mercredi 26 janvier 2022

"Basquiat" (Soleil ; février 2020)

Publié chez Soleil, en février 2020, "Basquiat" est un album de bande dessinée biographique, dont le sujet est le graffeur et peintre nord-américain Jean-Michel Basquiat (1960-1988). Cet ouvrage de dimensions 20,2 × 26,4 centimètres, à couverture cartonnée, comprend une histoire complète en cent vingt-cinq planches en couleurs. Au début du recueil, une photographie de Basquiat en noir et blanc, prise par un commerçant de Manhattan en 1986 ; à la fin, vingt-trois biographies succinctes de célébrités et de protagonistes-clés, avec leur portrait en vignette, une postface des auteurs expliquant la part de fiction de l'œuvre, plusieurs remerciements, et leur biographie résumée. 
"Basquiat" est écrit par le photographe et scénariste allemand d'origine colombienne Julian Voloj ; Voloj est connu pour une bande dessinée biographique sur la vie de Joe Shuster parue chez l'éditeur Urban Comics en septembre 2018, "Joe Shuster : Un rêve américain". Le Danois Søren Mosdal en produit la partie graphique dans son intégralité, dessin, encrage, et mise en couleurs. Mosdal a réalisé l'album "Erik le Rouge" entre autres. 

Manhattan, août 1988. Jean-Michel Basquiat gît sur son lit, seul ; il dort sur le côté. Il est vêtu d'un caleçon. Sa chambre est en désordre. Autour du matelas, un seau à moitié plein d'une substance peu ragoûtante, un crayon, un paquet de cigarettes et des mégots. À gauche, contre ce lit, un meuble supporte un poste de télévision dont l'écran, en l'absence de programme, diffuse de la neige. Au bas du matelas, un exemplaire de "Gray's Anatomy", une plume et d'autres feuillets (des esquisses ?). Enfin, juste à côté du peintre, dans son dos, un briquet, et une seringue et une cuiller posées sur un morceau de papier. Un bras émerge de l'écran, et un autre, puis une silhouette fantastique s'en extirpe, des éclairs rouges crépitant autour d'elle : c'est le griot de "Flexible". Il veut réveiller - sauver - Basquiat... 

Que connaît le grand public de Jean-Michel Basquiat ? Sans doute son amitié (si toutefois c'en était vraiment une) avec Andy Warhol (1928-1987) et sa mort tragique, le 12 août 1988. Guère plus, au fond. Voloj, en donnant vie au griot de la toile "Flexible" (1984), insuffle quelques éléments fantastiques ou oniriques au récit, plutôt que d'opter pour une narration classique cantonnée à un registre réaliste. Ce personnage imaginaire est présent aux côtés de son créateur au moment de sa mort, et revoit avec lui les instants les plus marquants et les plus significatifs de sa vie. Il est utilisé pour alimenter des dialogues, expliquer certains concepts, opérer des transitions. Il reste difficile de présenter une biographie (donc une vie ou une tranche de vie) autrement que de manière linéaire, et "Basquiat" ne fait pas exception ; la présence du griot ou les nombreux intermèdes psychédéliques n'y changent pas grand-chose. L'auteur revient sur des éléments marquants - de son point de vue, en tout cas - de la brève existence de l'artiste : son enfance et son adolescence compliquées (sa mère, par exemple, fut internée en hôpital psychiatrique) ; l'école City-As-School ; ses multiples relations sexuelles ; SAMO (c'est étrange, mais les auteurs n'en reproduisent que des bribes, et aucun slogan entier ; pour une question de droits, selon toute vraisemblance) ; la première rencontre avec Warhol ; ses expérimentations cinématographiques ; ses expositions ; les pressions liées à la célébrité ; l'acharnement des collectionneurs ; ou son rapport à l'argent. À part l'état second dû aux drogues, Voloj ne propose pas d'analyse du processus de création artistique. Il évoque à peine la rapidité de Basquiat. Sa personnalité n'est pas approfondie. Entre rires et colères, il reste insaisissable. Tout semble glisser sur lui, mais le touche : la fulgurance de sa célébrité, la solitude, l'argent. Enfin, le parallèle entre ce parcours et l'effervescence créative du Manhattan de l'époque est trop construit sur l'anecdote. 
Mosdal dessine dans un registre qui pourra être qualifié de semi-réaliste. Ses contours sont d'une épaisseur variable ; ils ne sont pas systématiquement continus, ce qui donne à certaines vignettes le rendu d'un manque de finition auquel il faut ajouter une densité de détails souvent faible et des arrière-plans bâclés. New York n'exerce là aucune attraction particulière, les amoureux de la Grosse Pomme en sont pour leurs frais. La combinaison de ces éléments s'avère frustrante. L'encrage évolue selon les cases ; aplats de noir, ou faisceaux de hachures simples, parfois recouverts d'une couche de gris. Cela étant, il faut reconnaître à l'artiste son sens de l'expressivité et sa capacité à reproduire des personnages historiques identifiables de manière assez aisée, dont, par exemple, Keith Haring, Klaus Nomi, Madonna, etc. 
La traduction (de l'anglais au français selon toute vraisemblance) a été confiée à Xavier Hanart, qui est principalement connu pour son parcours de traducteur dans les comics. Son travail est de qualité et le texte est irréprochable : ni faute ni coquille. 

Instructif, "Basquiat" est une succession d'événements rythmés par des flashes psychédéliques, colorés ; c'est aussi le foisonnement créatif d'une mégapole cosmopolite sur deux décennies. Hélas, la narration ne captive pas, la partie graphique non plus. 

Mon verdict : ☆☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. 1ère surprise : cet album a été publié par Soleil, un éditeur que je n'associais pas à ce genre d'ouvrages (pure méconnaissance de ma part, avec une bonne dose d'a priori).

    Que connaît le grand public de Jean-Michel Basquiat ? Je te confirme que je n'en connais rien du tout.

    Voloj ne propose pas d'analyse du processus de création artistique : une grande frustration pour également dans ce genre d'ouvrage.

    Sa personnalité n'est pas approfondie [...], le parallèle entre ce parcours et l'effervescence créative du Manhattan de l'époque est trop construit sur l'anecdote. Quand on ajoute à ça : une densité de détails souvent faible et des arrière-plans bâclés, ça donne l'impression d'une bande dessinée guère consistante dont finalement la plus grande qualité est la traduction impeccable. :)

    Ayant fini mon petit persiflage, je vois que tu conclus sur le fait que cette BD est instructive, malgré une densité d'informations peu élevées. C'est intéressant parce que ton commentaire me permet de m'interroger sur ce que j'attends d'une bande dessinée biographique, question que je ne m'étais jamais posée, et je m'aperçois que je suis bien en peine pour y répondre.

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    1. Oui, ta conclusion est tout à fait juste, elle reflète bien mes impressions. En fait, avant d'entamer le développement de mon article, je me suis posé la même question que toi : "Qu'attends-je d'une bande dessinée biographique ?". Et je me suis heurté à la même difficulté que toi pour répondre. Pourtant, ce n'est pas la première que je lis.

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