"Saint-Exupéry : Le Dernier Vol" est une bande dessinée biographique qui a pour sujet l'aviateur et écrivain français Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944). Cet album format 230 × 305 mm à couverture cartonnée avec jaquette amovible contient un récit complet de soixante planches en couleurs, sorti chez Casterman en 1995. En préface : une biographie de treize pages, par l'historien et éditeur Frédéric d'Agay. Il fut, de 1987 à 2001, le gérant de la société civile pour l'œuvre et la mémoire de Saint-Exupéry et géra, à ce titre, tous ses droits et son œuvre.
"Saint-Exupéry : Le Dernier Vol" a été entièrement réalisé par l'Italien Hugo Pratt (1927-1995), le dessin, l'encrage ainsi que la mise en couleur ; cela fut son avant-dernier album complet.
Lundi 31 juillet 1944. Il est 11h54. Perché à 6 500 mètres d'altitude, un F-5B-1-LO (une variante du P-38 "Lightning", conçue pour la reconnaissance aérienne) immatriculé nº268223 survole Castellane en direction de la Méditerranée. Aux commandes de cet appareil, le commandant Antoine de Saint-Exupéry, de l'escadron de reconnaissance 2/33 Savoie. Il passe ensuite au-dessus de Cabris, où habite sa mère. Il réalise qu'il ne l'a pas vue depuis le mois de décembre 1940, et récite un texte de sa composition à son intention. Dans quelques minutes il va survoler Agay, c'est là où il a épousé Consuelo Suncín Sandoval. Le ciel est clair. Il pense au petit prince, qu'il a rencontré précisément là, mais il ne sait "plus bien quand". Le pilote, soudain, croit avoir la berlue. Assis sur une chaise posée sur un nuage, le petit prince apparaît et l'interpelle : Antoine est-il venu ici pour les couchers de soleil ? Saint-Exupéry demande la raison de sa présence ; le garçon veut qu'il lui redessine un mouton. Saint-Exupéry lui en a déjà dessiné un, mais il est parti "avec une étoile" ; Antoine veut des explications, mais l'enfant part. La radio grésille. C'est sa base de Bastia-Borgo qui le contacte...
La prose de la biographie signée par Agay n'est pas des plus digestes, mais il est nécessaire de s'y immerger afin de mieux comprendre les événements choisis par Pratt dans l'œuvre biographique qu'il consacre à Saint-Exupéry, l'écrivain-pilote. Il y a des idées intéressantes, dans cet album ; d'abord, la période qu'il couvre. La première planche indique qu'il est 11h54, et il est 12h06 la dernière fois que l'heure est mentionnée : l'histoire se déroule donc sur une durée d'une douzaine de minutes. Il s'agit des tout derniers moments de la vie de Saint-Exupéry. Pratt revient sur les grandes figures et les événements marquants de la vie de celui-ci ; l'écrivain étant amené à mourir - sans qu'il semble le réaliser - d'une minute à l'autre, c'est comme si Pratt illustrait l'expression "voir sa vie défiler devant ses yeux", d'une certaine façon. C'est le souvenir - très fugace - de cette mère qu'il a tant aimée ; celui de Consuelo, la femme qu'il a épousée et celui de leur première rencontre ; le petit prince ("Le Petit Prince", publié en 1943), bien sûr ; l'aventure de l'aéropostale en Amérique latine - où il retrouvera Jean Mermoz (1901-1936) - et au cap Juby, au Maroc ; l'accident du désert de Libye (dans la nuit du 30 au 31 décembre 1935) ; son dédain du surréalisme ; ou encore sa mission de reporter en 1936, lors de la guerre d'Espagne. L'auteur, néanmoins, ne dit rien de l'enfance - pourtant heureuse, semble-t-il - et se focalise sur la vie d'aventures de Saint-Exupéry. Un peu trop, d'ailleurs, car Pratt parle bien plus du pilote que de l'écrivain, même si ceux qui définissent Saint-Ex comme un pilote-écrivain plus que comme un écrivain-pilote sont nombreux. Pratt, en narrateur expérimenté, casse la linéarité du récit, en faisant se confondre événements et lignes temporelles ; alors que Saint-Ex est engoncé dans le cockpit du P-38 dans le ciel provençal, son esprit vagabonde sur quatre continents, sur terre autant que dans les airs. Cela fait néanmoins naître une sensation de passivité absolue chez le lecteur jusqu'au dénouement. Concernant sa mort, Pratt reprend l'hypothèse Heichele, qui s'est avérée une supercherie ; mais ce mystère, encore aujourd'hui, reste entier. Le scénario est convenu, hélas, le texte est creux et verbeux, et ce choix de faire se confondre les lignes temporelles en un grand mélange engendre l'ennui.
