"Joker" est un album cartonné (format 18,5 × 28,2 centimètres) d'approximativement cent trente planches (sans la douzaine de pages de bonus, surtout des recherches en noir et blanc), paru dans la collection DC Deluxe d'Urban Comics en novembre 2013. C'est l'adaptation française du "graphic novel" publié chez DC Comics en octobre 2008. L'œuvre était sortie dans la collection DC Icons de Panini Comics, en février 2009. C'est donc une réédition.
"Joker" a été réalisé par le scénariste Brian Azzarello et le dessinateur Lee Bermejo. Mick Gray participe à l'encrage. La mise en couleur a été confiée à Patricia Mulvihill. Azzarello et Bermejo avaient déjà travaillé ensemble sur "Lex Luthor" (2005). Outre "100 Bullets", Azzarello a aussi été scénariste de "Superman: For Tomorrow" (2005) et de la série "Wonder Woman" (2012-2014). Bermejo, lui, a produit l'album "Batman: Noël", en solo (en 2011).
En ville, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre, voire comme une épidémie. Elle circule du trottoir aux clubs, en passant par les arrière-salles : le Joker est sur le point de sortir de l'asile Arkham. Pour les médecins, il n'est plus malade. Dans une boîte, le Grin and Bare It, deux malfrats qui flirtent avec la cinquantaine sont installés au bar, tournant le dos à la scène sur laquelle se déhanchent et se déshabillent trois danseuses. Le premier, alors que le barman lui ressert un verre de gnôle, déclare à l'autre, Monty, qu'il faut envoyer quelqu'un aller "le" chercher. Monty demande, méfiant, à qui échoira cette tâche. Un troisième gangster plus jeune, vêtu de blanc, affirme que si personne n'a le courage d'y aller, ce sera lui, Jonny Frost, qui s'en chargera. Aussi surpris qu'amusé, Monty lui jette le jeu de clés d'une voiture. Quelques instants plus tard, Frost attend, son coupé stationné devant la grille de l'institut psychiatrique. Un autre véhicule est garé un peu plus loin, à distance. Le portail s'ouvre, une ombre émerge des brumes du soir. Le Joker est libre...
"Joker" est un récit complet en dehors de la Continuité DC Comics. La relecture du personnage et de l'univers de Gotham City est réaliste, cinématographique ; il est d'ailleurs probable que "Joker" ait influencé Christopher Nolan pour "The Dark Knight" (2008). Azzarello et Bermejo appliquent leur traitement à la galerie de super-vilains du monde de Batman, et offrent une version très noire de ces malfrats. Le Joker, d'abord, dont l'ambition est de reprendre le contrôle de ses opérations illégales. Toujours aussi meurtrier, il manie la plaisanterie sinistre, mais point de gaz hilarant, de pièges ou de bombes, ici ; simplement des hommes de main et de l'artillerie. Le scénariste - et c'est son choix - en fait un sociopathe sadique et cruel, plus proche d'une certaine réalité, mais finalement éloigné de l'essence du Clown prince du Crime. Harley Quinn n'est plus psychiatre, mais strip-teaseuse. Elle ne prononce pas la moindre parole du récit, ne laissant au lecteur qu'une grille d'analyse très rudimentaire. Inquiétante de par son mutisme, elle n'hésite pas à faire parler la poudre et à encourager l'appétit de son chéri pour les pilules. Killer-Croc, affublé comme un rappeur, impressionne ; Azzarello insiste sur son goût de la chair dans plusieurs scènes (le crâne dans la marmite...). Le Sphinx, modernisé par une dose bienvenue de charisme et d'originalité, n'est pas suffisamment exploité. Le Pingouin (dédaigneusement surnommé "Abner" par le Joker) et Double-Face sont égaux à eux-mêmes. L'auteur implique que la psychopathie est une maladie inhérente à la société et à l'homme. Cette intrigue de gangsters est structurée linéairement, et animée par des dialogues à l'inspiration irrégulière ; le dénouement est prévisible, mais se fait attendre. Et puis, il y a la partie graphique. Le travail de Bermejo est remarquable. Le dessinateur n'utilise presque aucun trait courbe, mais une succession de segments rectilignes plus ou moins longs, qui, les uns connectés aux autres, donnent vie à des compositions expressives, et pleines de caractère. C'est évident lorsque Gray encre, mais plus fini, plus proche de la peinture lorsque c'est Bermejo. Le réalisme noir du style de l'artiste convient à merveille à l'atmosphère de ce récit.
La traduction d'Alex Nikolavitch est très satisfaisante ; son texte, soigné, ne contient ni faute ni coquille. La maquette est impeccable. Les bonus sont bienvenus, sauf cet hommage à Bill Watterson extrait du "Superman/Batman" #75 (2010), hors sujet.
"Joker" métamorphose les super-vilains en gangsters qui s'affrontent pour des territoires, recouvrant ainsi Gotham City d'une méchante couche de crudité. Azzarello, hélas, semble confondre cruauté (gratuite) et folie ; il reste les dessins de Bermejo.
J'avais éprouvé le même ressenti que toi à la lecture de cette histoire : des gangsters plus violents que la normale, pour un polar basique. Bermejo & Azzarello ont trop bien réussi à dépeindre le Joker comme un simple criminel au sadisme imprévisible. Toute la mystique du personnage s'est envolée, il n'a plus rien de surnaturel, il n'est plus surréel, il est juste humain, vicieux et ordinaire.
RépondreSupprimerJ'avais choisi d'ignorer cet album à sa sortie ; finalement, j'ai décidé de l'ajouter à mes lectures. J'avais trouvé leur "Lex Luthor" nettement plus intéressant.
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