lundi 14 mars 2022

Monster (tome 9) : "Un monstre sans nom" (Kana ; juin 2003)

Publié en juin 2003 dans la collection "Big Kana" de l'éditeur Kana, "Un monstre sans nom" est le neuvième numéro de la version française du manga seinen "Monster". C'est un ouvrage broché (couverture flexible, format 12,8 × 18,0 cm) d'environ deux cents planches en noir et blanc, qui se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine de 1994 à 2001 puis réédité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit recueils entre 2001 et 2005, réédités, entre 2010 et 2012, en une intégrale en neuf volumes (de deux tomes chacun). 
"Un monstre sans nom" a été (a priori) entièrement réalisé (scénario, dessins et encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa, qui est également connu pour "Yawara !", ainsi que "20th Century Boys"

À l'issue du tome précédent, Tenma s'infiltre dans la bibliothèque universitaire avec son fusil à lunette ; il choisit soigneusement l'armoire haute où il montera et se postera pour abattre Johann. 
Tenma revoit l'opération chirurgicale lors de laquelle il a sauvé la vie de Johann. Il est couché sur le dos, installé sur le panneau supérieur d'un meuble de la bibliothèque universitaire Friedrich Emmanuel ; il serre un fusil à lunette des deux mains. Le temps passe. Un gardien effectue une ronde. L'espace d'un moment, le faisceau de sa torche électrique balaie la zone de plafond juste au-dessus de Tenma ; le cœur du médecin est étreint par l'angoisse. Le vigile finit par passer, et Tenma se détend. Des souvenirs d'enfance remontent à la surface : des parties de cache-cache où "poule mouillée" - le sobriquet dont il était affublé - craignait tellement d'être découvert, qu'il ne pouvait plus retenir son envie d'uriner et mouillait systématiquement ses vêtements. "Poule mouillée", qui restait toujours dernier quand ses camarades, rappelés à l'ordre par leurs parents, rentraient chez eux, partaient en l'abandonnant, en l'oubliant. Une "Poule mouillée", vraiment ?... 

Avec "Un monstre sans nom", la saga "Monster" en est à la moitié. Quoi de plus évident, symbolique, que d'offrir au lectorat une confrontation entre Tenma et Johann ? Prétendre qu'elle tient toutes ses promesses est néanmoins exagéré. En fait, Urasawa brille surtout par sa maîtrise du suspense. Tenma s'est décidé à agir, et la tension se caractérise par un crescendo continu, de la préparation jusqu'à l'acte et son dénouement. Cela prend presque les trois quarts de cet album alors qu'il s'écoule moins d'une journée. Évidemment, Urasawa prend soin d'éviter une linéarité trop pesante : il développe donc plusieurs lignes narratives qui lui permettent de faire diversion. Le lecteur a d'abord un instantané très bref de l'enfance du médecin. Puis l'auteur lève (enfin) le voile sur le secret de la vie de Hans Georg Schuwald. Cet élément est intéressant à double titre. Premièrement, c'est le premier échec de Johann (pour le moment, en tout cas), comme si la bonté et le désintérêt inhérents au personnage de Karl Neuman avaient remporté une courte victoire sur le mal, qu'incarne Johann. Deuxièmement, il ouvre la saga sur de nouveaux horizons : il évite ainsi l'écueil du surplace et entretient la curiosité du lecteur. Le scénariste revient ensuite sur ce fameux conte tchèque, qui avait mis Johann dans tous ses états dans "Mon héros sans nom". C'est une invention d'Urasawa, même si son titre - "Obluda, která nemá své jméno" - se traduit effectivement du tchèque au français par "Un monstre sans nom". Enfin, les alliés de Tenma ne restent pas inactifs, et le commissaire Runge, de son côté, continue à mener sa propre enquête, avec les mêmes méthodes - et donc avec les mêmes travers. Voilà une narration très équilibrée malgré la présence de plusieurs fils, avec une gestion du temps remarquable, bien que la grande séquence de ce numéro souffre d'un maniérisme qui est propre aux mangas : elle est courte, mais trop décompressée, et s'étale sur plus de pages qu'elle ne dure dans le temps. 
Le lecteur se sera certainement habitué au contraste entre - d'un côté - des protagonistes aux physionomies typées manga (surtout les femmes et les enfants), l'hyper-expressivité des personnages, l'espace parfois surprenant occupé par les onomatopées (à la fois en caractères japonais et latins ; sans doute un ajout de l'éditeur), et - de l'autre - le réalisme détaillé des décors (par exemple, les rayons de la bibliothèque universitaire, la façade de la demeure de Schuwald, la cabine téléphonique, les rues, les bâtiments publics, les décombres à la suite de l'incendie, les intérieurs en général). La scène majeure de ce livre n'est pas d'une lisibilité impeccable : l'angle de prise de vue peut laisser supposer - possible que ce soit voulu par l'artiste - que Nina tienne Tenma en joue un court instant, pour le dissuader d'abattre Johann. 
La traduction est confiée à Thibaud Desbief ; c'est lui qui a traduit les dix-huit volets. À moins d'être japonisant, il sera impossible de comparer son travail au matériau original. Notes : le land de Saxe ne s'écrit pas "Sachs""chut" avec un "c", pas un "s"

Ce neuvième tome est à l'image d'une série, et est fidèle à ses qualités autant qu'à ses défauts ; mais le contrôle de la narration et le sens du suspense de l'auteur sont éblouissants, et - pour une fois - il ne fait pas intervenir de nouveaux protagonistes. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Urasawa brille surtout par sa maîtrise du suspense : c'est également l'effet que ça m'avait fait, cette qualité de suspense intense.

    L'espace parfois surprenant occupé par les onomatopées : c'est un phénomène que j'ai vu dans de nombreux mangas, avec une dilemme d'adaptation, faut-il les laisser en l'état et donc incompréhensibles, ou faut-il les modifier et perdre en expressivité visuelle de la graphie ?

    Le contraste entre des protagonistes aux physionomies typées manga et le réalisme détaillé des décors : c'est un choix visuel qui permet de rendre les personnages plus vivants par contraste avec le réalisme des décors, c'est l'explication que donnait Dave Sim pour avoir choisi un oryctérope anthropomorphe pour Cerebus.

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    1. On avait déjà discuté des onomatopées. Je n'ai pas forcément d'avis sur la question. Parfois, je ne te cacherai pas que ça me gêne. Mais sinon ça passe.

      Le contraste : parfois ça me donne l'impression qu'il s'agit de silhouettes de papier qui ont été collées sur des photographies. Au fil des pages, ça passe, mais ça revient assez souvent.

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