lundi 11 avril 2022

Bloodshot Salvation (tome 1) : "Le Livre de la vengeance" (Bliss Comics ; septembre 2018)

"Le Livre de la vengeance" est le premier des deux recueils de "Bloodshot Salvation", série consacrée au personnage de Bloodshot qui conte la suite de "Bloodshot USA". En version originale, "Bloodshot Salvation" comprend douze numéros mensuels parus entre septembre 2017 et août 2018 ; ce premier tome renferme les versions françaises des "Bloodshot Salvation" #1-5 (septembre 2017 à janvier 2018). Publié chez Bliss Éditions en septembre 2018, cet album (format 17,5 × 26,5 centimètres, couverture cartonnée) inclut approximativement cent vingt-cinq planches - couvertures comprises - plus une douzaine de pages, en guise de bonus : des variantes de couvertures, ainsi que neuf planches non colorisées. 
Jeff Lemire retrouve le scénario. Les dessins et l'encrage sont répartis entre Mico Suayan et Lewis LaRosa, chacun dans son style. Brian Reber et Diego Rodriguez, enfin, se divisent la colorisation. 

Précédemment, dans "Bloodshot USA" : alors que d'anciens cadres du projet "Rising Spirit" lancent l'initiative "Augure", Bloodshot et une Magic fraichement enceinte partent vers une nouvelle vie. 
État du Minnesota, dans un futur proche. Des nuages sombres s'amoncellent dans un ciel gris. Une jeune fille a passé une clôture pour aller ramasser des brindilles à l'orée d'une forêt de conifères : Jessie, fille de Bloodshot et Magic, porte les stigmates de son père (pâleur marmoréenne, yeux rouges). Soudain, elle se fige, car elle a entendu des bruits de pas dans la neige ; aussitôt, cinq hommes cagoulés en treillis et armés de pistolets automatiques l'entourent. L'un d'eux ordonne à Jessie de ne pas faire un geste, mais elle fonce tête baissée et écarte un des intrus d'une poussée. Un second l'attrape par le col de sa parka. Mal lui en prend, la fillette agile grimpe sur le flanc de l'agresseur et lui brise la nuque d'une torsion. L'instant d'après elle transperce le sternum d'un autre d'un direct, puis arrache la gorge d'un troisième des doigts... 

Lemire revient donc avec un nouvel arc pour Bloodshot. L'intrigue se divise en deux fils narratifs : le moment présent et un futur proche. Dans le premier, Ray Garrison découvre que le père de Magic veut rétablir son emprise sur sa fille. Les révélations de Magic et les craintes qu'il ressent pour la sécurité de sa famille le font bouillir : Bloodshot reprend du service pour rendre l'auto-justice. Évidemment, cela ne se déroulera pas comme prévu. Comme d'autres avant lui (par exemple : Victor Gischler, dans "The Punisher" avec "Bienvenue dans le bayou"), Lemire exploite la carte du "redneck" et emploie des clichés sans vergogne : crasse, vice, folie, et fanatisme sont exposés au premier degré. Le lecteur cherche désespérément une once d'humour noir susceptible d'alléger le propos ; elle se produira avec l'entrée en scène de Ninjak en deus ex machina. Il est toutefois intéressant de constater que Lemire maintient le personnage de Garrison dans un milieu social synonyme de pauvreté, d'inculture, de frustration, et de colère, un terreau fertile pour la haine où des êtres brisés se soumettent aveuglément à des meneurs et manipulateurs obscènes et profondément tarés. Lemire veut susciter la jubilation, sans y parvenir pleinement. Le second fil se déroule sans Bloodshot : Magic et Jessie tentent d'échapper à Rampage - créature d'Augure - dans une course-poursuite spectaculaire, mais linéaire malgré le contraste, une humaine ordinaire entre un monstre d'un côté et la magicienne Punk Mambo et des membres de l'escouade des Bloodshot de l'autre. Une intrigue temporelle se précise en filigrane. L'action est certes omniprésente, elle est même continue, mais l'originalité aurait cruellement manqué à cet arc s'il n'y avait eu le personnage de l'homme à la brûlure, Pete. Aussi détestable qu'émouvant, il est le véritable méchant de l'histoire. En définitive, il vole la vedette aux autres, et parvient à éviter que "Le Livre de la vengeance" ne sombre à cause de la banalité de son scénario. 
En revanche, la partie graphique est une indéniable réussite ; les styles de Suayan et de LaRosa sont différents, sans que cela perturbe le plaisir de lecture le moins du monde. Suayan propose un coup de crayon hautement réaliste, dans un quadrillage cinématographique et dynamique avec de nombreux inserts, et des angles de prises de vues originaux et inattendus qui plongent le lecteur dans le feu de l'action. Son niveau de détail est très satisfaisant. Les hachures de l'encrage peuvent manquer de densité. LaRosa évolue dans un registre réaliste aussi, mais moins clinique et plus organique, notamment grâce à des expressivités accentuées, mais sans exagérations, et une colorisation beaucoup plus lumineuse. Ses angles de prises de vues sont très diversifiés, et souvent stupéfiants. Novatrice, sa mise en page surprendra. 
La traduction de Mathieu Auverdin est honnête malgré une concordance des temps douteuse, une faute de mode, une d'accord, une incohérence ("projet Augure" dans "Bloodshot USA", "projet Omen" là) et une certaine littéralité ("pour être honnête"). 

