliloques sont soignés et sans faute de goût. La soif de connaissance de l'homme au détriment de sa raison est parfaitement exprimée.
Une partie graphique d'exception vient couronner cette superbe adaptation. La première moitié souffrait d'une multitude de plans rapprochés, dans des petites cases : le résultat était souvent indéchiffrable. Tanabe s'est aperçu de ce rendu insatisfaisant ; ici, la différence est saisissante et l'attention portée à la lisibilité des vignettes est évidente, malgré l'incroyable complexité des compositions. L'artiste abandonne également la case noire de transition qu'il utilisait parfois en fin de planche. Même l'amateur blasé reconnaîtra que les planches du Japonais donnent le tournis ; quel brio, quelle maestria et quelle précision ! Certains ont dit que Tanabe n'a retranscrit que partiellement l'imagination de Lovecraft. Il opte pour des architectures qui exhalent une sensation de familiarité ; cela ne les rend que plus inquiétantes.
La traduction est confiée à Sylvain Chollet. En évaluer la qualité est impossible pour quiconque ne lisant pas le japonais, mais le texte français est soigné, et vierge de toute faute et de toute coquille : une bénédiction. Et puis : quelle belle maquette !
Ce deuxième tome est un chef-d'œuvre. À une implacable narration d'épouvante vient s'ajouter une partie graphique admirable, splendide, et absolument stupéfiante. Brillante remise en question de Tanabe, qui s'améliore par rapport au premier volet.
Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE
Barbüz
De 4 étoiles à Chef d'œuvre : mazette !
RépondreSupprimerTon article est d'une clarté limpide et j'ai bien compris ce qui constitue ce saut qualitatif.
La soif de connaissance de l'homme au détriment de sa raison : j'aime beaucoup cette formule qui me parle bien dans le contexte de cette histoire de Lovecraft.
Tanabe s'est aperçu de ce rendu insatisfaisant. - J'ai bien vu que Ki-oon avait publié plusieurs mangas de Tanabe adaptant des livres de HP Lovecraft, mais je ne m'étais pas demandé dans quel ordre il les avait réalisés.
Du coup, je suis allé chercher sur ton site les BD ou comics qui avaient décroché le qualificatif de chef-d'œuvre car je n'y avais prêté attention jusqu'alors : Alix 7, Thorgal 3 & 5, Batman year one, Un long Halloween, Dark Knight returns, La nouvelle frontière, Balade au bout du monde, Starman 1, Kingdom Come, Blake & Mortimer Le mystère de la grande pyramide. Je n'en conclus rien, c'était juste de la curiosité.
Oui, je dois reconnaître que la partie graphique m'a laissé absolument sans voix. Je n'ose imaginer le travail derrière et je donnerais cher pour m'asseoir à côté de Tanabe afin qu'il m'explique dans le détail comment il a procédé et le regarder faire en silence.
SupprimerJe pense tenir là une série de très, très haute volée ; si les prochains tomes sont à l'avenant, je crois que ce second tome ne devrait pas être le seul chef-d'œuvre de la série. Prochain arrêt : "Dans l'abîme du temps".