mercredi 2 mars 2022

"L'Homme qui tua Nobunaga" : Tome 1 (Delcourt/Tonkam ; novembre 2020)

Publié en novembre 2020 chez Delcourt, dans la collection "Tonkam", que l'éditeur consacre à la bande dessinée japonaise, cet album est le premier des huit volumes de la version française du manga seinen "L'Homme qui tua Nobunaga" ; c'est un ouvrage broché au format 13,0 × 18,3 centimètres qui se lit de droite à gauche. Il compte approximativement deux cent sept planches en noir et blanc ; il est protégé par une jaquette illustrée avec vernis sélectif. Au Japon, ce premier numéro fut édité en 2017 par la maison tokyoïte Akita Shoten (Akita Publishing Co., Ltd.). 
C'est Kenzaburō Akechi qui scénarise "L'Homme qui tua Nobunaga". Akechi est né en 1947. Il est présenté, au début de l'album, comme auteur, membre de la Shigakukai (la société japonaise d'histoire), et secrétaire de l'association des héritiers Akechi ; il serait également un descendant présomptif d'Akechi Mitsuhide (le personnage principal de cette saga). La partie graphique est confiée à Yutaka Tōdō ; il a été révélé par "Wakamiya shōnen tantei-dan", mais il semble que "L'Homme qui tua Nobunaga" soit sa première série "d'envergure" (traduite dans d'autres langues). 

Japon, Kyōto, juin 1582, en pleine ère Tenshō : Oda Nobunaga - le leader "le plus charismatique de l'histoire du Japon" - vient de se faire seppuku. C'est la conclusion de ce qui est appelé aujourd'hui "l'incident du Honnō-ji". Mais pourquoi diable le vassal de Nobunaga, Akechi Mitsuhide, s'est-il rebellé contre son maître ? Tokyo, 2016, au siège des éditions Nihon Bungeisha : devant quelques personnes, Kenzaburō Akechi présente son livre, dans lequel il développe sa propre analyse des faits survenus lors de l'affaire. Les faits historiques sont "remodelés par les vainqueurs", lui a "tout simplement voulu connaître la vérité". Il évoque ce sobriquet donné à Mitsuhide : "le félon". Ses descendants, aujourd'hui encore, sont "marqués de cet opprobre". Il propose à l'auditoire de revenir sur les idées reçues à propos de l'incident... 

Les amateurs du Japon féodal ne manqueront pas de se pencher sur "L'Homme qui tua Nobunaga", une série récente qui ne compte que huit tomes (plus un dérivé). Le propos va plus loin qu'une simple histoire de samurais. Il s'agit de l'histoire telle qu'elle nous est transmise : écrite par les vainqueurs puis relayée par différents médias à travers les générations, est-elle toujours digne de confiance ? Le propos n'a rien de nouveau, certes, mais venant d'un intellectuel citoyen du pays du Soleil-Levant, il a de quoi intriguer. Pourtant, le lecteur comprend dès le départ que le thème ne sera effleuré que par le biais d'un exemple concret et que cette série est d'abord une tentative de réhabilitation d'Akechi Mitsuhide ; pourquoi pas ? L'auteur revient sur les évènements de "l'incident du Honnō-ji", ainsi que sur la façon dont les principaux protagonistes ont fait connaissance. Dans l'absolu, c'est intéressant ; mais un bon historien ne fait pas systématiquement un bon scénariste, et ce premier tome souffre de lacunes narratives de taille. Bien qu'elles soient peu nombreuses, certaines scènes - ou plutôt certaines cases - sont tout bonnement incompréhensibles, en partie à cause d'ellipses sibyllines ; le découpage n'est donc pas parfait. Ce recueil pâtit également d'un manque d'uniformité du ton employé ; une large majorité des passages s'inscrit dans une approche réaliste, tandis que d'autres cèdent à l'envie du scénariste d'insuffler quelques éléments légers, voire comiques çà et là ; en témoigne cette fin farfelue, en décalage complet avec l'atmosphère réaliste et épique de ce récit. Enfin, l'emploi fréquent de termes japonais, couplé à l'abondance de protagonistes, pourra perturber le plaisir de lecture, et éventuellement susciter une forme de lassitude au fil des pages. En revanche, il faut bien reconnaître à Akechi un certain don pour éviter de tomber dans le piège de la linéarité, notamment grâce à son utilisation habile et équilibrée des lignes chronologiques ; c'est à peu près tout. 
Cette inconstance dans l'ambiance du récit se reflète dans le travail de Tōdō sur la partie graphique. Il y a là des compositions riches et soignées (surtout les costumes et les armures), mais avec trop de concessions au genre pour s'inscrire avec crédibilité dans une approche naturaliste, entre autres les fameuses lignes de mouvement, la place des onomatopées, les sourires forcés et figés, ou encore l'aspect très lisse, presque enfantin de certains visages, principalement féminins. Tout cela laisse une sensation de manque d'uniformité graphique qui nuit à l'ouvrage et pourra entraver le plaisir de lecture. Enfin, les finitions des dessins sont souvent très insuffisantes : par exemple, les planches présentent un nombre élevé de figurants dont les visages ont été entièrement gommés - sans doute pour gagner en productivité. 
La traduction a été confiée à Jacques Lalloz ; il sera impossible de comparer son travail au matériau d'origine à moins d'être japonisant. Le texte de Lalloz est soigné ; aucun reproche n'est à formuler, si ce n'est le style ampoulé et une faute de frappe. 

Ce premier recueil de "L'Homme qui tua Nobunaga" ne tient pas toutes ses promesses. Sa narration pourra paraître insuffisamment aboutie. Il en sera de même pour le dessin. Tōdō semble être capable du meilleur, mais il cède à un certain maniérisme. 

Mon verdict : ★★☆☆☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Tiens, une nouvelle série manga...

    Une série récente qui ne compte que huit tomes : un critère de choix qui me parle pour ne pas se lancer dans une histoire induisant une décennie de lecture.

    L'histoire écrite par les vainqueurs puis relayée par différents médias à travers les générations, est-elle toujours digne de confiance ? - Un thème très intéressant qui résonne systématiquement avec les informations qui nous sont présentées, à commencer celles sur les conflits armés du jour.

    Pourquoi pas ? - Une question qui m'a parlé directement, car je me suis rendu compte que je l'avais employé dans un ou deux commentaires écrits cette année.

    Certaines cases sont tout bonnement incompréhensibles, en partie à cause d'ellipses sibyllines : quand ça m'arrive, je me demande toujours si ça provient d'un élément culturel évident pour un lecteur japonais et inconnu par un lecteur occidental, si j'ai raté un lien logique auquel je n'ai pas prêté attention, ou que j'ai compris de travers. J'ai toujours du mal à imaginer qu'un responsable éditorial puisse laisser passer ça à la relecture. Et pourtant...

    Manque d'uniformité graphique, manque de finitions, manque de cohérence de tonalité dans la narration : voilà beaucoup de défauts qui vont dans le sens d'un produit pas aussi professionnel qu'on serait en droit de l'attendre. Je me demande si tu as feuilleté un tome ou deux de Kingdom, de Yasuhisa Hara, dont les planches sont incroyables en termes de reconstitution historique soignée et méticuleuse.

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    1. J'ai vu quelques planches de "Kingdom", et elles ne m'ont pas plu (les traits des personnages). Enfin, toujours est-il que ma quête d'une BD épique sur le Japon féodal n'a pas trouvé son bonheur avec "L'Homme qui tua Nobunaga", ça c'est sûr. Et pourtant, nul doute que ça doit exister (je ne range pas "Lone Wolf & Cub" dans le registre épique).

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