"Le Livre de la vengeance" n'est pas le Bloodshot le plus prenant ; entre rednecks fous de dieux et expériences de laboratoire, le lecteur pourra être critique, mais pas assez pour ignorer la suite, d'autant que Suayan et LaRosa sont vraiment très doués. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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6 commentaires:

  1. J'ai été un peu plus généreux que toi : je suis allé jusqu'à 4 étoiles, mais c'est vrai que j'ai un petit faible pour Jeff Lemire… et un gros pour Mico Suayan.

    Je ne m'étais pas trop focalisé sur le la composante Redneck, mais uniquement parce que j'avais intégré, comme toi, que c'est un artifice narratif, prêt à l'emploi, de nature plutôt superficielle.

    Quelques morceaux de mon avis :

    Le tome précédent n'incitait pas trop le lecteur à revenir, Jeff Lemire ayant donné l'impression de ne plus disposer d'idées assez suffisantes pour justifier un récit supplémentaire en 4 épisodes. Malgré tout, en feuilletant rapidement ce nouveau tome, le lecteur se rappelle de la qualité des pages de Mico Suayan, ainsi que du travail méticuleux de Lewis Larosa. Il éprouve les pires difficultés à résister à la tentation de retrouver Ray Garrison, sa femme et sa fille. Bien sûr, la solution de facilité réside dans le fait de mettre en danger Jessie et Magic, ce qui donne une forte motivation à Bloodshot pour les sauver, voire peut-être pour se venger comme l'indique le titre de ce tome. Dès la première page, il retrouve le tic d'écriture adopté par Lemire pour cette série : une narration suivant 2 lignes temporelles. Il y a donc le présent qui correspond aux actions de Bloodshot et un futur proche dont le lecteur comprend progressivement qu'il doit se situer dans une dizaine d'années au vu de l'âge de Jessie. Il se dit que cette dissociation temporelle peut être justifiée par le fait qu'une fois encore Boodshot va effectuer un bond dans le temps. Il est effectivement question plus loin de l'année 4002.

    C'est une autre caractéristique de ce nouveau chapitre de la vie de Bloodshot que de s'inscrire un peu plus dans l'univers partagé Valiant que les tomes précédents. L'année 4002 renvoie au récit 4001 AD (2016) par Matt Kindt & Clayton Crain, sans que le lecteur ne sache si cette histoire a un impact direct sur le déroulement des événements. Dans le même ordre d'idée, il voit apparaître un personnage aux capacités providentielles : Punk Mambo. Si c'est la première fois qu'il la voit, le lecteur peut tiquer devant l'artificialité de son implication. L'explication est donnée par la suite avec l'apparition de Ninjak (Colin King), Punk Mambo étant issue de sa série Shadowman (2012), puis reprise dans la série Ninjak également écrite par Matt Kindt. Lemire fait également allusion à la continuité interne de la série Bloodshot, avec le projet Omen qui découle du projet Rising Spirit (initié dans la série Harbinger de Joshua Dysart) et faisant régulièrement sentir son influence dans la série Bloodshot.

