"Le Sursis" est un diptyque de bande dessinée dont cet album - sobrement intitulé "Seconde Partie" - est le deuxième tome. Il est sorti en septembre 1999 chez Dupuis dans la collection "Aire libre" de l'éditeur. C'est un album couleur relié au format 24,0 × 31,0 centimètres comptant cinquante-quatre planches.
Cet ouvrage a été entièrement réalisé par le Parisien Jean-Pierre Gibrat : scénario et texte, dessins, et mise en couleurs. Il est aussi célèbre pour "Le Vol du corbeau" et sa série "Mattéo". Le premier tome du "Sursis" a valu à son auteur le prix 1998 des libraires de bande dessinée (anciennement Prix Canal BD).
À l'issue du tome précédent, tenaillé par le doute, Julien se rend au domicile de Cécile en pleine nuit ; la mort dans l'âme, il reconnaît la voiture de Paul, stationnée devant la propriété.
À Cambeyrac, le matin du 1er janvier 1944. Cécile sort de sa maison et traverse la cour enneigée. Elle s'indigne gentiment, car Jamilou a encore dormi dans la grange. Il finira par y mettre le feu ! Elle ouvre la double porte et regarde prudemment à l'intérieur. Elle appelle Jamilou ; aucune réponse. Elle grimpe à l'échelle afin d'examiner la partie supérieure de la grange et distingue une forme, recroquevillée dans la paille. Elle gronde doucement : si Jamilou reste là et que Serge le voit, il va se faire tirer les oreilles. Mais c'est Julien qui se retourne, en plaisantant. Cécile est estomaquée et frappée de stupeur. Ce n'est pas possible, Julien est mort ! Elle lui demande des explications une fois qu'elle a repris ses esprits. Mais Julien n'en a pas envie, car son histoire est fort longue. Il avoue néanmoins avoir passé la nuit là. Il a sans doute attrapé la crève. Cécile touche son front, il est brûlant. Elle va prévenir Paul. Julien est réticent, mais tient à peine debout. Il lui faut un médecin. Et puis, elle a toute confiance en Paul. Julien se résigne alors...
Suite et fin de ce diptyque, dont il est indispensable de se rappeler les événements du premier numéro. Cette "Seconde Partie", c'est avant tout celle des retrouvailles entre Julien et Cécile. Ce moment tant attendu - qui est au centre de tout, au fond - est une réussite ; de l'émotion, mais sans surenchère. Les dix premières planches narrent le bonheur de Julien. Gibrat livre là des pages simples dans une atmosphère intime et douillette, celle d'un garçon soigné par l'élue de son cœur. Le spectre de la guerre est plus loin que jamais ; la seule contrainte de nos tourtereaux est de ne pas réveiller Manou, la grand-mère de Cécile. Mais nous sommes en 1944 : les jours du Troisième Reich sont comptés. À l'Est, l'Armée rouge enchaîne les victoires. En Italie, les Alliés débarquent en Sicile l'année précédente. Le régime fasciste tombe le même mois. Gibrat transcrit l'effet des événements sur les collaborateurs locaux, qui deviennent de plus en plus nerveux. Il montre également que les opérations de la Résistance gagnent en audace à défaut d'être véritablement efficaces. Sur son petit nuage, Julien prend tout cela avec le flegme - faut-il parler de détachement ? - et l'humour qui le caractérisent. D'un point de vue narratif, ce passage assez long parle d'amour autant que d'amitié. Il s'étale sur une trentaine de planches, et comprend donc quelques longueurs, malgré les efforts de l'auteur pour insuffler un minimum de rythme ; peut-être est-ce une ruse du scénariste pour préparer le lecteur à l'acte final du diptyque. Les sympathies communistes de Gibrat sont à nouveau évoquées, au risque de lasser une partie du lectorat ; mais encore une fois, il a la délicatesse de présenter son propos avec humour. Difficile de ne pas parler des onze dernières planches, dans lesquelles Gibrat met tout en place dans une linéarité implacable et un dénouement inéluctable. Les trois dernières compensent les petites faiblesses ou longueurs des parties précédentes ; elles marqueront durablement le lecteur.
La partie graphique réaliste et alimentée d'un souci d'exactitude historique contribue au couronnement de ce récit. Il y a là des vieilles bâtisses, des paysages enneigés à l'aube ; la chambre de Cécile ou la cuisine d'Angèle, avec leurs meubles et leurs objets de la vie quotidienne ; les routes et les ponts du Lot ; la Simca 5 de Paul et la Citroën Traction Avant, et les caches sur les phares, ou encore cette imposante locomotive à vapeur ; le sens de la perspective ; les détails des costumes, les bijoux (le pendentif croix que Cécile porte à son cou, par exemple) ; et aussi le travail sur les ombres et la lumière. La palette de tons, enfin, est absolument irréprochable.
Voici le dénouement brillant de la chronique d'un amour dans la France occupée. Elle pâtit de petites longueurs, mais sa conclusion est un choc. Quatre étoiles pour ce volume, et cinq pour le diptyque. "Le Vol du corbeau" est considéré comme la suite.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Effectivement le tome 2 n'a pas tardé. :)
RépondreSupprimerJ'apprécie beaucoup le paragraphe consacré à la partie graphique : j'avais l'impression de voir les images en partie, de pouvoir me faire une bonne de la qualité de la reconstitution historique (les voitures, les objets du quotidien, les paysages).
Je note également, par rapport à un échange précédent, que la linéarité du récit n'obère pas son intérêt. Les différents angles de ton analyse me donne l'impression que l'auteur a réalisé un vrai roman où ni la période, ni le lieu ne sont interchangeables avec d'autres, que les événements et les personnages sont intriqués dans les circonstances historiques, avec un avis personnel découlant des convictions de l'auteur.
"Un vrai roman" : c'est très vrai, oui. "Les circonstances historiques" : D'après l'article Wikipédia qui lui est consacré, Gibrat était brillant en histoire au lycée. Certes, ça ne fait pas de lui un historien légitime, mais le souci d'une certaine exactitude est perceptible, et cela m'étonnerait beaucoup que le gaillard n'ait pas fait de recherches, car il y a un sens du détail qui ne trompe pas (par exemple, les fameux caches sur les feux des voitures). Ses convictions, je m'en serais sans doute bien passé, mais je reconnais volontiers que sans elles, "Le Sursis" n'aurait certainement pas été le même.
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