samedi 9 avril 2022

Ciel de guerre (tome 1) : "Les Diables rouges" (Paquet ; mai 2014)

"Les Diables rouges" est le premier tome de "Ciel de guerre", une série complète en quatre tomes publiée chez Paquet, dans la collection "Cockpit" de l'éditeur, entre mai 2014 et août 2016 ; cet ouvrage relié (à la couverture cartonnée), format 24,0 × 32,3 centimètres, renferme un total de quarante-six planches en couleurs. Enfin, notons que la maison Paquet a réédité la tétralogie en une intégrale en un seul volet, paru en mai 2019. 
Philippe Pinard, journaliste passionné d'aviation spécialisé dans la presse moto, est l'auteur du scénario. La partie graphique (le dessin, l'encrage, et la mise en couleurs) est confiée à Olivier Dauger. Pinard et Dauger avaient déjà travaillé ensemble : ce fut sur la série "Ciel en ruine" (éditions Paquet, 2007-2012). 

Terrain d'aviation de Xaffévillers, dans les Vosges, 9 mai 1940, par un ciel dégagé : abrités sous un filet de camouflage, assis sur des caisses de munitions, quatre mécaniciens de l'Armée de l'air jouent à la belote, pendant qu'un cinquième examine le moteur d'un Curtiss H. 75. L'équipe Est-Ouest vient de remporter vingt autres points, suscitant ainsi le mécontentement d'un joueur de l'équipe adverse. L'un des gagnants se réjouit : il va se mettre cinq billets dans la poche "sans se faire de hernie !" Le mécanicien penché sur l'avion rétorque que ça ne sera pas son cas, car ces Curtiss Electric ne valent "pas un clou". À voix haute, il détaille la modification technique qu'il envisage pour éviter de "faire grimper le moulin en surrégime". Un bruit les interrompt : c'est celui d'un moteur Gnome et Rhône, construit à Limoges, équipant un avion de reconnaissance Potez 63-11 du GAO (groupe aérien d'observation) nº548, basé à Épinal, juste au sud de Xaffévillers. Son moteur droit est hors service et l'appareil émet une traînée de fumée brunâtre ; néanmoins, il atterrit sans pépin. Aussitôt, deux officiers se précipitent à la rencontre de l'équipage, dont un membre est salement blessé... 

Pinard choisit la veille de la fin de la drôle de guerre (du 3 septembre 1939 au 10 mai 1940) pour lancer son intrigue et livrer un récit de guerre qui conte les aventures d'Étienne de Tournemire, un jeune pilote de chasse frais émoulu de l'école. De toute évidence, l'auteur ne semble pas avoir l'intention d'exonérer l'Armée de l'air de sa part de responsabilités dans la défaite, dont il énumère plusieurs causes par la bouche des protagonistes : le manque d'avions, insuffisamment armés et déjà dépassés, le poids de la bureaucratie (devoir remplir un formulaire en trois exemplaires et le faire approuver par la hiérarchie pour obtenir un équipement radioélectrique et un masque inhalateur) et son impact sur les mentalités, auxquels il ajoute - de façon plus globale - l'incrédulité de l'armée devant les faits dont la traversée des Ardennes et la foi aveugle en la ligne Maginot. De même, Pinard sous-entend la rivalité interarmes et l'esprit de certains officiers (qu'incarne Saint-Jeaume) bornés, prétentieux, ignorants, et aux conceptions arriérées ; il évoque encore le rôle des communistes sur la productivité de l'industrie de l'armement, et les sabotages en usine. L'une des caractéristiques du titre est la volonté de Pinard de coller au plus près à la vérité historique. Cela se traduit jusque dans les numéros, les localisations, et les appareils des escadrilles de l'Armée de l'air ; l'escadrille de chasse SPA 160 "Diables rouges" ou ("Diable rouge") a bien existé, par exemple. Un regret : Pinard ne fait aucunement mention des aviateurs étrangers venus continuer le combat contre l'envahisseur nazi sous les cocardes françaises, surtout des Polonais, mais aussi des Tchécoslovaques. La narration est classique et linéaire, sans que cela soit une lacune ; le découpage est impeccable et le scénario facile à suivre. L'action est savamment dosée ; il n'y a aucune longueur. Étienne - un fils de bonne famille avec ce qu'il faut d'esprit rebelle - est attachant, Saint-Jeaume insupportable, Caroline pétillante, bien que surtout utilisée comme deus ex machina, et le lecteur suppose une forme d'amitié naissante entre Tournemire et Marceau, et ce malgré leurs opinions divergentes. 
Dauger produit, une partie graphique profondément inspirée par la ligne claire, mais sans en appliquer tous les commandements tels que définis par Hergé (1907-1983) ou adaptés par Edgar P. Jacobs (1904-1987). Le registre de l'artiste est celui du réalisme - dans un style qui doit sans doute plus à un troisième maître qu'aux deux cités précédemment : Jacques Martin (1921-2010), mais sans son aspect épique et sans cette atmosphère tragique à fleur de peau. Le trait de Dauger est fin et élégant. Son encrage est léger, les contours sont réguliers, et les francs aplats de noir peu fréquents ; souvent, Dauger représente les zones d'ombre avec des étendues grisées. Mais ce qui force le plus l'admiration est ce soin qu'il apporte aux appareils : l'amateur est aux anges, d'autant que le dessinateur traduit fort bien mouvement et vitesse. La mise en page est classique : des planches comprenant de cinq à onze vignettes, en trois à quatre bandes horizontales séparées par des gouttières blanches. 

Pinard et Dauger nous livrent un premier volume prometteur malgré une intrigue secondaire convenue et un peu hors de propos autour du champagne. Il reste à voir la direction que prendra tout cela. Quoi qu'il en soit, la partie graphique est un délice. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Rien qu'à lire toutes les références techniques contenues dans ton article, je me rends compte de la minutie de la reconstitution : très impressionnant de parvenir à intégrer au tant de facettes : manque de préparation de l'armée, poids de l'administration, rivalité interarmes, et exactitude de la reconstitution historique, les modèles d'avion bien sûr, mais aussi l'existence de l'escadrille de chasse SPA 160. Ta remarque sur l'intrigue secondaire me fait demander si tu n'aurais pas préféré une BD purement historique.

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    1. Je ne sais pas si j'aurais préféré une BD purement historique ; c'est une bonne question. Maintenant que tu me l'as posée, je réalise qu'un intrigue secondaire est presque indispensable, sous peine de ne produire qu'un récit de guerre et rien d'autre. C'est juste ce côté champagne que j'ai trouvé peu original, mais je reconnais qu'il est utilisé de manière plutôt habile.

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