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  2. […] En revanche, la partie graphique est une indéniable réussite : 100% d'accord.

    Le récit bénéficie d'une solide narration graphique, donnant de la consistance et de la force à l'intrigue. En ce qui concerne cette dernière, il ne lui a pas échappé que Jeff Lemire utilise des outils narratifs qu'il a déjà mis en œuvre dans les tomes précédents. Il tique un peu en voyant le stéréotype de la communauté pauvre et isolée sous l'emprise d'un chef charismatique aux convictions manquant de rationalité et faisant peu cas de la vie d'autrui, mais pas de celles des membres de la communauté. Il tique à nouveau quand les nanites du corps de Bloodshot sont désactivées juste au pire moment, ou quand des personnages arrivent pile au bon (et au dernier) moment pour en sauver d'autres en danger. Par contre, il a le plaisir de découvrir que Jeff Lemire avait effectivement des idées en nombre assez élevé pour cela puisse justifier une nouvelle histoire, sans qu'il n'ait besoin d'user et d'abuser de décompression narrative. Il a construit un thriller qui alpague le lecteur et l'emmène à un rythme soutenu sans lui laisser le temps de reprendre son souffle. Il évite un récit trop mécanique en prenant soin de montrer dans quelle mesure et comment Ray Garrison est affecté par les événements, sans réussir à en retrouver la maîtrise. Il arrive à montrer le drame du personnage qui ne réussit pas à s'empêcher de réagir par la violence, ce qui l'éloigne de ce qu'il souhaite, à savoir consacrer sa vie à sa femme et sa fille.

    https://www.babelio.com/livres/Lemire-Bloodshot-Salvation-tome-1--Le-Livre-de-la-Vengea/1053659/critiques/1609970

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    1. Tu sembles préférer le style de Suayan à celui de LaRosa. Le travail de ce dernier pour cette série m'a convaincu de le suivre d'un peu plus près.
      Je lirai le second tome de "Salvation" parce que c'est aussi le dernier ; je ne sais pas si j'aurais insisté dans le cas où il y aurait eu plusieurs autres tomes.

      As-tu lu la dernière saison en date de "Bloodshot", par Tim Seeley et Brett Booth ? Si oui, qu'en as-tu pensé ?

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    2. [...] Ou encore plus récemment sur Scumbag de Rick Remender : Dès la première page, le lecteur détaille des cases très riches en informations visuelles. Il se rend compte que la mise en couleurs y fait beaucoup : elle donne la sensation d'une technique de couleur directe. le lecteur n'arrive pas à déterminer quel est le degré de finition des dessins, tellement la couleur apporte d'éléments visuels. Par exemple, il peut voir la peau tavelée d'Ernie, sans savoir si Remender ou Larosa ont donné des indications en ce sens, ou si c'est l'initiative et l’œuvre de Dinisio. Quoi qu'il en soit, l'artiste donne à voir un monde concret et palpable, allant parfois au-delà de ce que pourrait souhaiter le lecteur le plus exigeant. Ce dernier n'est pas près d'oublier ce dessin en double page avec Ernie à quatre pattes dans une position humiliante et dégradante, perdant le contrôle de sa fonction d'excrétion, avec le regard horrifié des passantes, ce lui choqué des passants dont un qui ne perd pas le nord et prend une photographie, ou encore celui amusé d'un enfant. Larosa donne une identité visuelle incroyable à la série, que ce soit l'allure de d'Ernie, ses expressions de visage, le magnifique combat d'arts martiaux en pleine rue, l'aiguille de la seringue s'enfonçant dans le bras, ou les effets spéciaux de l'hologramme de mère Terre, très bien matérialisés par le coloriste.

      https://www.babelio.com/livres/Remender-The-Scumbag-tome-1--Cocainefinger/1386750/critiques/2895095

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  3. C'est vrai, je préfère Suayan à Larosa. J'ai commencé à remarquer ce dernier sur Punisher MAX :

