Publié en mai 2017 chez Urban Comics, dans la collection "DC Deluxe" de l'éditeur, "Cité brisée et autres histoires" est un recueil d'histoires écrites pour la franchise Batman. C'est un album au format 19,0 × 28,5 centimètres relié - à la couverture cartonnée - d'environ deux cent trente planches, qui contient les versions françaises : d'un récit en noir et blanc extrait du "Batman: Gotham Knights" #8 (d'octobre 2000 pour la version originale), des "Batman" #620-625 (décembre 2003 à mai 2004), formant l'arc "Broken City" (c'est le titre de ce livre), d'une histoire tirée des "Wednesday Comics" #1-12 (juillet à septembre 2009), et des "Flashpoint: Batman Knight of Vengeance" #1-3, d'août à octobre 2011, enfin.
La particularité de l'album est que tous les récits sont signés par le scénariste Brian Azzarello (cf. "Lex Luthor", "Joker", "Wonder Woman"), le dessinateur argentin Eduardo Risso, et la coloriste new yorkaise Patricia Mulvihill ; il est à noter que ce trio-là avait déjà œuvré sur "100 Bullets". Risso encre ses planches lui-même.
Gotham City. Un salon circulaire au sommet d'une vieille bâtisse. Trois cadavres de membres de gang y gisent dans leur sang. Il y a de l'hémoglobine partout : sur le mur, les marches de l'escalier, et au sol. La petite pièce est sens dessus dessous. Victor Zsasz, torse nu, vêtu d'un simple pantalon, regarde la pluie tomber par la fenêtre. Batman lui demande pourquoi ; pourquoi il a fait ça. Le Chevalier noir désire savoir. Zsasz est réticent ; pour quelle raison lui répondrait-il ? Le justicier ne pourrait pas comprendre ; c'est personnel. Batman insiste. Les connaissait-il ? Avait-il une raison de leur en vouloir ? Zsasz balaie les questions avec mépris. Il avait raison, Batman ne peut pas comprendre. Examinant la scène de la tuerie, Batman se dit que tout cela est dénué de sens. Mais pour le meurtrier, il y en a un. À nouveau, Batman lui demande de s'expliquer. Zsasz cède. Oui, il les a connus, "pendant un bref instant d'intimité" ; Batman ne pourra jamais ressentir cela...
Quatre histoires. La première, "Cicatrices", est la seule en noir et blanc. Autant l'affirmer sans ambages, elle repose sur de la psychologie de comptoir et des dialogues poussifs et sa chute banale est sans intérêt. Dans le récit principal, "Cité brisée", Batman mène l'enquête sur une affaire de meurtre dans laquelle les rebondissements incessants - et pas toujours convaincants - sont pour le moins indigestes, voire invraisemblables, comme, par exemple, ce double assassinat en pleine rue qui n'a aucun sens. Les dialogues manquent de naturel et paraîtront convenus. Dans des pages vues et revues, Azzarello s'épanche pesamment sur le traumatisme qui a créé Batman. Enfin, son utilisation du Joker pourra susciter le scepticisme du lecteur, car la participation du Clown prince du Crime à tout cela n'a ni queue ni tête. Les créations de super-vilains - Fatman et Little Boy - ne soulèveront pas l'enthousiasme d'autant qu'ils ont depuis rejoint la cohorte des personnages voués à l'oubli. Mais malgré toutes ces lourdeurs et l'absence de rythme, Azzarello a des idées. Batman, dans "Cité brisée", est terriblement seul : ni Alfred ni Robin, pas de commissaire Gordon non plus. Le justicier est presque sans allié (sauf le lieutenant de police Crispus Allen), livré à lui-même et en tête-à-tête avec ses soliloques. Cela ne l'empêche pas de montrer de l'humour, en témoigne la scène de la pincette. Cette impression de solitude accablante est accentuée par les rues de Gotham : sombres, désertes, et sinistres. C'est l'une des marques de fabrique du tandem Azzarello-Risso : le lecteur voit surtout les bourreaux et leurs victimes. Mais tout n'est pas non plus vide de figurants, il y a le commissariat de Gotham et la boîte de nuit, où élite et pègre se côtoient. Enfin, si "Haute Pègre" est prévisible, "Flashpoint" est en revanche le récit le plus original et le plus novateur ; une relecture du mythe vraiment prenante et intéressante, bien que la noirceur absolue qui s'en dégage ne laisse pas le lecteur indifférent.
Risso est l'un des dessinateurs dont le coup de crayon se prête le mieux au genre noir, et le registre semi-réaliste à l'expressivité outrée dans lequel il évolue y est pour beaucoup. Risso est doté de la faculté pas toujours fréquente d'intégrer pleinement une ville dans un récit et son ambiance, façades inquiétantes, bâtiments lugubres, ruelles sombres, le tout dans des perspectives très variées. Retenons également son encrage, constitué de copieux aplats de noir disséminés avec habileté, ainsi que le quadrillage très diversifié structuré par des gouttières noires afin de renforcer l'atmosphère de cette histoire glauque. Quant à la coloriste Mulvihill, son art lui permet d'appliquer les contrastes nécessaires et d'employer les teintes appropriées sans faute de goût. Voilà une partie graphique qui compense une intrigue bancale.
Selon l'histoire, la traduction a été confiée à Jérôme Wicky, Edmond Tourriol, Thomas Davier, ou Alex Nikolavitch. Dans l'ensemble, leur travail est satisfaisant ; notons une onomatopée non traduite ("koff"), et une concordance de temps non respectée.
Azzarello et Risso nous livrent une série d'exercices de style - ils utilisent abondamment les codes du film noir - qui passionneront difficilement le lecteur, hélas ; peut-être à cause de l'absence générale de cadence et d'intrigues franchement poussives.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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Je n'ai lu qu'une seule de ces quatre histoires, celle intitulée Broken City.
RépondreSupprimerCicatrices : je présume qu'il s'agit d'une histoire courte ?
Citée brisée : je suis allé regarder sur amazon, je l'avais lu en 2009. Mes commentaires étaient beaucoup plus courts à l'époque. Broken City constitue un roman policier noir, faisant penser à Dashiell Hammett, qui tient la route tant sur le plan du scénario, que des dessins. Le seul point déconcertant réside dans le fait que Batman n'est peut être pas entièrement à sa place dans ce rôle de Sam Spade.
Je n'ai lu ni Haute pègre (ma curiosité ne m'avait poussé à acheter Wednesday Comics), ni Batman Flashpoint.
J'ai beaucoup aimé ton paragraphe sur les caractéristiques des planches d'Eduardo Risso, où j'ai bien ressenti les sensations qu'elles font naître en moi.
Merci pour cette présentation qui me conforte dans l'idée de ne pas investir dans la version VO de ce recueil.
"Cicatrices" compte huit planches.
SupprimerJe ne te cacherai pas que cet album a été une semi-déception. Avec le recul, j'en ai déduit que j'aimais peu Azzarello dans les récits de super-héros ; il est certainement bien meilleur dans des récits du type "100 Bullets", que j'avais d'ailleurs commencé, mais pas continué. Il n'y a que son "Lex Luthor" que j'apprécie vraiment.