jeudi 25 novembre 2021

Barbe-Rouge (tome 9) : "La Fin du Faucon noir" (Dargaud ; juillet 1969)

Créée en 1959 par les Liégeois Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979), "Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie ayant pour cadre le règne de Louis XV. Cette série a un historique de publication confus, entre redécoupages des récits pour les albums ou changements d'éditeurs. Elle est prépubliée entre octobre 1959 et juillet 1968 dans "Pilote". Les histoires postérieures sortent directement en volumes, la série retrouve ensuite le format magazine avec "Super As" en 1979. "Barbe-Rouge" survit aux morts de Hubinon et de Charlier, et, en 2020, une relance du titre voit le jour chez Dargaud, "Les Nouvelles Aventures de Barbe-Rouge"
"La Fin du Faucon noir" est le neuvième volet des trente-cinq du titre ; c'est un ouvrage grand format (22,6 × 29,8 cm), à la couverture cartonnée, qui comprend quarante-six planches. Charlier en a écrit le scénario et les dialogues et Hubinon en a composé les dessins, l'encrage, et la mise en couleur, a priori

À l'issue du tome précédent, Éric et ses marins s'évadent, avec la complicité de Doña Inés ; ils reprennent la Marie Galante, puis quittent la cité de Carthagène, sous le nez des Espagnols. 
Tandis que le Ghost, un cotrerentre à la base de Barbe-Rouge en mer des Caraïbes, le chef des pirates écoute les rapports de ses lieutenants dans la caverne des trésors. Il laisse éclater sa colère : si jamais "ces damnés Espagnols" ont osé toucher à un seul cheveu de son fils, il jure de leur faire "regretter avec des larmes de sang". L'un des seconds implore sa patience, ce ne sont que de vagues rumeurs, ou des ragots, "colportés dans les ports des Antilles", peut-être sans fondement ! Barbe-Rouge ne dérage pas. Ça les arrangerait, hein ?... Parce qu'ils sont conscients que si Éric est prisonnier, leur capitaine ira le chercher, quoi qu'il en coûte, "jusqu'aux tréfonds de l'enfer !"... 

Suite et fin du diptyque ; après un premier volet très inspiré, il est évident que les attentes du lecteur sont élevées, surtout en matière d'action et de grand spectacle. Charlier n'y répond pourtant pas pleinement malgré les qualités de cette conclusion. D'abord, il y a là quelques digressions qui auraient pu être évitées, notamment les mésaventures de Baba, même si elles donnent l'occasion d'attirer l'attention du lecteur - de façon vraiment surfacique - sur les traites négrières. Mais surtout, Charlier privilégie la tension et le suspense aux canonnades, fusillades, et autres explosions. Voilà un récit dans lequel il y a beaucoup de déplacements ; c'est peut-être ce qui marquera le plus le lecteur. Barbe-Rouge part pour Carthagène à bord du Faucon noir tandis qu'Éric, commandant la Marie Galante, file vers le lagon secret des pirates et doit ensuite voguer à marche forcée vers Carthagène avant un énième voyage ! En outre, certains éléments du scénario ne sont pas totalement convaincants. Il y en a deux, notamment, qui sont peu crédibles, le rôle des inquisiteurs (faut-il voir ici une volonté de Charlier de brocarder cette frange-là du clergé ?) et le choix final de Doña Inés, qui n'a décidément peur ni du discrédit ni de l'opprobre ! D'aucuns regretteront également la façon dont les pendaisons sont expédiées, ou plutôt la grande, trop grande pudeur dont elles sont marquées, les privant ainsi de leur faculté d'émouvoir ; par peur de la loi du 16 juillet 1949 ? Quoi qu'il en soit, le feu d'artifice tant espéré n'a pas vraiment lieu. Ces faiblesses n'occultent pas les qualités de l'album. Charlier souligne d'abord la force des liens qui unissent Barbe-Rouge et son fils avec tout le potentiel dramatique que cela offre. Avec les hidalgos, l'auteur a ensuite de quoi créer pour des ennemis jurés, des vrais, ce qui manquait un peu à la série. Le lecteur salive à l'idée des retrouvailles. Mais surtout il y a là huit planches phénoménales de l'infiltration de Barbe-Rouge dans Carthagène : d'une implacable narration au couteau, elles sont étourdissantes de suspense, et démontrent une maîtrise totale de la mise en scène. Elles valent la lecture rien qu'à elles. Enfin, ce volet se clôt sur une promesse intrigante et intéressante, même si - et le lecteur le sait déjà, sans doute - les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. 
Le lecteur est ravi de voir que la mise en couleur est réussie et que le voile crasseux présent dans quelques-uns des tomes précédents a disparu. Hubinon présente une partie graphique léchée, admirable ouvrage d'orfèvre malgré les faiblesses récurrentes (le manque de diversité des physionomies, les visages parfois figés). Le soin des compositions (avec de belles perspectives) et la densité élevée de détails (les navires, la surface de la mer, les costumes, et les accessoires variés), le découpage clair (la lisibilité des actions est d'une qualité irréprochable), le quadrillage traditionnel en trois ou quatre bandes encadrées par des gouttières blanches, autant d'éléments qui caractérisent le style réaliste et classique de ce dessinateur minutieux au faîte de son art (il est âgé de près de quarante-cinq ans à l'époque). 

Bien que les attentes du lecteur ne soient pas entièrement comblées, Charlier surprend celui-ci en proposant une conclusion qui joue la ruse plutôt que l'affrontement brut ; quatre étoiles pour cet album, mais cinq pour le diptyque dans son ensemble. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Tu passes de 5 étoiles à 4, rien de déshonorant, comme tu l'écris.

    Après un premier volet très inspiré, il est évident que les attentes du lecteur sont élevées : c'est un constat que je fais souvent en ce qui e concerne, j'ai du mal à accepter qu'un tome 2 ne soit pas au moins aussi bon que le premier.

    Charlier privilégie la tension et le suspense aux canonnades, fusillades, et autres explosions : pas facile effectivement de faire abstraction de ses attentes quand l'auteur a décidé de modifier le dosage de ses ingrédients, ça ne correspond aux attentes qu'il a généré avec le 1er tome.

    Voilà un récit dans lequel il y a beaucoup de déplacements : c'est une question que je me pose parfois en lisant des récits se déroulant à une époque avant celle de l'automobile, c'est-à-dire le temps des déplacements, leur importance dans la vie d'un individu un peu voyageur, la différence de rythme de vie que cela induisait.

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    1. Oui, c'est pour ça que j'attribue cinq étoiles au diptyque. À peine la lecture du premier volet terminée, je me suis imaginé à quoi pourrait ressembler le second ; c'est humain. D'où ce décalage de note entre les deux.

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