Le style graphique de Pratt est instantanément identifiable ; il se caractérise par un trait fin, pas toujours continu, avec des lignes cassées ou interrompues, sans souci de perfection, ce qui apporte aux compositions un aspect aussi élégant que brut. Cela produit aussi des portraits simplifiés, mais avec un coup de crayon qui révèle les caractères. Pratt rehausse le dessin d'abondants aplats de noir, parfois de petites taches, parfois de larges traits rectilignes au pinceau, plus ou moins longs, qu'il place habilement çà et là. Le trait est beaucoup plus appliqué et fini pour les avions, dont les silhouettes sont très soignées, mais l'épaisseur du contour a tendance à varier, curieusement ; un effet de l'aquarelle ? Dommage que Pratt ne rende pas compte des immenses étendues argentines. La mise en couleur est satisfaisante.
Difficile de savoir si Pratt a obtenu patte blanche ou si un cahier des charges lui a été imposé, tant il s'applique à cocher les cases de la vie d'aventures de Saint-Ex ; si les scènes légendaires sont bien là, la personnalité de l'homme est à peine survolée.
Mon verdict : ★★☆☆☆
Barbüz
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Respect : voilà un auteur auquel je n'ose pas m'attaquer, par crainte de ne pas être capable de l'apprécier. J'ai tenté une ou deux fois il y a plus de 20 ans et je me suis ennuyé.
RépondreSupprimerLe paragraphe "Le style graphique de Pratt [...] curieusement" m'a donné l'impression de voir ses pages, retranscrivant à l'identique ma sensation de lecture.
Je n'ai jamais lu Le petit prince, et je ne me suis pas intéressé à la vie de son auteur. Ton article m'apprend donc qu'il était considéré à quasi égalité comme un pilote et un auteur.
Cela fait néanmoins naître une sensation de passivité absolue chez le lecteur : voilà une sensation qui doit être fort étrange, alors même que l'acte de lecture réclame d'être actif, plus que le visionnage d'une émission télévisée.
2 étoiles : je crois que ça va me conforter dans l'idée de remettre toute tentative de lire Hugo Pratt, à beaucoup plus tard. :)
Oser s'attaquer à un auteur. C'est une forme de complexe que je ressens souvent. La situation la plus marquante pour moi est lorsque je me suis attaqué à "Tintin au pays des soviets". Pas facile, car on a l'impression que tout a été écrit. Mais peu importe, en fait ; une fois qu'on est dans l'effort de la rédaction de l'article, c'est parti. Concernant Pratt, j'ai d'autres albums en réserve et je ferai sans doute l'intégrale de "Corto" un de ces jours.
RépondreSupprimerJ'ai lu "Le Petit Prince" lorsque j'étais gamin. Je pense que ça aurait été plus approprié de le lire au collège, mais soit.
Le prochain album de Pratt que je lirai : "Jesuit Joe et autres récits", qui comprend trois albums. Je ne sais pas encore si je chroniquerai le tome entier ou si j'écrirai un article par album. Comment procèdes-tu, lorsque tu chroniques un ouvrage de ce genre ? Écris-tu un article pour la compil, ou un pour chaque album ?
Tout dépend de la pagination et de l'intérêt de chaque histoire. Du coup, ça peut être un article par histoire (c'est surtout vrai pour les recueils regroupant plusieurs tomes), un article scindé en plusieurs parties, chacune consacrée à une histoire, un article qui s'apparente à un commentaire composé mêlant les remarques sur les trois histoires, soit sous la forme de points communs, soit sous la forme de contraste par comparaison. Et parfois un mixte des deux dernières options.
SupprimerUn exemple un peu compliqué à construire avec l'anthologie Marvel
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Merci de cette réponse. A priori, j'ai déjà fait mon choix, jusqu'à ce que je revienne sur ma décision 😁 : ce sera un article par histoire.
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