mardi 26 octobre 2021

Batman : "Empereur Pingouin" (Urban Comics ; février 2017)

Publié en février 2017 chez Urban Comics, dans la collection "DC Renaissance" de l'éditeur, "Empereur Pingouin" présente un récit (presque) complet, conçu pour la franchise Batman. C'est un recueil au format 17,5 × 26,5 centimètres à la couverture cartonnée (relié) de deux cent quatre-vingts planches, approximativement ; il comprend les versions françaises des "Detective Comics" #13-21, parus entre décembre 2012 et août 2013 en version originale
Tous les numéros - compléments inclus - sont écrits par John Layman ; principalement connu pour "Chew" (chez Image Comics), il a déjà œuvré pour plusieurs éditeurs et titres. Le Canadien Jason Fabok est le dessinateur attitré de l'histoire principale. Il encre son propre travail. Le #21 est dessiné par Scot Eaton et encré par Jaime MendozaJeromy Cox compose les mises en couleur. Les récits de complément ont été confiés au Britannique Andy Clarke, qui encre ses propres planches aussi ; Blond compose ses mises en couleurs. Le Suédois Henrik Jonsson (avec Sandu Florea) et Jason Masters dessinent chacun un complément, avec des mises en couleur du Colombien Juancho Velez et, enfin, de Brett R. Smith

Mardi, la société d'orthodontie de Gotham City a reçu un don de 350 000 dollars de la part de Bruce Wayne ; le vendredi qui suit, Batman ne culpabilise donc aucunement lorsqu'il démolit les dents d'un malfaiteur. Ce jeudi, la Fondation Wayne a remboursé les prêts étudiants de six chirurgiens orthopédistes, frais émoulus ; Batman peut bien briser les os de quelques gangsters. Cette nuit, il y en aura sans doute beaucoup d'autres, d'ailleurs. Le justicier commande au Batplane de définir un trajet automatique pour le quartier de Robbinsville. Alfred lui demande alors s'il faut lui rappeler le programme de la soirée de Bruce Wayne : l'inauguration de la nouvelle aile du foyer municipal dédiée aux enfants, l'aile Martha Wayne. Wayne rassure le majordome, il n'a pas l'intention d'oublier cet événement, rien ni personne ne lui barrera la route... 

"Empereur Pingouin" s'inscrit dans la "Renaissance DC". Ce récit est presque complet. Si l'intrigue principale a une conclusion, la dernière secondaire n'en a pas. Pour la connaître, il faut lire "Jours de colère", la suite chronologique directe des épisodes de cet album. C'est à peine si "Empereur Pingouin" pâtit des événements éditoriaux des séries de la franchise Batman ; c'est toujours un défi pour un scénariste de minimiser leur ingérence dans son propre travail, mais là, Layman y parvient assez bien et il n'y a que peu de déchet, en fin de compte, d'autant que l'auteur écrit au minimum un complément par numéro afin d'y planter de nouvelles histoires secondaires. L'album conte une rivalité entre gangsters, plutôt classique, dans laquelle un bras droit ambitieux, connaissant tous les rouages de l'organisation dont il est membre et estimant que son heure est venue, aspire à s'emparer du trône en faisant chuter le parrain. Une idée intéressante, qui part du principe selon lequel les super-criminels peuvent aussi avoir dans leurs troupes des adversaires tels des charognards, à l'affût de la moindre faiblesse. L'atmosphère est résolument sombre et urbaine, en phase avec la tonalité du titre "Detective Comics" : passages à tabac, suicide, meurtres, et autres scènes-chocs. "Empereur Pingouin" présente d'importants défauts. D'abord, Layman met Gotham City à feu et à sang, sans aucune nuance, l'une des grandes tendances de la "Renaissance DC" ; la malheureuse ville est tellement martyrisée, que le lecteur circonspect se demandera qui est encore assez fou pour y habiter. Ensuite, Layman emploie un mécanisme vu, revu, et éculé depuis les années quatre-vingt-dix, celui d'une nouvelle génération plus brutale, plus violente. Mais depuis, Ignatius Ogilvy a rejoint les cohortes de ces nouveaux personnages voués à l'oubli. 
Fabok évolue dans un registre qui pourra être qualifié de classico-réaliste (l'influence de David Finch est très perceptible). Si la figuration de l'émotion n'est sans doute pas son point fort, il faut reconnaître à l'artiste une belle endurance, car il enchaîne huit numéros soignés, d'une vingtaine de pages chacun, dont il encre lui-même les planches. Le découpage de l'action est limpide et la densité de détails est plus que satisfaisante. Des qualités qui, combinées, forcent le respect. Le lecteur jouit ainsi d'une agréable homogénéité graphique tout du long. Notons aussi que Fabok privilégie souvent un quadrillage 16/9e afin d'obtenir un rendu cinématographique. Clarke ne démérite pas non plus. Son style est peut-être encore plus réaliste, plus varié que celui de Fabok ; constitué d'une multitude de légères hachures, son encrage peut déranger. Malgré cela et les répétitions des physionomies, le talent de Clark est indéniable ; son sens de l'expressivité, de plus, compense pour celui de Fabok. 
Thomas Davier signe la traduction. Le texte est vierge de fautes, rien qu'une coquille et une onomatopée non traduite ("koff"). Sa version est trop littérale et il y a des inexactitudes (on dira "chirurgiens orthopédistes", pas "chirurgiens orthopédiques"). 

"Empereur Pingouin" n'est pas inoubliable, mais cette chronique d'une prise de pouvoir au sein de la pègre costumée a pour intérêt - en plus de la partie graphique - de revenir sur d'autres super-vilains, à une époque où le Joker monopolisait l'attention. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

2 commentaires:

  1. Je suis en phase avec la plupart des caractéristiques que tu relèves : Empereur Pingouin pâtit à peine des événements éditoriaux, Gotham City à feu et à sang, sans aucune nuance, Ignatius Ogilvy a rejoint les cohortes de ces nouveaux personnages voués à l'oubli, l'influence de David Finch.

    Ce tome peut déconcerter le lecteur par sa construction alambiquée, obligée d'intégrer l'existence du crossover Death of the family, tout en n'y participant pas vraiment. À condition d'accepter que toutes les réponses ne viennent pas tout de suite (je cherche encore les conséquences du fait que les Ghost Dragons n'annulent jamais un contrat), le lecteur plonge dans le quotidien mouvementé et brutal de Batman, peuplé de criminels dérangés et originaux.

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  2. Tiens, c'est bien vu, ça, le coup des Ghost Dragons. Je suis parti du principe que leur chef avait été tué par le Pingouin et que ça avait suffi pour mettre fin à l'activité du groupe, mais je suis peut-être passé à côté de quelque chose.

    J'avais lu ces épisodes en kiosque à leur sortie dans "Batman Saga" ; je dois reconnaître qu'ils m'avaient bien plus marqué à l'époque. Au départ, à ma première lecture en album, j'étais parti pour deux étoiles. Mais le bel effort de Fabok (dessin ET encrage) et sa régularité m'ont convaincu de pousser jusqu'à trois.

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