    Au commencement - Pour ce tome, les illustrations ont été confiées à Lewis Larosa, encré par Tom Palmer. Je suis très partagé sur le résultat. D'un coté, chaque personnage bénéficie d'un visage bien défini et d'expressions du visage réalistes. De ce fait toutes les conversations agrippent le lecteur en le plaçant au milieu d'individus réalistes. Les 3 prétendants à la tête du milieu dégagent une aura qui fait peur, malgré une difformité qui pourrait les rendre ridicules. Les scènes d'action sont d'une sécheresse qui augmente l'intensité des atrocités commises de sang froid, qu'il s'agisse de massacre à grande échelle ou de violences perpétrées sur une personne. Cet aspect terre à terre rend plus terrifiant encore les aspects outrés du scénario (une phalange mordue au sang, un criminel ayant survécu à l'empalement sur une herse en fer). D'un autre coté, Larosa est un grand adepte des têtes en train de parler au milieu d'une case de la largeur de la page, sans aucun décor. Or son niveau de mise en scène ne lui permet pas de se passer d'ameublement. Du fait de ce dénuement spartiate, le dialogue entre Microchip et Castle prend une dimension trop théâtrale qui fait tâche par rapport au reste de l'histoire. Et puis le choix de présenter Castle comme un athlète bodybuildé marqué de milliers de rides en fait un être supérieur ce qui ne semble pas cohérent par rapport à la direction donnée par Ennis.

    https://www.amazon.fr/gp/customer-reviews/R35WE1KFHKE5UT/ref=cm_cr_dp_d_rvw_ttl?ie=UTF8&ASIN=2845384459

    ... également sur quelques titres dont un autre Valiant Savage où j'avais beaucoup aimé son travail : Lewis Larosa est en très grande forme, avec des planches magnifiques, rendant bien compte de la sauvagerie du combat, des mouvements brusques, par le biais de cases de travers se percutant les unes les autres. Il insuffle une vie impressionnante dans ce vélociraptor et les quelques autres dinosaures qu'il est amené à dessiner par la suite. Il s'applique pour les représenter avec soin, conformément à l'état des connaissances actuelles, en évitant de projeter un quelconque anthropomorphisme sur ces prédateurs. L'épisode 2 offre le spectacle d'autres races de dinosaures représentées avec le même soin, ainsi qu'un autre combat physique, cette fois-ci contre un être humain. La séquence dans l'épisode 3 est tout aussi intense, même si elle ne comporte pas de dinosaure. Lewis Larosa bénéficie d'une mise en couleurs riche, évoquant de la peinture directe, venant habiller chaque surface et ajoutant des informations visuelles en arrière-plan pour donner plus de consistance à la jungle ou à l'océan. Le lecteur se délecte de ces planches et regrettent qu'elles se lisent aussi vite du fait de l'absence de tout texte. Larosa sait imprimer une vitesse de lecture élevée, en cohérence avec la nature de ces séquences. Par comparaison, les dessins de Clayton Henry apparaissent plus fades et plus sages. Il utilise un trait fin et très propre sur lui, pour détourer les surfaces. Ses images se situent dans un registre plus descriptif, manquant de texture. Pourtant en y prêtant plus d'attention le lecteur constate que ses pages comportent autant d'informations visuelles que celles de Lewis Larosa, mais plus dans les détails des accessoires, des objets et des décors, que dans les textures et les sensations. Le lecteur peut ainsi regarder les caractéristiques du jet privé, les tenues vestimentaires, les différentes plantes, les accessoires dont disposent les rescapés, etc. Malgré tout, les dinosaures perdent de leur superbe, deviennent moins impressionnants, et le petit Kevin impressionne moins, ramené à une apparence plus ordinaire.

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  4. Je n'ai pas lu Bloodshot, par Tim Seeley et Brett Booth : j'aime bien Tim Seeley qui peut parfois être excellent, comme sur sa série Revival avec Mike Norton. J'ai revu passer récemment des pages de Brett Booth dans la série X-Men de Jonathan Hickman. C'était sympathique. Mais je n'étais pas motivé pour découvrir une autre version de Bloodshot.

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