mardi 15 juin 2021

Barbe-Rouge (tome 7) : "L'Île de l'Homme mort" (Dargaud ; juillet 1967)

Créée en 1959 par les Belges Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979), "Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie, dont l'action se déroule sous le règne de Louis XV. Elle a un historique de publication confus, entre les redécoupages de récits pour les albums, les changements d'éditeurs, etc. Elle est prépubliée entre octobre 1959 et juillet 1968 dans "Pilote". Les histoires postérieures sortent directement en albums puis la série retrouve le format magazine avec "Super As" en 1979. "Barbe-Rouge" survit aux morts de Hubinon et de Charlier. En août 2020, une relance du titre voit le jour chez Dargaud : "Les Nouvelles Aventures de Barbe-Rouge"
"L'Île de l'Homme mort" est le septième volet des trente-cinq du titre ; Charlier en a écrit le scénario et le texte, et Hubinon en a composé les illustrations, l'encrage, ainsi que la mise en couleur. C'est un album grand format (22,6 × 29,8 centimètres) à la couverture cartonnée ; il comprend quarante-six planches. 

À l'issue du tome précédent, Éric accepte de partir à la recherche du trésor d'Henry Morgan, mais Morales est à ses trousses. Les alliés d'Éric à Saint-Malo l'aident à planifier son expédition. 
La nuit. Le Faucon noir, désormais dirigé par Morales, croise feux éteints au large de la cité corsaire. Sur terre, l'Espagnol et ses agents courent le pays à la poursuite d'Éric, Baba, et Triple-Patte. L'un d'eux vient au rapport : les hommes qu'ils avaient chargés de liquider le fils de Barbe-Rouge ont été retrouvés morts. Aucun survivant. Éric a disparu sans laisser de trace. L'un de ses lieutenants est d'avis qu'il faut renoncer, et rembarquer ; il y a en effet un risque que le Faucon noir se fasse repérer. Mais Morales choisit d'ignorer cet avertissement, car il estime que laisser Éric vivant et derrière eux est bien plus dangereux. Au même instant, ce dernier et ses deux amis tiennent conseil... 

Avec "L'Île de l'Homme mort", Charlier produit à nouveau un excellent roman (dessiné) de piraterie et d'aventures. Le scénariste y intègre toutes les facettes du genre, dont la course-poursuite à travers les océans. Même si elle s'inscrit en filigrane pendant la majeure partie de l'album, elle occupe constamment les pensées du lecteur. Bien sûr, il y a l'expédition elle-même, durant laquelle Éric et ses marins seront malmenés par les éléments ; l'absence de vent et les algues dans la mer des Sargasses, puis la Terre de feu et le tristement célèbre cap Horn. L'équipage sera particulièrement affecté par ce voyage terrible, et il est intéressant de suivre l'évolution de son comportement à l'égard du commandement (composé d'Éric, Triple-Patte, Baba et Casse-Trogne) lors des épreuves les plus difficiles, ainsi que la manière dont Charlier gère celui-ci en tant qu'auteur chevronné. Il y a, dans toute intrigue de ce genre, une séquence qui se déroule à terre tôt ou tard ; celle-ci, avec les naufrageurs et les Fuégiens, n'est pas la moins étonnante de l'album ; elle confirme surtout les efforts de Charlier pour se documenter et donc son professionnalisme. Enfin, il y a surtout l'énigme du trésor : elle répond aux exigences en la matière, puisqu'elle est aussi retorse que le lecteur pouvait l'espérer. Charlier en profite pour intégrer ici quelques rebondissements bien pensés. L'un des éléments les plus étonnants du volume est peut-être le caractère d'Éric, qui s'est fortement durci depuis le tome précédent ; la conséquence de ses déconvenues récentes ? "L'Île de l'Homme mort" s'articule sans invraisemblance majeure, dans une écriture maîtrisée (les cartouches narratifs sont très denses). La trame suit une linéarité qui n'est nullement ressentie, tant le récit est captivant. Cela dit, il semble manifeste que le scénariste a coupé une partie de l'histoire pour respecter le nombre de pages, car l'affrontement final, tant attendu depuis le début de l'album, s'étale sur à peine une planche et demie. 
Le style de Hubinon est fidèle au canon de la bande dessinée franco-belge classique et réaliste des années soixante, ce depuis le démarrage de la série (il en dessinera dix-huit volumes), pas d'évolution ici. Le quadrillage consiste en quatre bandes horizontales comportant un maximum de trois cases dont certaines occupent çà et là la hauteur de deux bandes : Hubinon les utilise principalement pour mettre en évidence les navires. Le niveau de détail et le soin apporté aux décors (surtout à ces côtes escarpées) et aux arrière-plans sont toujours satisfaisants. Le combat de la conclusion souffre, en plus de sa brièveté, d'un quadrillage bien trop étriqué. 

Conçu pour exploiter toutes les facettes de la fiction d'aventures maritimes, "L'Île de l'Homme mort" n'a qu'une seule faiblesse, celle d'être chiche en action lors de son dénouement. Charlier prouve néanmoins à nouveau qu'il est un conteur d'exception. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Je me demande si c'est Hubinon qui a réalisé la couverture, ou un artiste différent. Ce n'est pas évident qu'un dessinateur maîtrise également l'illustration en peinture.

    Il semble manifeste que le scénariste a coupé une partie de l'histoire pour respecter le nombre de pages : c'est rigolo de se dire que Charlier pouvait écrire au fil de l'eau sans s'inquiéter plus que ça de la pagination limitée et de devoir couper court au récit.

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    1. L'artiste de couverture n'est pas Hubinon, mais le Francilien Yves Thos : https://www.bedetheque.com/auteur-15602-BD-Thos-Yves.html

      Je ne peux pas te répondre. Pour moi, Charlier a forcément dû expédier le dénouement. En fin de compte, il s'est peut-être dit que ce n'était pas que ça, son histoire, mais plutôt tout le reste, c''est-à-dire le voyage, les éléments déchaînés, et l'énigme du trésor de Morgan.

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